L'Expression

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Omar Benbekhti, sociologue, à l’Expression

«Le bien-être individuel est lié à l’action collective»

Dans cet entretien, Omar Benbekhti dresse un constat sans complaisance au sujet de la question du développement social en Algérie. Il stigmatise cette culture de l'assistanat chez le citoyen, qui rejette tout sur «le système»... Pour Benbekhti, un ministère de la cohésion sociale est plus que judicieux...

L'Expression: Le développement social aujourd'hui en Algérie, constitue une dimension très peu exploitée par l'État, alors que les défis deviennent immenses. Comment expliquer ce paradoxe?Omar Benbekhti: Certes, on se préoccupe très peu du développement social; alors que la société évolue très vite et se métamorphose sous nos yeux. L'État ne se dote pas des moyens nécessaires pour l'appréhender, l'étudier et l'accompagner; bien qu'il existe une foultitude de psychologues, sociologues et autres spécialistes pour mener à bien l'observation et l'anticipation des changements sociaux en cours. L'École ne saurait à elle seule assurer cet accompagnement. Les individus capables de se positionner sur ce créneau sont déclassés, marginalisés voire méprisés. C'est dommage, car il y a tant à faire pour prendre en main un développement social harmonieux et apaisé. Le développement social est d'abord une affaire de vivre ensemble et donc de choix de société. Cela n'est toujours pas tranché car les politiques n'ont pas de projet de société, bien que le projet ait été clairement exprimé par les fondateurs de l'indépendance du pays. Les phénomènes de désordre social se multiplient, et les conditions de leur développement s'accélèrent. Il y a urgence à ce que l'État se dote d'une politique sociale qui ne se fige pas seulement sur le logement ou l'emploi. D'autres valeurs sont à prendre en considération: le civisme, la citoyenneté, l'amour du travail. L'éducation civique trouvera à s'incarner dans l'éducation tout court. Il existe par ailleurs d'autres aspects à intégrer: l'importance de la coopération et du travail de groupe; et l'inexpérience de l'élite pour produire de la pensée collective d'organisation de l'action sociale. Parmi les objectifs qui mobilisent la compétence de groupe (la coopération) figure le bien-être de la communauté. Dans les sociétés avancées, on a compris que le bien-être individuel est lié à l'action collective, au travail de groupe. Construire des réseaux de coopération, renforcer les capacités des citoyens, encourager le travail en groupe, promouvoir les actions collectives sont des leviers du développement social. Plus les individus coopèreront, plus leur expérience en tant que groupe sera renforcée et plus leurs actions collectives seront efficaces.

Les conditions socio-économiques qui ont prévalu à la mise en place de l'Agence de développement social (ADS) ne sont plus de mise. Quelles missions pourrait-on réattribuer à cette agence?
Cette agence a fait du bon travail dans l'ensemble. Il est important de la maintenir en la dotant de moyens financiers et surtout humains. Elle peut constituer un potentiel efficace de propositions concrètes pour asseoir cette politique sociale évoquée plus haut. L'État doit saisir cette opportunité pour renforcer les missions de l'agence, en faire un outil de connaissance et de réalisation du développement social à l'échelon local, au plus près des populations et du citoyen pour qu'il se sente davantage partie prenante. La concurrence ne peut venir d'une masse désorganisée. La concurrence vient d'une élite unifiée qui maîtrise l'art de la coopération et du travail collectif. L'élite est atomisée et fragmentée. Il existe pourtant des individualités hors norme. Reste à les mettre en réseau et à commencer l'apprentissage du travail collectif, de la coopération. Si vous avez des compétences, un savoir utile, une volonté d'avancer et un thème ou un secteur qui vous tient à coeur (écologie, artisanat, économie, business, littérature...) cherchez des personnes autour de vous qui partagent ces qualités et regroupez-vous pour discuter et faire avancer votre cause. Dans le système qui a pour finalité de créer une société harmonieuse, l'individu a une fonction à exercer avec des missions, des objectifs et des obligations au même titre que les décideurs et les gouvernants. Cette fonction, c'est la citoyenneté qui est l'engagement et la participation civique et politique dans la gestion des affaires de l'État. Elle est une fonction qui s'exerce. Qui dit exercice, dit effort, action, sacrifice. Les individus ont des comportements passifs vis-à-vis de leurs environnements et pensent que l'État est responsable de tout! Ces individus sont démissionnaires dans la société. Ils vivent dans la culture de l'assistanat. On pense plus à «occuper un poste» qu'à «exercer une fonction». Les exemples ne manquent pas, où les habitants comptent sur l'État pour changer des ampoules dans les cages d'escalier, pour peindre les murs et nettoyer les parties communes. Les habitants de certains quartiers acceptent de vivre dans des immeubles délabrés, sales et où rien ne fonctionne, ascenseur en panne, insalubrité, obscurité... On a du mal à intégrer l'idée de la propriété collective. Les routes, les immeubles, les hôpitaux, nous appartiennent. Nous avons le droit d'en jouir mais nous devons assumer l'obligation de les protéger et de les entretenir! Nous sommes tous responsables du suivi, du contrôle et de l'évaluation du travail des maires, des directeurs des antennes des différents ministères, du comportement incivique des autres individus.

Doit-on aller vers un ministère du Développement social au lieu de celui de la Solidarité nationale?
Je ne pense pas; la solidarité nationale englobe le développement social, et c'est plus important, voire stratégique de raisonner en termes de solidarité pour un développement social cohérent. L'un n'est pas exclusif de l'autre, mais ce serait créer des doublons bureaucratiques qui se chevaucheraient annulant de facto leurs ambitions et leurs missions. Le développement social est une dimension essentielle de l'évolution sociale. Il consiste à ne laisser personne sur le côté de la route. C'est pourquoi je parlerai plutôt d'un ministère de la cohésion sociale. Le défi: c'est l'espoir de vivre mieux, l'espoir de plus de liberté, plus de dignité, plus de justice, plus de confort, plus d'expérience positive. Ajoutons à cela la capacité de coopération des individus et l'efficacité du travail collectif. L'encouragement et le développement de la dynamique associative permet de renforcer les compétences collaboratrices de l'individu et d'en faire un citoyen actif et conscient de sa position. Cette compétence va irradier sur l'organisation économique et politique et les valeurs générées par les effets d'une bonne collaboration seront constatées à tous les niveaux. La situation socio-économique d'un pays ne saurait être l'oeuvre d'un seul acteur tel que le système de gouvernance mais plutôt le résultat d'une oeuvre collective. Or, tout le monde parle des défaillances du système. On pointe du doigt les dirigeants incompétents, des pratiques et de procédures inefficaces, des politiques qui ne sont pas en adéquation avec la réalité... on accuse l'État et son gouvernement. Le mouvement associatif a été délibérément découragé, cela explique pourquoi le rôle de l'ADS devra être renforcé.

Pensez-vous que le développement et la valorisation des potentiels de l'ESS pourraient amorcer une nouvelle dynamique en matière de valeurs ajoutées?
Les seules valeurs ajoutées sont celles que produit l'économie et le travail. Les valeurs du développement social sont immatérielles mais incontournables si l'on tient à asseoir de la citoyenneté et du civisme. Le vivre ensemble dans l'harmonie exige ces valeurs que seul un développement social pris en main par un État visionnaire, stratège et qui tient à mener un projet social partagé par tous et consensuel; sera en capacité d'assumer cette évolution. Une société où les individus ont pris conscience du pouvoir de la dynamique de groupe et des effets de synergie qu'on peut tirer de la collaboration est une société qui a atteint un seuil d'évolution dynamique. Mais il n'y a pas que ça. Savoir et savoir-faire sont deux choses distinctes.
Le savoir est un ensemble d'information et de connaissance sur des faits et des phénomènes, le savoir-faire ou la compétence c'est la capacité à mettre ses connaissances en pratique pour arriver à ses fins. Savoir que les capacités de coopération sont un prérequis à la civilisation ne fait pas de nous des gens civilisés, encore faut-il savoir mettre cette connaissance en pratique. Le niveau et la qualité de coopération entre les individus dans une société traduit son niveau de civilisation et d'évolution. Faire coopérer un groupe est une chose mais faire coopérer tout en un peuple en est une autre. Un des problèmes majeurs que l'on rencontre dans la société algérienne est l'incapacité à travailler ensemble, à penser ensemble et à agir ensemble.

Quels sont les mécanismes à mettre en place, afin de revitaliser ce secteur tertiaire, qu'est l'ESS?
Revitaliser est le mot juste. Il s'agira de continuer à utiliser l'agence en la dotant de plus de moyens, en multipliant ses interventions à travers l'ensemble du territoire, donc en recrutant encore plus de personnels, en les formant davantage et en continuant le processus de formation horizontal qu'elle a commencé par un ciblage systématisé, surtout en direction des jeunes. La formation, et ses actions permanentes, est l'instrument privilégié du développement social. De ce point de vue, la fonction proximité de l'ADS demeure prépondérante. Il est important de la préserver. La solution se trouve dans la collaboration. Plus le tissu associatif est dense et développé, plus la société est forte, unie et solidaire. Les associations créent de la valeur sociale au même titre que les entreprises économiques créent de la valeur économique. L'association nécessite des compétences individuelles, mais aussi des compétences collectives, des compétences collaboratrices et coopératives. L'association comme l'entrepreneuriat, est une pratique, un art avec ses techniques. L'associateur contrairement à l'entrepreneur fait face à plus de difficultés car il n'a pas de contrepartie financière à proposer à ses collaborateurs. Il doit compter sur la conscience morale et civique des individus. En conclusion, le développement social est une notion-tiroirs. Qui dit développement social, pense société développée. L'Algérie est un pays à population jeune et qui a de nombreux besoins: d'abord de se développer économiquement, autrement dit d'assurer sa souveraineté alimentaire, donc développer son agriculture; d'assurer sa sécurité, donc développer son système de défense, d'assurer l'expansion de ses industries, donc développer son tissu industriel, d'assurer sa prospérité, donc développer des emplois et un pouvoir d'achat. Cela exige aussi de développer des savoirs, de la connaissance et promouvoir la recherche scientifique. Le développement social sera ainsi assuré; il fait suite au développement général du pays.

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