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Algérie-Russie

Le sens d’une relation

La géopolitique mondiale permet de comprendre la relation algéro-russe.

La rencontre au sommet ayant eu lieu du 13 au 15 juin 2023, à Saint- Petersburg, entre l'Algérie et la Russie a été assimilée par des commentateurs à un basculement de notre pays dans le camp russe. De là à brandir l'idée d'une allégeance, ou que la diplomatie algérienne a renoncé au rôle constructif de lien dont elle s'est toujours parée pour devenir un enjeu, il n'y a qu'un pas que d'aucuns se sont hâtés de franchir. Sans prétendre déconsidérer les opinions d'autrui, on peut néanmoins se demander si un tel jugement n'est pas trop brutal, voire superficiel, ou bien s'il n'émane pas d'un parti-pris idéologique ou machinal plus que d'une approche raisonnée. Aussi, une approche sereine des faits de l'histoire et de la géopolitique mondiale permet-elle de mieux comprendre les circonstances qui conditionnent la relation algéro-russe dans l'intégralité de leur dimension objective.
À ce propos, et à toutes les époques, la politique extérieure d'un pays se mène dans un monde mouvant. Autant dire que les relations entre les États ne sont jamais figées. Elles évoluent au gré des réalités changeantes et des doctrines, ainsi que des préoccupations et des ambitions nationales.
La diplomatie algérienne ne déroge pas à cette règle. Dès sa naissance, elle s'est modelée sur des données stratégiques qui ont assigné aux États issus de la décolonisation une démarche visant à échapper à la logique d'inféodation aux puissances métapolitiques apparues à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. On se souvient que ces puissances (Urss et USA) se sont partagées le monde à Yalta (février 1945) et Postdam (août 1945) et ont formé à partir de 1947 deux camps autour de deux idéologies opposées:
1-le camp capitaliste aiguillé par les États-Unis;
2-le camp socialiste assujetti à l'Union soviétique. Ce sont deux modèles de gouvernance politique et économique dont les rapports étaient fondés sur un triple principe:
1-le principe du statu quo où il n'y a ni déclaration de guerre, ni traité de paix;
2-le principe de la coexistance pacifique préconisé en 1953 par le gouvernement soviétique;
3-le principe de la «détente» prêché en 1969 par le chancelier allemand Willy Brandt et qui a été entériné en 1975 par la conférence d'Helsinki dont les résolutions servent aujourd'hui encore de base aux activités de l'Osce (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe).
En bref, c'est dans le contexte d'un conflit atypique qualifié dès 1947 de «guerre froide» par le journaliste Walter Lippmann que chacun des deux camps allait organiser sa stratégie et affirmer son influence selon sa propre approche où se combinent des éléments d'ordre politique, économique et militaire.
L'entrée en scène du monde sous-développé
Mais au cours de la période 1945-1962, soit en moins de deux décennies, un troisième acteur qui allait bousculer quelque peu ce système bipolaire, fait une entrée remarquée sur la scène internationale. Il s'agit du groupe des pays issus du processus de décolonisation. Ce processus a été lancé en Asie en 1946 avant de se poursuivre en Afrique et de connaître un aboutissement presque total avec l'indépendance de l'Algérie en 1962. Il a démarré à la faveur de cinq conférences stimulatrices organisées entre 1947 et 1955 successivement à New Delhi, Colombo, Bogor et Bandoeng. Celle de Bandoeng à laquelle l'Algérie en guerre avait pris part en guise d'observateur au titre du FLN a donné naissance à un courant neutraliste formé par les pays engagés sur la voie d'accès à l'indépendance et ceux qui refusaient tout alignement sur l'un ou l'autre des deux blocs antagoniques. Tous appartenaient en fait, peu ou prou, au monde sous-développé qui sera qualifié en 1952 de Tiers-Monde par l'économiste Alfred Sauvy. Un monde qui voulait reprendre possession de ses richesses naturelles et affirmer sa réalité et son existence en restant à l'écart des rivalités des puissances mondiales du moment. L'Algérie appartenait naturellement à ce monde dont elle a endossé l'idéologie établie à Bandoeng (1955) et dont elle deviendra après 1962 l'un des plus fervents défenseurs. Une telle idéologie qui répudie clairement toute idée de tutelle ou d'allégeance repose en substance sur trois principes:
1- l'afro-asiatisme,
2- le non-alignement, 3-la décolonisation économique. Elle sera précisée en 1961 à la conférence de Belgrade avec, notamment, Nehru (Inde), Nasser (Egypte), Nkrumah (Ghana) et Tito (Yougoslavie), lequel avait rompu en 1948 toute inféodation à l'Urss, pour des motifs politiques se rattachant aussi bien à la doctrine qu'à un projet de fédération balkanique. C'est dire que l'Algérie a accédé à l'indépendance à ce moment précis de l'histoire contemporaine où des antinomies morcelaient le paysage géopolitique non seulement entre l'Est et l'Ouest, mais aussi entre le Nord et le Sud de la planète. La fragmentation porte sur des domaines essentiels où la diplomatie et l'économie figurent au premier rang. Concernant cette dernière, trois grandes zones se sont alors nettement cristallisées:
1-la zone des pays industrialisés à économie de marché;
2- la zone des pays plus ou moins industrialisés à économie socialiste; 3-la zone des pays du Tiers- Monde qui n'avaient pas encore enclenché leur processus de développement.
Le souci de l'autonomie de décision
Dans de telles conditions, quel parti restait- il à prendre pour notre pays, sinon celui de l'émancipation et du progrès pour lesquels il paya le prix fort entre 1830 et 1962. C'est ce qu'il a fait sans hésitation dès 1955 en entrant en lice à Bandoeng; 1963 en s'impliquant résolument dans le «Groupe des 77» dédié aux pays en développement; puis 1964 en s'engageant activement dans les activités de la Cnuced; ou encore 1966 en nationalisant les principales sociétés minières, peu avant les hydrocarbures (1971); et enfin en septembre 1973 lors du 4ème Sommet des pays non-alignés tenu à Alger où les 57 États participants adoptent une charte des droits économiques. Cette charte servira au Tiers-Monde de plateforme revendicative d'un nouvel ordre économique international (Noei) auquel le président Boumediene donnera l'année suivante (1974) à la tribune de l'ONU une répercussion considérable. C'est dire que l'Algérie a été constamment un pays novateur dans le processus d'affranchissement des peuples du Sud et un acteur entreprenant sur la scène internationale. De plus, elle a eu sans cesse le souci de son autonomie de décision et de sa liberté d'action, même si la marge de manoeuvre des «jeunes» nations face aux puissants de ce monde est assurément étroite. Dès la fin de la guerre froide (1989), celui-ci s'est aussitôt métamorphosé avec le triomphe du modèle de gouvernance politique et économique occidental augurant d'un ordre mondial coopératif porteur de paix universelle qui viendrait remplacer un conflit bipolaire en vigueur depuis 1947. Or, trois décennies après cet évènemet majeur, le nouveau schéma s'est grippé pour au moins cinq raisons:
1-le leadership américain n'a pas réussi à réduire les contradictions à l'échelle internationale;
2-la montée en puissance de la Chine et autres pays émergents s'est traduite par une reconfiguration des enjeux et des zones d'influence;
3- les attentats du 11 septembre 2001 à New York ont engendré un désordre à une vaste échelle, inattendu et déconcertant;
4-le système financier international s'est déréglé en raison, notamment, des retombées de la décision prise en 1971 par le président américain Nixon de suspendre la convertibilité du dollar en or;
5- l'influence grandissante des marchés financiers et autres acteurs privés sur le fonctionnement de l'économie mondiale. C'est en tout cas dans ce climat que, à force de créativité, de sérieux et de travail, des pays ont émergé sur la scène de la mondialisation où ils tiennent à dire désormais leur mot sur les modes de gestion par les Occidentaux du monde issu de l'après-guerre froide et y défendre bec et ongles leurs intérêts vitaux. La contestation gagne aussi d'autres pays, notamment ceux de l'Afrique francophone, tandis que le «vieux» Tiers-Monde a changé en conséquence de configuration. Il se retrouve divisé en puissances montantes et en pays laissés pour compte (PLC), qualifiés tout simplement de pays «immergés». Voilà, en résumé, dans quelles circonstances historiques et géopolitiques est intervenue en juin 2023 la rencontre au sommet algéro-russe de Saint-Petersburg. Il s'agit d'un état de choses où une structure mondiale d'un genre nouveau voit le jour autour de quatre pôles:
1-l'Occident qui s'accroche à ses acquis;
2-les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa) qui ne veulent plus subir, ni passer à côté des révolutions de l'informatique et de l'intelligence artificielle;
3-les PVD (Pays en Voie de Développement dont fait partie l'Algérie) qui veulent émerger à leur tour et qui ont ainsi de redoutables défis à relever;
4 -les PLC ou Ppte (Pays Laissés pour Compte ou Pays Pauvres Très Endettés) qui essayent de survivre et qui ne savent pas comment stopper l'émigration irrégulière de leur population juvénile. Dans cette structuration, tout s'exprimera dorénavant, et partout, par la capacité d'adaptation, la hardiesse et l'efficacité. Autant dire qu'à propos de notre pays, son avenir dépendra d'une triple exigence:
1-sa capacité à se réformer;
2-sa capacité à progresser et à prospérer;
3-sa capacité à nouer des liens solides de coopération mutuellement bénéfique avec les puissances d'influence qui comptent aujourd'hui, notamment l'Occident et les BRICS, sans pour autant se désintéresser du Maghreb, des pays du Golfe ou de l'Afrique. C'est pourquoi il paraît mieux indiqué de ne pas apprécier la diplomatie algérienne et, en l'occurrence, la relation algéro-russe en considération d'éléments qui sont de l'ordre de l'opinion, mais de les observer à la lumière des faits, des tractations et des évènements à grande échelle qui se déroulent depuis plus d'une vingtaine d'années sous nos yeux. C'est d'autant plus approprié que notre pays a évolué pendant un siècle, à partir des années 1920, dans un tissu de forces contradictoires qui, l'ayant aguerri, ont forgé chez lui un tempérament politique qui lui dicte de garder constamment la tête haute et de ne pas consentir à une quelconque mise sous tutelle. Et cela, ses partenaires russes et bien d'autres encore le savent. Ils savent aussi que, par une tradition fermement enracinée et une expérience avérée, l'Algérie n'ira vraisemblablement pas jusqu'à mettre sa sécurité sous la protection d'une tierce puissance, parce qu'elle est capable de l'assurer elle-même.

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