L'Expression

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PRESIDENTIELLE 2004 ENTRETIEN AVEC MOULOUD HAMROUCHE

«Je ne soutiens aucun candidat»



L´Expression: M.Hamrouche, vous avez été le premier à annoncer votre refus de vous présenter à la course à la présidentielle sous prétexte que le jeu était fermé. N´avez-vous pas quelque regret à la suite de la sortie du chef d´état-major? Et êtes-vous en mesure de répondre au fameux questionnement relatif à la neutralité de l´Armée?Mouloud Hamrouche : Je dois dire de prime abord que je n´ai absolument pas ce type de regret. En second lieu, je récuse le terme «sous prétexte». Si j´ai décidé de ne pas me présenter, c´est que j´avais pris le soin de vérifier deux choses au préalable. La première consistait à vérifier si une autre alternative était acceptée et autorisée à entrer dans une vraie compétition. Au cas où cette alternative serait interdite, il fallait se demander si les résultats étaient, eux aussi, préétablis. J´ai fini par acquérir la ferme conviction, concernant la première interrogation, que toute alternative sérieuse visant le changement dans le pays, était toujours interdite. Elle n´est même pas tolérée à entrer dans la compétition. Quant à la seconde interrogation, je dois dire que le candidat était, lui aussi, préchoisi. Il est celui qui reflète le mieux le statu quo. Il se trouve que cette fois-ci, on a pris la précaution de prévoir deux candidats représentant le même statu quo, cela dans le but manifeste de parer à tout imprévu. Je suis malheureusement, conforté dans mes analyses et prévisions faites le 17 décembre passé. Notre travail a consisté à faire vérifier par tous, à commencer par les électeurs, s´il y a une compétition entre des programmes et des visions ou une simple manifestation visant à officialiser un choix prédéterminé qui ne remet en cause ni le statu quo, ni les équilibres actuels. Or, ce statu quo ne pourra pas forcer les impasses.

Dans votre réponse, vous évoquez souvent le terme «alternative». Vous est-il possible d´être plus explicite là-dessus, et comment forcer les impasses dont vous parlez?La révolution de 1954 a été une grande rupture. Elle a consisté en un sursaut nationaliste qui a forcé l´impasse coloniale. Depuis le pays a été libéré, mais, malheureusement, le citoyen a été ignoré. Après les événements d´octobre, il y a eu une tentative de dépassement de l´ordre politique établi en 1962. Cette tentative a été mise en échec. Elle reste jusqu´à maintenant rejetée. Elle est interdite d´expression. Cette option a été contrariée à la fois par les tenants de l´ordre établi, par un courant islamiste radical et par un autre, prétendument laïque et démocratique. Ces trois courants, à un certain moment, se sont trouvé être des alliés objectifs dans le rejet du changement démocratique. Ils se sont, de ce fait, opposés à la réforme politique. Tout le monde a vécu la douloureuse suite des évènements. Malgré cela, beaucoup continuent aujourd´hui, à s´agréger autour de ce même statu quo. Même si ce dernier a généré beaucoup de problèmes et d´impasses, il continue de produire des élites chargées de l´entretenir, et d´en renouveler la vitrine.

Mais vous n´évoquez pas votre alternative à vous...Mon alternative est des plus simples. Il s´agit simplement de libérer la société. De rendre le citoyen souverain. De permettre aux électeurs d´appuyer les politiques qu´ils jugent bonnes et de rejeter ou de sanctionner celles qu´ils considèrent mauvaises. Nous sommes un peuple méditerranéen qui n´a pas le droit de choisir les hommes et les programmes qui les gouvernent. Cette alternative, hélas, est interdite de compétition. Nous, Algériens, n´avons ni le droit de choisir, ni celui de sanctionner, mais seulement celui d´adhérer. Une observation avisée des événements des six derniers mois, enseigne que les moyens colossaux mis en branle visent à faire adhérer les Algériens aux choix qui ont été faits pour eux. Ils n´auront pas d´autres choix.

Partant de ce postulat, comment interprétez-vous le fait qu´en dépit de son retrait du champ politique, l´Armée reste au centre des débats et des polémiques. Selon vous, cette institution est-elle réellement neutre dans ce scrutin aux enjeux importants?L´expression neutralité de l´armée a été remplacée par l´impartialité de l´armée, pour souligner que l´institution ne peut pas être neutre. A mon avis, ce n´est pas le problème de la neutralité de l´Armée qui est en question, mais plutôt son rôle. C´est l´accès au pouvoir qui est en question. Comment se fait-il que des Algériens disposent subitement de pouvoirs sur les autres Algériens? En vertu de quelle légitimité? De quel mandat? Pour exercer quel type de pouvoir? C´est ainsi que se pose la question, et c´est là le coeur du débat. Pour des raisons historiques, puis pour des considérations sécuritaires, l´Armée a assumé un rôle, de manières spécifiées, dans le choix de ceux qui ont gouverné. Aujourd´hui, l´armée tranche qu´elle n´est plus partie prenante dans le choix des hommes qui accèdent au pouvoir. La question demeure alors de savoir qui va décider qu´un tel parvient au pouvoir et pas un tel, qui limite et contrôle l´exercice du pouvoir, puisque la Constitution n´est pas totalement respectée. Il n´y a rien d´abstrait. Nous parlons d´hommes qui exercent un pouvoir absolu sur d´autres hommes. Ces hommes qui vont devenir à présent les clés du pouvoir, appartiennent-ils à un clan, à un groupe d´intérêt particulier ou à une région? Les Algériens ont le droit de le savoir. Ces questions se posent aujourd´hui, car en 1992, l´armée avait annoncé qu´elle était obligée de prendre des mesures pour sauvegarder le processus démocratique et la souveraineté populaire. Aujourd´hui, nous sommes informés que l´armée n´est plus partie prenante dans le choix des hommes qui accèdent au pouvoir. Cela intervient à un moment où d´autres voix mettent en avant l´absence d´un système politique clair. Cela intervient aussi au moment où les partis politiques ont été asphyxiés. Le dernier exemple en date concerne le FLN. Le gel du FLN a conduit à plus de fermeture politique et cela avec la complicité de nombreux hommes politiques. Comment se retirer du champ politique en un pareil moment et au profit de qui? Quel est ce groupe, qui n´a pas la vocation d´être un parti politique, qui est capable de remplacer l´armée et les partis pour encadrer et gouverner le pays? L´armée par sa composante, son organisation et l´essence de ses missions, est une institution nationale. Elle n´est ni un groupe ni un clan particulier. Pour ces raisons, elle a assumé la décision de mettre un terme à un processus électoral, d´organiser une transition en attendant de reconstruire l´édifice institutionnel. Aujourd´hui, cet édifice est-il opérant? Les conditions pour une compétition électorale entre des hommes et des programmes sont-elles réunies?

Ce que vous dites rejoint quelque peu l´analyse faite par le général Mohamed Touati dans un journal espagnol et dans laquelle il reconnaît qu´il n´y a pas un système cohérent et stable dans le pays...Cette déclaration prouve qu´il se pose les mêmes interrogations que moi. Je ne sais pas si ses interrogations sont nées d´une projection au-delà du 9 avril ou s´il dresse un constat et un bilan d´une action. Si j´ai bonne mémoire, la proclamation de l´armée en janvier 92 indiquait que l´interruption du processus électoral visait la préservation de l´ordre constitutionnel, les libertés démocratiques et la souveraineté du peuple. Les Algériens n´ont toujours pas récupéré leurs droits d´élire les gouvernants de leur choix et le pays ne dispose pas encore d´institutions capables d´incarner et de préserver les intérêts de la nation. Le Parlement n´est pas apte à préserver ces intérêts sans un soutien populaire avéré et structuré. Dans le même temps, tout le monde s´accorde à dire que l´institution judiciaire n´est pas suffisamment protégée et épaulée pour assumer son rôle d´arbitre entre les hommes, le pouvoir et la société, encore moins entre les différentes institutions. Peut-on dès lors envisager le retrait de l´armée du champ politique?

Bouteflika, lors de sa prestation télévisée, avait éludé la question relative à la sortie du général Lamari, se contentant de dire qu´il s´agissait d´une réponse à quelqu´un qui doutait de sa neutralité. Nul doute qu´il vous visait. Un commentaire?Les déclarations du président prouvent que les choses sont réglées pour la conservation du statu quo.
Mais j´ai cru comprendre, à la lecture de l´entretien accordé par le chef d´état-major à la revue El-Djeïch que sa sortie constitue au contraire une réponse directe aux préoccupations formulées par le groupe des dix. Il a quand même souligné que la neutralité de l´armée devait être accompagnée par celle des autres institutions, demandant même aux commis de l´Etat de résister aux éventuelles pressions pouvant être exercées sur eux. Vous-même, dans votre réaction à chaud, répercutée par notre journal, saluiez la sortie, quoiqu´elle soit intervenue tardivement.
J´ai effectivement dit que c´était positif au niveau des intentions. Mais je me réserve le droit d´observer concrètement ce qui se passe sur le terrain. Or, les différentes annonces ne collent pas du tout avec les réalités du terrain. Celles-ci sont faites du triste rouleau compresseur de l´ordre établi. Il y a toute une machine qui s´est mise en marche depuis plus d´un an pour éliminer de la compétition toute alternative démocratique à ce statu quo. Des choix préétablis semblent avoir été faits et l´élection a été vidée de tout enjeu. Il n´est pas demandé aux électeurs d´aller voter pour trancher entre les programmes, mais pour faire croire à l´extérieur que le président bénéficie d´une légitimité électorale. Il s´agit, dans le même temps, d´une formalité dont il faut bien s´acquitter pour pouvoir habiliter les décisions à venir.

Il devait être question de vos prévisions par rapport au prochain scrutin. Mais à la lumière de vos analyses, l´interrogation en devient tout simplement caduque...Ecoutez. Scannez l´Algérie telle qu´elle est aujourd´hui avec les équilibres au pouvoir, les hommes, les différents clans et essayez d´aller tout de suite au 9 avril. Vous verrez la même Algérie avec ses mêmes impasses, ses mêmes clans. Le statu quo est en passe d´être reconduit. Les Algériens n´ont pas le droit de changer quoi que ce soit en termes d´équilibre du pouvoir actuel, ni même dans les rapports de force au sein de la société, et encore moins d´opter pour une vision différente de celle qui leur est imposée. Les générations postindépendance n´ont pas encore le droit de choisir. Leur vote ne signifie rien d´autre qu´une adhésion.
Justement, par rapport à la consigne de vote. Nous avions cru comprendre, à la lumière de votre conférence de presse, que ce serait le boycott sans que vous ne prononciez jamais ce mot. Quelle est-elle, sachant que beaucoup de vos sympathisants ont rejoint le camp d´un autre candidat? J´ai déjà eu à expliquer la signification d´une élection fermée. Il n´y a pas de compétition dans un scrutin de ce genre. Ce type d´élections est dépourvu de tout enjeu et dénué de toute compétition. Plus important encore, le vote des électeurs est neutralisé, quel que soit le taux de participation et leur choix. Quel type de consigne peut-on donner dans de pareilles conditions? Comment expliquer aux électeurs qu´il n´y a pas de signification particulière à leur vote? J´ai entendu plusieurs personnes dire que je soutenais tel ou tel autre candidat. C´est absolument faux. Je ne soutiens aucun candidat. Ces élections ne changeront rien au vécu des Algériens, en tous cas de l´écrasante majorité d´entre eux. Les fractures que vit la société demeurent. Dans une élection pareille, encadrée par les mécanismes de la fraude, il ne peut pas y avoir ni enjeux ni compétition. Il ne peut pas y avoir non plus de consignes de vote. Est-ce clair?

Vous avez estimé que la mission du groupe des dix était accomplie, ce qui n´est pas l´avis de tous les observateurs. Ne lui était-il pas possible d´aller plus loin, de descendre sur le terrain, de mobiliser et de forcer quelque part les impasses dont vous parlez dans cet entretien?J´avais déclaré que la mission du groupe était accomplie. Le groupe s´était fixé comme objectif de vérifier si les élections étaient ouvertes ou bien fermées, et en même temps tenter de mettre en avant ce que devraient être les conditions d´une élection ouverte. Ces deux missions ont pleinement été remplies. Le candidat de l´ordre établi a été identifié. Un des onze est allé le rejoindre dès le lendemain. Quant à ce qui est de forcer les impasses, le groupe a fait ce qui était en son pouvoir. Il a essayé d´influer. Mais, malheureusement, son action est limitée. Ceci m´amène à faire observer qu´il y a quelques jours, le chef du gouvernement s´exprimait à la télévision en tamazight.
Cela il le doit au mouvement citoyen. Quand les revendications des dix ont été formulées, fallait-il qu´elles soient portées, pour être entendues, par un mouvement similaire?

Mais, par sa composante, le groupe avait forcément le pouvoir de créer une mobilisation nationale importante, de l´avis de beaucoup d´observateurs...Le groupe n´avait pas cette vocation dès le départ. Je ne souhaite pas engager les autres membres. Nous ne nous sommes pas fixés pour objectif d´aller vers cette éventualité. Il s´agissait avant tout d´essayer d´éclairer l´opinion publique sur la nature des élections et le devenir du statu quo.

L´ultime question, qui sera en quelque sorte le mot de la fin, a trait à votre réaction à la sortie du chef d´état-major dans laquelle vous donniez l´air de vous situer déjà dans la présidentielle de 2009. A-t-on eu raison de faire cette lecture?Chaque fois qu´un problème politique est soulevé, il est réduit à un combat individuel visant l´accès à un poste. Il est vrai que ma réponse a donné l´impression que je me projetais au-delà du 9 avril. Mais ce n´était que dans le sens où les jeux étaient faits et que cette déclaration pouvait permettre de construire quelque chose de durable à l´avenir dans le cas où elle se vérifiait sur le terrain. Mais cela n´a rien à voir avec une carrière ou des ambitions personnelles.

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