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OBJET D’UNE INSTABILITÉ CHRONIQUE

La Côte d’Ivoire, l’Afrique et les affaires

La question du pouvoir réel et des frontières dans ce pays, comme d’autres territoires africains, se pose avec acuité.

Le dernier attentat contre le nouveau Premier ministre ivoirien repose, encore une fois, la question de la stabilité de la Côte d´Ivoire, au même titre que les autres pays africains. Les choses restent encore très floues en Côte d´Ivoire, malgré l´acceptation par le chef des rebelles du poste de chef du gouvernement. Depuis déjà longtemps, la question du pouvoir réel et des frontières dans ce pays, comme d´autres territoires africains, se pose avec acuité. La présence d´une multitude de tribus et de langues empêche toute conciliation durable et tout compromis politique et géographique.
La colonisation a dramatiquement aggravé les choses en instrumentant des conflits intertribaux et en multipliant les lieux de pouvoir marqués par une certaine allégeance à l´espace colonial. Le contact tragique avec la colonisation a engendré de nombreux conflits et des réalités syncrétiques mettant en avant les jeux claniques et tribaux associés à des formes européennes éparses. Ainsi, la géographie elle-même correspondait aux choix coloniaux et au désir de mieux dominer cette région.
Il n´est nullement possible de comprendre les enjeux actuels en Côte d´Ivoire si on n´interroge pas l´Histoire de l´Afrique noire, ses contingences historiques et les relations avec la France. Les accords de Marcoussis et d´Accra, organisés par la France, ne pouvaient être que fragiles et circonstanciels. Ce n´est pas l´OUA, impuissante et trop inféodée aux anciennes puissances coloniales, qui pourrait régler ce problème, d´autant plus que les considérations socio-historiques sont importantes et les enjeux géostratégiques fondamentaux donnant à l´ancienne puissance coloniale le pouvoir de régler cette question avec le soutien du Conseil de sécurité. Les derniers événements montrent tout simplement que les réalités géostratégiques sont importantes. L´ONU a finalement donné raison à l´ancienne puissance occupante. L´Union africaine est inoffensive et trop peu opératoire dans ce type de situations. La mission africaine conduite par le président sud-africain est incapable de résoudre un problème qui remonte finalement à plusieurs décennies. C´est vrai que Houphouët-Boigny installé grâce aux Français, a tout fait pour bâtir son pouvoir sur des équilibres précaires tout en privilégiant les relations avec la France. Sa mort en 1993 a mis fin à des décennies de pouvoir marqué par un compromis intertribal et une forte répression visant les diverses oppositions politiques.

Le dialogue absent



Les relations trop fortes avec l´ancien colonisateur marquent le terrain dans ce pays d´une dizaine de millions d´habitants qui a vu le président actuel, Laurent Gbagbo, se faire élire grâce au soutien du Parti socialiste français.(1)
La droite a toujours considéré ce dirigeant comme un trublion, un personnage trop peu crédible. Ce qui expliquerait peut-être en partie le bombardement, il y a quelques années, par les forces gouvernementales des positions militaires françaises et la réaction française détruisant les avions de ce pays. Mais en dehors de cet acte, la Côte d´Ivoire semble condamnée à des violences continues d´autant plus que les acteurs ne sont pas disposés à dialoguer sérieusement. Même le fameux gouvernement d´union nationale, né après les accords de Marcoussis, en France, il y a deux années, n´a pas été réellement opérationnel; la méfiance domine et le dialogue est véritablement absent entre les factions représentées dans un gouvernement mythique et illusoire, même si ce nouveau cabinet semble plus opératoire, mais reste très fragile. Le dernier événement va accentuer encore plus l´inimitié et la méfiance entre une partie des Ivoiriens et les Français. Ce qui se passe aujourd´hui en Côte d´Ivoire, tire son origine des paradoxes et des ambiguïtés de ce pays. Les acteurs actuels ont toujours connu des relations très conflictuelles, même au temps de Bédié, président de l´Assemblée nationale et successeur potentiel de Houphouët-Boigny, disparu en décembre 1993, Alassane Ouattara, Premier ministre, ancien gouverneur de la Bceao (Banque centrale des Etats de l´Afrique de l´Ouest) et futur directeur adjoint du FMI, imposé aux autorités ivoiriennes par le FMI et Laurent Gbagbo, dirigeant du Front populaire ivoirien, ancien universitaire, longtemps interdit de séjour à Abidjan avant de participer aux élections présidentielles d´octobre 1995 marquées par une fraude massive et la mise en place de structures et de textes xénophobes excluant ainsi de la course au nom d´une ivoirité mythique un concurrent potentiel, M.Alassane, musulman de son état et d´origine burkinabée. C´est dans ce contexte de division tribale et ethnique et d´absurdes situations que les choses se déroulent.
L´ancien président charismatique et autocrate, Houphouët-Boigny a cultivé, en quelque sorte, ces inimitiés pour conserver son pouvoir et les nombreuses richesses que sa famille détient toujours, notamment de très nombreuses concessions de cacao et de café. On sait que ce pays est le premier fournisseur mondial de cacao et le troisième producteur de café. Déjà, quand il a édifié ce qu´il a pompeusement appelé «Notre-Dame de Yamassoukro» qui avait coûté la bagatelle de deux milliards de francs français, il disait être fier de ce «grand monument de la chrétienté» qu´il avait financé en puisant dans ses économies «personnelles». Mais comme la corruption a pignon sur plantations, les Ivoiriens n´arrivent pas encore à se retrouver dans un pays qui a connu de terribles campagnes répressives et des aventures somptuaires se chiffrant à des milliards de francs. En 1991, le général Guei, alors chef d´état-major de l´armée avait violemment réprimé les étudiants au campus d´Abidjan, ce qui avait provoqué la mise en place d´une commission officielle d´enquête qui avait déclaré la responsabilité totale de Guei, mais Houphouët-Boigny avait, cela allait de soi, défendu son protégé qui devait, par la suite redoubler de zèle en créant un corps spécial de répression, la Firpac (force d´intervention paracommando) destinée à corriger les «fauteurs de troubles» et les grandes manifestations de mécontentement se multipliant dans ce pays. Lors des élections d´octobre 1995, Henri Konan Bédié avait confectionné des textes sur mesure pour passer ce cap en mettant en oeuvre un code électoral xénophobe s´articulant autour de la notion de non-ivoirité dans un pays qui compte plus de 33% d´habitants d´origines diverses. Mais peut-on parler, dans ce cadre, d´étrangers quand on connaît les nombreux brassages ethniques et la fragilité des frontières entre les pays limitrophes? Dans ce climat délétère et de fraude généralisée, Bédié récolte 96,5% des voix, moins bien que le «père» Houphouët-Boigny habitué aux 100%. La «vitrine de la France en Afrique», comme on l´appelait, profite énormément aux entreprises françaises. L´empire Bouygues, par exemple, contrôle l´eau, l´électricité et les télécommunications. Mais cette fois-ci, de grandes manifestations avaient eu lieu, faisant une vingtaine de morts et de centaines de blessés.
L´opposition avait, lors de ces élections, suivi le mot d´ordre de boycott actif. Le général Guei, contre toute attente, refuse de réprimer les manifestants. Bédié ne perd pas son temps, il l´expulse de l´armée le 7 janvier 1997. D´ailleurs, ce militaire va pousser, un peu moins de trois années après, l´ancien président, à la porte de sortie et prend tout simplement le pouvoir. Ce sont surtout les attitudes xénophobes d´une partie des dirigeants en place qui vont mettre sérieusement le feu aux poudres et provoquer de grandes manifestations de mécontentement, d´autant plus que le nord musulman est trop délaissé et vivant une désastreuse situation économique et identitaire. Les risques de guerre civile ne sont pas définitivement écartés dans un pays qui continue encore à dépendre de la France dont la présence est trop forte et symboliquement importante.
Les choses n´ont donc pas changé dans ce territoire marqué par de profondes césures ethniques et religieuses. L´exclusion de la candidature de Ouattara a engendré un vent de contestation dans le nord musulman représentant plus de 40% de la population alors que les chrétiens ne dépassent pas les 30%. Dans un pays, encore peu pourvu du sentiment national, les relents religieux et ethniques sont latents. Ce n´est donc pas étonnant que le sentiment religieux et les manifestations ethniques font leur apparition. Alassane Ouattara, patron du RDR (Rassemblement des Républicains), né d´une scission au sein du parti au pouvoir depuis 1960, qu´il a rejoint tardivement, le Pdci (le Parti démocratique de Côte d´Ivoire, dont la création remonte à 1946) s´était considéré grugé par une élection dont personne ne connaîssait les chiffres exacts, d´autant plus que tout le monde savait que les jours de Guei étaient comptés et que le socialiste Robert Ggagbo, très proche du PS français et membre de l´Internationaliste socialiste depuis 1992, était, de toute façon, assuré de la victoire avant le scrutin, puisque soutenu par François Mitterand.
Après les élections remportées par Gbagbo, Ouattara a continué à exiger l´organisation de nouvelles élections libres appelant, par la même occasion, à l´abrogation du texte sur la non-ivoirité. Soutenu par les Sud-Africains qui défendent le même point de vue, le candidat du RDR (Regroupement pour la République) qui n´oublie pas non plus que Gbagbo a exigé sa démission du poste de Premier ministre en 1992, ne lui fera pas de cadeau. La tension est à son comble. Les choses ne sont pas près de rentrer dans l´ordre. Même si un accord a lieu entre les deux parties, il ne durera pas longtemps. Dans le contexte actuel, de nouvelles élections moins opaques et plus démocratiques associant toutes les forces politiques sont-elles possibles? Le syndrome d´un conflit généralisé est toujours présent, risquant d´embraser, éventuellement, toute la région tout en provoquant d´extraordinaires scènes de xénophobie, d´ailleurs latentes.(2)
La césure est trop profonde. Ce qui se déroule aujourd´hui en Côte d´Ivoire pose fortement le problème de la colonisation et des jeux de frontières encore non sérieusement délimitées et des relations franco-africaines encore traversées par les relents de la mémoire coloniale. La réalité ivoirienne met en lumière la fragilité des expériences démocratiques en Afrique noire et révèle les pesanteurs ethnocentriques et les relents xénophobes marquant le territoire politique. Quels que soient les événements, les derniers changements opérés en Afrique sous la pression des transformations internationales, des organisations financières internationales (FMI et Banque mondiale) et de certains pays occidentaux, enclins, aujourd´hui, à exiger un certain «vernis» démocratique, les choses sérieuses, trop têtues, ne semblent pas évoluer dans le bon sens.
Les crises interethniques sont souvent encouragées dans des périodes de crise et de conflits par les capitales européennes qui défendent, tout simplement, leurs intérêts au détriment d´une Afrique qui n´est jamais partie, contrairement à ce titre d´un ouvrage de René Dumont: l´Afrique noire est mal partie, écrit vers le début des années 60.
Les expériences dites démocratiques (pratiques électorales) n´ont, jusqu´à présent, pas permis l´émergence d´un sentiment national pouvant mettre un terme aux solidarités claniques et aux très forts liens ethniques. La communauté ethnique tient le haut du pavé. Les conflits communautaires désagrègent l´appareil d´Etat et rendent toute gestion démocratique sérieuse peu probable.

Président-chef de clan



Le président fonctionne tout simplement comme un chef de clan. C´est ce qui renforce et aggrave le sentiment xénophobe des populations africaines frappées par la famine, l´analphabétisme, les guerres civiles, les épidémies et la misère. Ainsi, ces populations, souvent analphabètes, observent impuissantes, des expériences «démocratiques» se mettre en pla ce, imposées par les Européens et les Américains qui conditionnent l´octroi de toute aide financière à la mise en place d´institutions «démocratiques» servant directement leurs intérêts immédiats.
Les crises successives ne sont nullement des actes isolés, mais contribuent sérieusement à mettre en lumière les relations des pays africains avec l´ancienne puissance coloniale et les fragiles et précaires équilibres sociologiques et politiques traversant les sociétés africaines trop prisonnières d´une Histoire tragique et de configurations sociologiques particulières.


(1)La Côte d´Ivoire est un pays d´une dizaine de millions d´habitants dont le tiers est constitué d´étrangers. Les affrontements religieux et ethniques sont réguliers depuis la mort de Houphouët-Boigny. Trop marqué du sceau de la dépendance, la présence française est toujours importante. Foccart, Jean-Christophe Mitterand ou Cot y faisaient souvent le déplacement, donnant des «conseils» et orientant les choses. Plus de 60.000 Français résident toujours dans ce pays. Il faut ajouter à cela le millier de soldats et de conseillers militaires installés depuis 1960, année de l´ «indépendance» et du début du règne sans partage de celui qui se faisait appeler le «père de la nation», Félix Houphouët-Boigny, tout en n´omettant pas de collecter, pour son profit personnel, des sommes faramineuses, sans qu´aucune capitale occidentale ne s´en inquiète. Les affaires sont les affaires. Il faut ajouter d´autres contingents de soldats envoyés après la dernière crise, il y a deux ans, pour «protéger les ressortissants français».
(2)Encore une fois, la Côte d´Ivoire où cohabitent des Syro-Libanais (environ 100.000 personnes), des Burkinabés, des Guinéens, des Togolais, des Ghanéens et des Béninois et les autochtones, risque l´implosion, la fracture entre le Nord qui s´est caractérisé lors des dernières élections présidentielles par une très forte abstention et le Sud, essentiellement peuplé de chrétiens, semble s´aggraver et s´élargir progressivement. Est-il possible pour Gbagbo de gouverner avec 20% de voix si on fait un compte des absents et de ceux qui ont voté pour Guei?

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