L'Expression

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Propagandes (4)

Bien que démuni de moyens audiovisuels, le village pouvait être considéré comme privilégié par rapport aux hameaux situés plus haut, dans la montagne. En plus du café maure, l´école bénéficiait, une fois par an, du passage d´un couple itinérant qui organisait des projections de films didactiques aux enfants. Ces films avaient pour but, principalement, d´inculquer aux enfants africains, les règles élémentaires d´hygiène qui faisaient défaut dans des villages où le système d´égout n´existait pas (c´est cette situation qui pouvait paraître paradoxale: un village aussi important ne disposant pas d´égouts ne pouvait prétendre à une quelconque hygiène!)
Devant cet état de fait, certains jeunes lettrés, des instituteurs firent des démarches auprès de la municipalité (le maire était un médecin français et les conseillers municipaux, indigènes ou français), pour la construction d´une maison de la culture. Ceci se passait deux ou trois ans avant la guerre. Très vite, on vit pousser sur la place publique, à l´ombre du frêne tutélaire, une maison rectangulaire, aux couleurs vives, qui tranchait singulièrement avec les maisons en pisé du village : sur un socle en béton, on avait posé des structures en bois, avec pour toit, des tôles en «éternit». Très vite, deux fois par semaine, des projections de films eurent lieu. Comme les instituteurs français avaient une part active dans l´animation de ce «foyer rural» comme on l´appelait, le choix des films projetés leur incombait. Ainsi, les westerns et les films égyptiens furent remplacés par des comédies ou des drames français : Gabin, Fernandel et Michèle Morgan remplacèrent vite les James Stewart et John Wayne. Et, en plus, comme avant les projections, on diffusait de la musique, Trenet, Piaf et Montand s´insinuèrent dans le répertoire de la jeunesse du village. Tout cela, évidemment, se passait sous l´oeil réprobateur des vieux qui voyaient dans la réalisation du foyer rural comme le premier signe de l´installation de la débauche dans une communauté jusque-là respectueuse des règles de bienséance. Et c´est pour cette raison que, dès que l´étincelle de la guerre s´alluma, la première victime fut le foyer rural qui disparut dans un incendie mémorable qui fit l´effet d´un feu d´artifice. Sa disparition fut officiellement bien accueillie par les villageois qui se mirent à considérer avec une consternation feinte les restes fumants de ce qui avait été, pendant quelque temps, un lieu d´évasion et de rencontre. Les villageois avaient pu garder leur école intacte contrairement aux autres villages, mais cet incident sonna comme une rupture. Ceux qui singeaient les Français en fredonnant leurs mélodies ou en adoptant des comportements identiques s´effacèrent, surtout quand le commissaire politique du Front prit l´initiative de réactiver la zaouïa où des cours d´arabe furent prodigués dès les grandes vacances. Avec la guerre disparurent les projections de films. Mais d´autres formes de propagande apparurent. Les premières de toutes furent les inscriptions sur les murs : les autorités militaires prirent tout leur temps pour dessiner, en grandes lettres bleues et rouges sur fond blanc, un slogan qui irrita longtemps les villageois qui devaient passer devant cette menuiserie qui marquait la limite ouest du village. Ce slogan tracé sur le mur blanchi tranchait avec la monotonie des murs du village. «Kabyles, Fançais à part entière» posait déjà les problèmes d´identité à ceux qu´on appelait avant «indigènes» ou «Français-musulmans». Cette inscription sonna comme une insulte aux yeux des nationalistes qui répliquèrent aussitôt par des slogans violemment catégoriques, hâtivement tracés à la peinture noire sur les murs des rares édifices crépis: «Pas de négociations sans la reconnaissance de l´indépendance de l´Algérie» ou «Le FLN est l´unique représentant du peuple algérien». «Le FLN veille et l´ALN surveille». Le lendemain, les militaires obligeaient quelques citoyens pris au hasard à noircir davantage les murs gris en effaçant les belliqueux slogans.

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