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DE GROSSES VOITURES LIBYENNES MONTÉES SUR DES CHÂSSIS ALGÉRIENS

"Talbasse": le nouveau trafic aux frontières

C'est un des «métiers» à la mode en ce moment. On parle là du transfert de caisse. C'est mieux que du CKD, fait par des experts venus des quatre coins de l'Afrique. Suivez-nous dans les méandres d'un trafic presque...légal!

Après plus d'une semaine à Tamanrasset, on commence très rapidement à se faire des amis. Pour eux nous sommes des «chnawi» (gens du nord, Ndlr) qui désirent s'installer en ville. Ils ne sont pas avares en matière de conseils, notamment en ce qui concerne les voitures. «Vous voulez un beau 4x4 Toyota comme neuf? J'ai des amis qui peuvent vous en procurer un», nous indique Abdellah en nous montrant le sien. Un magnifique Land Cruiser immatriculé en 2001, mais qui donne l'impression de ne pas avoir plus de cinq ans d'âge. Comment se fait- il? L'ancien propriétaire a peu roulé avec? C'est un véhicule qui était caché dans un garage? Abdellah réfute catégoriquement. «C'est une voiture algérienne à l'âme libyenne...», répond-il avec beaucoup d'humour non sans souligner que l'on appelle cela «Talbasse». Mais qu'est-ce que ça veut réellement dire? «En fait, c'est simple, on ramène de très beaux 4X4 de Libye, mais ils sont d'occasion. Néanmoins, l'importation de ce type de véhicules étant interdite, ils n'ont pas d'existence légal», souligne notre ami. Alors, des petits malins ont trouvé une solution pour pallier ce gros problème! «Ils prennent de vieux tacots, ils les déshabillent complètement gardent seulement le châssis, puis transfèrent toute la carrosserie de la belle vouture étrangère sur ce châssis», explique ce jeune de TAM qui soutient que cela existait depuis toujours mais a pris de l'ampleur avec la guerre en Libye. Et encore plus ces dernières années avec le maillage des frontières par les forces de l'Armée nationale populaire (ANP) qui a donné un gros coup d'arrêt à la contrebande. «Il faut bien que l'on vive», rétorque Kader, ancien contrebandier qui dit s'être reconverti dans cette activité qui flirte entre le légal et l'illégal. Incroyable!
Le «montage» de véhicule «Made in bladi» se fait donc depuis plusieurs années au niveau de nos frontières... Chose qu'il nous est difficile de croire! On pense plutôt à une histoire que l'on raconte aux touristes. Mais nos deux amis ne sont pas les seuls du côté de l'Ahaggar à se vanter de pratiquer ou d'avoir recouru à cette pratique. On décide alors de «fouiner» un peu la chose.
On retourne chez Kader, l'ex-contrebandier. On lui fait part de notre volonté d'acquérir ce type de véhicules. Tout content, il nous demande nos critères de choix. On répond ne pas être trop exigeant. Juste un beau tout-terrain en bon état qui ne nous coûtera pas les yeux de la tête. «Pas de soucis, je vous recontacterai dans les prochains jours», dit-il avec beaucoup de détermination. Chose promise, chose due! Dès le lendemain, il nous recontacte en affirmant avoir trouvé la perle rare. «Un beau Toyota Prado de 2013, toutes options, qui a très peu roulé, à 170 millions de centimes, négociable», fait-il savoir. C'est l'affaire du siècle! Mais il ne faut pas trop se réjouir. Ce n'est pas le prix final. Il faut lui donner des papiers algériens. Pour cela, on doit trouver un châssis immatriculé en Algérie sur lequel la carrosserie de notre Prado pourra être «montée» sans problème. Pas de panique! Kader a plus d'un tour dans son sac. Il dit disposer d'adresses d'«artistes» (en parlant de mécaniciens, Ndlr) chez qui on trouvera notre bonheur. On se donne rendez-vous à l'aube. Il vient nous chercher dans un puissant et très beau 4x4 Mitsubishi. «Hada rani mlabslou» (C'est un véhicule auquel j'ai changé toute la carrosserie», précise-t-il très fièrement. On prend la route de l'Askrem, puis nous embarquons au milieu du désert du Hoggar. Après presque quatre heures de route, on arrive au milieu de...nulle part. On se demande pourquoi sommes-nous ici? La panique nous gagne doucement! On ne retrouve nos esprits qu'en découvrant un garage mécanique clandestin au milieu du Sahara. Impossible de se rappeler du chemin emprunté, si l'on n'est pas de la région.
Surprise: on n'est pas devant un petit garage de mécanique, mais c'est presque une unité de montage. Une vingtaine d'employés y travaillent comme des fourmis. Ce sont en majorité, des migrants maliens et nigériens. Cependant, le patron est algérien. «C'est comme cela dans tous les au-tres garages de ce type. Les patrons sont des Algériens qui font travailler des migrants», précise notre accompagnateur. On va à la rencontre du patron. «Mrahba (bienvenue). Oui, j'ai ce qu'il vous faut. Le châssis algérien vous coûtera dans les un million de dinars», souligne-t-il. «Pour ce qui est de la main- d'oeuvre, puisque vous achetez le châssis chez moi, je vous fais un prix. Je vous la compte à 100.000 dinars», poursuit-il. A noter que nous avons appris au cours de notre enquête que les tarifs variaient entre 100.000 dinars à 250.000 dinars, selon le garagiste et surtout le type de voiture. Il faut dire que ce que l'on appelle communément changer la caisse, demande beaucoup de travail. Car, c'est à partir de la coque nue que le travail commence. Il faut transférer toute la mécanique, les faisceaux électriques, l'isolation thermique et phonique, remettre toute la tôle à sa place, récoller les pare-brises...Bref, c'est plus que du CKD! Le prix comparativement au travail est des plus raisonnables. Surtout qu'au final, notre 4X4 presque... neuf nous reviendra dans les 280 millions, ou au maximum 300 millions. Une véritable affaire pour un véhicule vendu, neuf, à un... milliard de plus! Dès lors que selon nos informations, des centaines de personnes qui ont recouru à cette pratique, n'ont rencontré aucun problème. «Le montage est bien fait, il est réussi à presque 100% des cas», assurent-ils tout en précisant qu'une garantie au km a été offerte par ces garagistes. Chose que confirme le nôtre. «Elle est de 10.000 km pour tout ce qui concerne les problèmes de montage», atteste-t-il. On le remercie, en demandant un temps de réflexion avant de prendre notre décision.
Au moment de le quitter, il nous précise que la durée des travaux ne dépassera pas les 24h. «Vous le déposez à 6h du matin, vous récupérez votre nouveau véhicule le lendemain à la même heure», indique ce spécialiste qui se vante d'avoir déjà «fabriqué» plus de 5000 voitures... On prend un autre chemin au milieu du «Ténéré». En bon commercial, notre chauffeur en profite pour essayer de nous «baratiner». Il parle entre autres de trouver un châssis moins cher. «Vous voyez, si vous disposiez déjà d'un véhicule du même type. Cela vous reviendrait beaucoup moins cher. Mais je vous assure que vous faites une très bonne affaire», garantit-il avant de nous emmener voir de visu cette affaire. On arrive quelque part dans un petit local où est entreposée une dizaine de 4x4, tous immatriculés en Libye. Il nous présente notre modèle. C'est un véritable bijou, flambant neuf. On est subjugué, mais on demande encore une fois, un temps de réflexion avant de prendre une décision. On reprend la route, cette-fois-ci pour Tam ville. On lui fait alors part de nos appréhensions quant à la légalité de la chose. Il rassure que c'est légal. «On n'a rien fait d'illégal. On a juste changé les pièces usées d'une voiture par d'autres dans un meilleur état. C'est comme aller à la case automobile», tente-t-il de justifier. On lui sort alors une affaire qui circule sur les hauteurs de l'Ahaggar comme quoi quelqu'un qui se ferait arrêter à cause d'une voiture du genre, croupirait en prison. «Je ne pense pas que ce soit vrai. Sauf, si c'est une voiture volée. Dans certains cas, ce sont celles qui ont été dérobées aux représentations diplomatiques en Libye qui peuvent poser problème car elles sont déclarées à Interpol», admet-il. En fait, il faut savoir que ces voitures ont presque toutes été volées dans le chaos Libyen, d'où le prix dérisoire avec lequel elles sont cédées. «Elles entrent soient avec de faux papiers libyens soit par les quelques petites failles que laisse exprès l'Algérie afin de permettre aux jeunes habitants, des zones frontalières de continuer à commercer avec des produits qui ne sont pas dangereux», atteste celui qui a eu à «récupérer» plusieurs de ces voitures par ce système.
Néanmoins, vis-à-vis de la loi, il n'y a aucun problème puisque le châssis reste le même que l'immatriculation. Ce qui fait de ce «métier» un trafic presque légal. Au grand bonheur des jeunes de la région, qui ont trouvé une reconversion...

C'était l'apanage des émigrés
Ce n'est pas un phénomène nouveau

Les anciens doivent s'en souvenir. C'est Renault 4 qui partait faire un lifting en Espagne. C'était la même pratique de changement de caisse qui était
effectuée pour transformer un gros tas de ferraille en une voiture presque neuve. Certains de nos compatriotes établis à l'étranger le font encore lors de leurs vacances au «bled». Ils ramènent avec eux de belles voitures d'occasion payées à des sommes modiques qu'ils revendent ici à prix fort. Il y a un transfert de caisse qui est fait, la belle voiture étrangère reste ici avec une identité algérienne et l'autre part en Europe avec des papiers UE avant d'être jetée à la casse. Ce n'est pas un nouveau phénomène! La primeur revient donc à certains de nos émigrés...

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