LOBBYING MAROCAIN
L’Algérie, cible privilégiée
Ces lobbyistes sont en général d’anciens officiels qui connaissent bien les lois et les procédures.
Ignorer ou feindre d´ignorer les manoeuvres nuisibles et répétées d´un pays voisin qui conçoit la «fraternité» à sens unique, semble être perçu comme de la faiblesse et non de la retenue ou encore moins de la sagesse. Il y a des vérités pérennes dans les relations entre Etats comme la défense des intérêts nationaux et, si besoin, le recours gradué aux capacités de nuisance pour le faire. L´Algérie a fait preuve envers le Maroc d´une patience telle que l´opinion publique algérienne et étrangère, confrontée à une propagande marocaine très active, a fini par perdre ses repères. Les récentes déclarations du Premier ministre, dénonçant publiquement les manoeuvres sournoises du Maroc pour impliquer l´Algérie dans le conflit libyen en lui imputant l´envoi de mercenaires dans ce pays voisin en crise, sonnent comme un avertissement pour Rabat dont le ministère des Affaires étrangères a répliqué par un communiqué si maladroit qu´il ressemble fort à un mea culpa. Par ailleurs, le démenti apporté par le général Carter F. Ham de l´Africom, lors de sa récente visite à Alger, a ruiné les plans du Maroc et de ses lobbyistes aux Etats-Unis à travers lesquels il distille depuis des années sa propagande nocive contre l´Algérie, à coups de millions de dollars et de compromissions honteuses.
Précisons tout de suite que ce n´est pas la pratique du lobbying et le recours à celle-ci qui sont en cause. Beaucoup de grands pays y ont recours pour défendre leurs intérêts. Washington est une place forte de cette activité lucrative, comme l´est Bruxelles pour l´Europe (3500 entités recensées employant 27.000 personnes). Aux Etats-Unis, c´est une activité protégée par le Premier amendement de la Constitution (droit de pétition). Elle est légalisée depuis plus d´un siècle et depuis le vote du Federal regulation of lobbying Acte en 1946, les membres du Congrès reçoivent, officiellement, les lobbyistes régulièrement inscrits.
Une duplicité inacceptable
Ces lobbyistes sont en général d´anciens officiels qui connaissent bien les lois et les procédures et disposent de bons carnets d´adresses pour leurs contacts (En 1998, 43% des 198 membres du Congrès, dont le mandat n´a pas été reconduit, se sont inscrits comme lobbyistes). Disposant de bureaux à K. Street, une rue animée de Washington D.C. où se trouvent aussi de grandes firmes d´avocats et des think tanks (ainsi que le bureau d´Al Jazeera), ils oeuvrent à promouvoir les intérêts de leurs clients étrangers (gouvernements, partis politiques et toute autre entité sous contrôle gouvernemental) en plaidant leurs causes auprès de tous les milieux en mesure d´aider à leur promotion: gouvernement, congrès, syndicats, centres de recherche, chroniqueurs, journalistes.
L´activité de lobbying est étroitement encadrée par des lois et règlements dont la publication se poursuit en permanence. Le Foreign Agents Registration Act (Fara), publié en 1938, fonde les relations entre l´administration et les lobbyistes. Cette loi fait obligation à ces derniers, individus ou cabinets, de fournir au moins tous les six mois, un certain nombre d´informations notamment sur leurs clients étrangers, leurs activités, les reçus de leurs honoraires. Elle a pour objectif de protéger la Défense nationale, la sécurité intérieure et les relations internationales des Etats-Unis. Elle est appliquée par la Section du contre-espionnage de la National Security Division (NDS). Créée en 2006 lors du premier renouvellement du Patriot Act, elle relève du ministère de la Justice et a pour mission prioritaire de protéger les Etats-Unis contre le terrorisme international et domestique. Elle est structurée en vue d´assurer une grande coordination avec les institutions chargées du renseignement et de la sécurité.
La publication des informations fournies par les lobbyistes permet au gouvernement et à l´opinion publique d´évaluer le rôle et les efforts faits par des agents étrangers pour influencer le travail législatif, la politique et l´opinion publique américaine. Pour assurer une totale transparence, les informations recueillies sont publiées dan un site Internet de la Section de contre-espionnage du NSD.
Ce n´est donc pas le recours au lobbying qu´on peut reprocher au Maroc, mais le double jeu sous-terrain auquel il se livre depuis plusieurs années pour nuire à l´Algérie tout en multipliant en surface les appels à l´ouverture de la frontière et son attachement à la construction du Maghreb et en renouvelant à chaque occasion, ses sentiments de fraternité à l´égard du peuple algérien. Cette duplicité est inacceptable et ne peut que polluer le climat dans la région.
En tête des préoccupations du Maroc vient ce qu´il appelle la défense de «l´intégrité territoriale», c´est-à-dire la marocanité du Sahara occidental. Ceci passe par l´exploitation d´un certain nombre de thèmes présentés de façon à impliquer sans scrupule l´Algérie à laquelle il impute tous ses malheurs alors qu´il en est le seul architecte depuis que les Sahraouis se sont réfugiés dans la région de Tindouf, pourchassés par les avions marocains qui les bombardaient avec des bombes incendiaires au phosphore, n´épargnant ni les femmes ni les enfants. Les témoins oculaires de ce crime sont toujours de ce monde. Tout passe dans la propagande marocaine abreuvée à la source de Goebbels: l´Algérie, Cuba et la Libye qui cherchent à déstabiliser le Maroc, un allié des Etats-Unis, et à créer un Etat communiste au Sahara occidental; les réfugiés sahraouis séquestrés par le Polisario et l´Algérie dans les camps de Tindouf, privés des droits et libertés les plus élémentaires et soumis à des actes cruels et inhumains; les appels pour réunir les familles et mettre fin à leurs souffrances conformément aux principes les plus élémentaires du droit humanitaire; les enfants sahraouis âgés entre 8 et 12 ans envoyés contre leur gré à Cuba et en Algérie où on leur enseigne que le Maroc et les Etats-Unis sont leur «ennemi» et où ils sont réduits en esclavage et forcés à travailler dans les champs; le Maroc est le seul rempart crédible contre le terrorisme et l´immigration clandestine à destination de l´Europe alors que le Front Polisario favorise l´implantation d´Al Qaîda au Maghreb.
Le Maroc nous a habitués à rendre un mal pour un bien. Les prisonniers de guerre libérés par le Front Polisario sont instrumentalisés pour nuire à l´Algérie qui a pourtant aidé à leur libération. En mai 2005, un groupe de ces prisonniers a visité Washington et rencontré des législateurs pour les informer sur les violations atroces des droits de l´homme dont ils ont souffert en captivité «dans le sud de l´Algérie».
Au vu de toutes les atrocités commises par le Front Polisario et l´Algérie, les lobbyistes marocains invitent les citoyens américains à parler de cette crise humanitaire aux membres de leurs communautés religieuses et organisations civiques et à presser leurs représentants au Congrès à aider à y mettre fin.
L´autre préoccupation du gouvernement marocain à travers le recours au lobbying, complémentaire à la première, consiste à décrire le Maroc comme un pays stable aux plans politique, économique et social grâce à Sa Majesté qui répond aux désirs de son peuple. Il est présenté comme un pays millénaire, bien ancré dans ses traditions et tourné vers le progrès. L´Algérie en est bien sûr l´antithèse, l´exemple repoussoir.
Cette propagande vise à mobiliser l´opinion publique et, au-delà, les autorités américaines sur la base d´idées simples. C´est un travail de lobbyistes qui savent qu´ils s´adressent à une clientèle qui accorde peu d´intérêt au dossier du Sahara occidental et qui a très peu de temps à lui consacrer. Il faut donc agir sur les cordes sensibles: la violation des droits de l´homme, la séquestration de personnes, soit leur privation de liberté contre leur volonté, le danger que constitue le Front Polisario, aidé par l´Algérie, Cuba et la Libye, pour les intérêts et la sécurité des Etats-Unis et pour la propagation du terrorisme.
Le «Moroccan American Center for Policy» est le relais de la propagande marocaine aux Etats-Unis, principalement en direction du Congrès et des médias. Il aide aussi au recrutement des lobbyistes pour faire bouger les membres du Congrès, surtout en prévision de certaines échéances comme la réunion du Conseil de sécurité sur le Sahara occidental ou les négociations Front Polisario-Maroc. En 2007, 168 membres du Congrès ont signé une lettre adressée à la Maison-Blanche pour lui demander d´appuyer le plan d´autonomie présenté par le Maroc à l´ONU, soutenant qu´il s´agit de la solution miracle pour le problème du Sahara occidental, qu´il faut régler pour empêcher Al Qaîda de s´installer au Maghreb. L´architecte de ce travail fut le cabinet Tew Cardenas de Miami, recruté pour l´occasion. Il est dirigé par des exilés cubains, parmi lesquels le Maroc recrute, depuis des années, le noyau dur de ses lobbyistes. Lincoln Diaz-Balart (2003-2011), qui était le président du Moroccan-Caucus au Congrès, et son frère Mario Diaz-Balart qui l´a remplacé en 2011, ainsi que le sénateur Mel Martinez comptent parmi les défenseurs des thèses marocaines, Rabat jouant sur leur rejet de tout pays ou entité liés au régime castriste.
Le Maroc peut compter sur la diaspora juive
Le Maroc peut compter aussi sur le Moroccan American Trade and Investment Center (MATIC) qui a été créé pour promouvoir le secteur privé marocain après la signature de l´accord de libre-échange Maroc-Etats-Unis en 2006, accord qui est lui-même le fruit du lobbying.
Il peut compter aussi sur des individus recrutés grâce aux largesses dont ils bénéficient et à la diplomatie de la Mamounia de Marrakech. Sur la diaspora juive, d´origine marocaine aussi, qui lui sert de relais avec les lobbys juifs dans le monde. Les monarques successifs ont toujours protégé la communauté juive. Lorsque le roi Hassan II s´est rendu en visite aux Etats-Unis à la fin des années 90, il a organisé une réception pour ses compatriotes juifs qui ont multiplié les manifestations d´attachement à leur terre natale (à se demander pourquoi ils l´ont quittée massivement).
Depuis 2007, Rabat a considérablement intensifié son travail de lobbying. Sur la base des informations rendues publiques en 2010, si on classe les pays arabes selon les contacts pris en leur faveur par les lobbyistes, le Maroc vient largement en tête avec 653, suivi des Emirats arabes unis avec 407 et de l´Egypte avec 366. A titre de comparaison, il a été comptabilisé 50 contacts au titre de l´Algérie. Toujours en 2010, le Maroc a eu recours à 7 cabinets de lobbying et à d´anciens membres du Congrès à titre individuel. Il poursuit donc ses efforts en faisant feu de tout bois. On a vu récemment, comment il a profité de la crise libyenne pour impliquer l´Algérie. Il faut s´attendre à d´autres «exploits».
(*) Ancien ambassadeur