L'Expression

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Son message sur l’Algérie est toujours d’actualité

Penser l’avenir avec le colonel Lotfi

En relisant ces lignes tirées de l’ouvrage en huit chapitres du colonel Lotfi, dédié au développement économique de l’Algérie post-coloniale et écrit au maquis voici plusieurs décennies, on constate qu’elles n’ont pas pris une ride. Encore d’actualité sur des thèmes essentiels, cet ouvrage prospectif fut un vrai plaidoyer pour l’avenir.

Dans ce plaidoyer, des problématiques importantes apparaissent. Pourtant, malgré leur pertinence et leur caractère rationnel, elles ont peu retenu l'intérêt des institutions concernées après l'indépendance, sauf durant l'immédiat après-guerre où les dirigeants, principalement Boumediene, s'étaient dotés d'une vision similaire à celle préconisée par Lotfi, même si leur principale source d'inspiration était le Programme de Tripoli adopté en juin 1962 par le CNRA (instance suprême de la Révolution), auquel est venue se greffer la théorie des «industries industrialisantes» de l'économiste français Gérard de Bernis (1928-2010). De quelles problématiques s'agit-il? Il s'agit, en premier lieu, de l'anticipation des buts à moyen et long terme. Car c'est elle qui éclaire l'action aux yeux de tous et lui donne une direction et une signification.
Des intentions aux actes
À ce propos, c'est un truisme de rappeler la formule classique du philosophe romain Sénèque (mort en l'an 65 apr.J.-C.) selon laquelle «il n'y pas de vents favorables pour celui qui ne sait pas où il va». Il s'agit, en second lieu, du diagnostic qui permet de définir des objectifs précis, de prendre des décisions opérationnelles et d'évaluer les résultats obtenus par rapport à ces objectifs. En d'autres termes, c'est bien à une démarche stratégique que s'apparente l'approche de Lotfi. Mais ce qui est déductible de sa réflexion ne s'arrête pas à ce stade. Car les interventions incontournables de l'État post-colonial dans la vie économique ne doivent pas se faire au hasard des attentes et des occurrences, ni faire l'objet de décisions parcellaires ou improvisées. Pour être efficaces, elles doivent constituer un assortiment cohérent dont les diverses composantes ne se neutralisent pas comme on le constate souvent dans nos appareils administratifs.
Dès lors, que conviendrait-il de faire afin de concrétiser ladite démarche sur le terrain et promouvoir ainsi l'économie nationale en fonction de l'intérêt de tous? C'est, à l'évidence, de réunir les conditions les meilleures de passage des intentions aux actes, de la théorie à la pratique, de la bonne volonté à son accomplissement, de l'improvisation à l'organisation. Faute de quoi, c'est le gaspillage d'énergie, de temps, de ressources et, au bout du compte, l'échec. Où dénicher ces conditions sinon à travers la construction d'une perspective globale dont tous les éléments s'épauleraient les uns les autres. Cette perspective globale c'est, en l'occurrence, celle esquissée par Lotfi et qui, selon lui, est de nature à permettre à l'Algérie post-coloniale d'entrer de plain- pied dans l'âge industriel. Mais pour ce faire, elle doit être étayée par un dispositif susceptible de garantir le succès en servant de rempart contre des décisions sans unité, ni coordination, pouvant conduire à des situations chaotiques, c'est-à-dire des situations ingérables. En bref, une telle perspective globale porte un nom universellement connu depuis un siècle déjà, c'est-à-dire depuis la Révolution de 1917 en Russie et depuis le krach boursier de 1929 à New York: c'est le Plan. Toutefois, il ne s'agit pas du Plan d'autrefois conçu en Algérie par exemple, entre 1967 et 1989, pour 3, puis 4, puis 5 ans selon le modèle traditionnel inspiré de l'expérience des pays socialistes, mais d'un Plan obéissant aux principes de la planification dite indicative en usage dans la plupart des pays. Son but est de corriger les défauts du marché sans tomber dans les excès de la planification dite impérative qui a partout montré ses limites. Quoi qu'il en soit, on peut se demander aujourd'hui, en prenant du recul au milieu de la complexité qui nous assaille de partout, si en Algérie, depuis les ruptures de 1989, l'empirisme excessif n'a pas fini par prendre le dessus sur un dessein économique d'ensemble harmonieux. À ce propos, la situation préoccupante actuelle de notre économie est la conséquence de nos procédés passés. C'est pourquoi une réflexion aussi pertinente que celle que nous a léguée le colonel Lotfi peut être utilement revisitée. Elle permettra de bien se rendre compte de l'imprudence qu'il y a pour nos divers appareils à s'en tenir trop longtemps aux modes opératoires issus des démantèlements opérés à la fin des années 1980, et à se passer de toute vision stratégique pour se contenter d'une conception rituelle de la gestion dans l'urgence du bien commun. Cela ne signifie aucunement qu'il faille s'en remettre aux idéologies, ni que le pragmatisme est nocif en toutes choses. Cela ne signifie pas non plus que tout ce qui a été fait antérieurement soit négatif. Cela signifie tout simplement que persister dans la même conception de gérer la chose publique revient à s'enfermer dans une banale logique conservatoire, plus ou moins indifférente aux enjeux géopolitiques et aux évolutions caractéristiques des temps nouveaux qui appellent nécessairement des adaptations pour repartir du bon pied.
Une perte flagrante de repères
Nos gouvernants ne l'ignorent sans doute pas qui font du renouveau leur credo et qui s'efforcent assurément d'opérer en conséquence. Il est cependant bon de rappeler que les évènements et les mutations des trente dernières années ont créé en Algérie et dans la région arabe, ainsi que partout dans le monde, une conjoncture nouvelle. Autant dire que les modèles de gestion et les concepts qui ont servi si longtemps de référence à nos organisations politiques, à nos administrations et à nos «élites», ont manifestement perdu leur pertinence et leur emprise sur les faits. Aussi, les circonstances actuelles, internes et externes, mettent-elles désormais les acteurs de la vie publique devant l'obligation d'être de leur temps. Car, comme dit J.H. Glenn, «il vaut mieux aller au-devant de l'avenir que d'attendre... ce qui arrivera». C'est pourquoi consacrer par exemple beaucoup de temps et d'énergie à des réaménagements législatifs et réglementaires comme on le fait depuis quelques décennies est certes enrichissant. Mais est-ce suffisant? Ne faudrait-il pas en parallèle approfondir davantage les choses en regardant à la fois au près et au loin, à proximité et à distance, le cours terme et le temps long afin de poser solidement des fondations sur lesquelles il serait possible d'édifier ensuite une construction durable où la confiance et des perspectives seront rendues aux jeunes Algériens tentés de plus en plus par l'émigration. Il est vrai qu'anticiper ce que sera l'Algérie dans l'avenir, comme l'a fait Lotfi en son temps, est bien peu excitant pour nos politiciens, lesquels sont soucieux avant tout du quotidien et du court terme, oubliant souvent l'exigence et le devoir de garantir d'abord au pays une base sûre pour les chantiers qui attendent dans un monde où la compétition devient encore plus féroce.
À considérer en effet la vie politique qui se déroule au sein de nos partis, y compris dans le plus ancien et le plus expérimenté d'entre eux, on est sidéré par son manque de vitalité. Elle se résume tout juste à une course effrénée aux postes, ainsi qu'à des rivalités et à des querelles de clans ou de personnes qui se traduisent par une absence patente d'ambition effective pour l'État, ses institutions, sa stabilité et sa force. Il en résulte en tout cas pour la société une perte flagrante de repères. Or, le rôle des partis dans une Algérie en construction n'est-il pas avant tout de produire des idées créatrices, de formuler des buts collectifs et des valeurs partagées, d'interpréter correctement les aspirations légitimes de la population, de donner du sens, de contribuer au développement de la conscience civique et morale des Algériens et d'entretenir au sein de la nation la cohésion des rangs autour de l'État pour lui permettre de se remettre des secousses multiples qu'il a endurées depuis l'indépendance, avant d'être en capacité d'avancer? La mission incombe aussi aux partis de sensibiliser l'opinion aux enjeux et aux risques qui planent sur notre économie sans tomber évidemment dans le travers de l'alarmisme. Elle est de compléter la formation des militants et des élus, de contrôler l'Exécutif à travers leurs élus et, au besoin, de l'aider à corriger ses défaillances sans verser dans des affrontements stériles, ni chercher à se substituer à lui ou à s'immiscer dans la gestion. Dans cette perspective et dans la phase malaisée que traverse le pays dans un environnement incertain, les partis ont également vocation à mobiliser les Algériens autour des transformations d'avenir que les pouvoirs publics, instruits par les expériences bonnes et moins bonnes du temps post-colonial, auront élaborées selon une approche adossée à des objectifs coordonnés assortis de moyens appropriés et portée par des hommes et des femmes convaincus et motivés comme ce fut le cas au temps de Lotfi. Cependant, anticiper comme ce dernier a eu l'idée de le faire ce que sera l'Algérie dans un avenir plus ou moins lointain, ne renvoie pas seulement à la nécessité pour les partis politiques de se mettre à niveau. Cela renvoie également à un acteur essentiel au sein de l'État, à savoir l'administration publique qui en est la véritable ossature. Toutes proportions gardées et dans des contextes tout à fait différents, il n'est pas exagéré de dire que celle-ci a fait pour le pays en temps de paix ce que l'ALN a fait pour lui en temps de guerre. Si en raison de circonstances objectives, cette dernière s'est trouvée dans une situation où il lui fallait impérativement poser à partir de rien les bases de l'État algérien naissant, l'Administration en a construit laborieusement l'édifice étage après étage dans des conditions où tout était à monter, brique par brique, pièce par pièce. C'est cela qui l'a sans doute épuisée au point d'apparaître aujourd'hui totalement affaiblie dans l'accomplissement correct de ses fonctions, dans le respect de sa déontologie, dans la vitalité et l'efficacité de ses structures, ainsi que dans ses relations avec le public.
Légitimes aspirations
Elle peine sérieusement à maintenir son statut de régulateur de la société pendant que des acteurs émergents du secteur privé qui empiètent de plus en plus sur son domaine en s'en prenant à ce qui a toujours fait sa noblesse et sa crédibilité, c'est-à-dire son impartialité et son intégrité. Autant d'éléments d'une crise réelle qui ébranle sévèrement la Fonction publique, exposée à des reproches récurrents de la part de l'opinion et même des plus hautes instances du pays dont elle complique sérieusement la tâche. En butte à la contestation provenant de toutes parts, notre Administration devenue pesante et nos services publics moins efficaces qu'aux premiers temps de l'indépendance, voient leurs lacunes se combiner fatalement avec celles des partis et autres acteurs pour créer une situation qui mine la confiance et, du coup, contrarie la cohésion, l'ordre et la rationalité dans l'État. Les gouvernants et aussi beaucoup d'agents publics à tous les niveaux sont assurément très préoccupés par un tel constat qui est bien douloureux pour quiconque a consacré sa vie au service de l'État. Le Conseil des ministres du 30 avril 2023 s'en est d'ailleurs explicitement ému qui a montré sa détermination à réagir vigoureusement en moralisant notamment la vie publique. Toujours est-il que c'est en cogitant sérieusement tous ensemble sur les origines du mal qui ronge à la fois les partis et l'Administration, et aussi sur les solutions, que les acteurs concernés parviendront à coup sûr - et sans basculer dans la candeur ou l'idéalisme béat - à identifier les éléments d'une stratégie corrélative de réformation et de progrès. Alors, le message toujours vivant du colonel Lotfi aura servi à quelque chose et les sacrifices de tous les martyrs de l'Algérie n'auront pas été vains. 

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