Abdelkrim Ould-Cheikh
Il n’est pas absent mais discrètement présent…
«La seule pensée qui puisse nous consoler de la perte de tant d'êtres aimés de nos plus chères affections, c'est qu'un jour nous irons les rejoindre, dès demain peut-être, peut-être même dès aujourd'hui.» Mary Sarah Newton
N'est-ce pas cet exercice laborieux et non moins pénible que de s'improviser, après la disparition d'un frère, dans la rédaction d'une lettre ou d'un hommage posthume - c'est selon -, en stimulant profondément son for intérieur pour devoir être à la hauteur, plutôt pour être celui qui fait de la mort une consécration, non un châtiment? Oui, c'est pénible, en effet, surtout quand celui qui vous quitte vous annonce avec la conviction du croyant apaisé que, de l'éternelle demeure de l'au-delà, il ne sera pas absent, mais présent discrètement..., car il est là, et le sera toujours, supprimant toute distance, en attirant vers l'esprit ce qui est caché dans la chair...
«Tonton Kamel, ton frère est parti..., à l'instant
Suis-je en train de philosopher, moi qui ai reçu un sérieux choc en ce mercredi 25 mai de l'année 2022? Non..., pas du tout! Je suis en train de me ressaisir et de me convaincre pour parler d'une tristesse qui exige impérativement d'être dite, d'ailleurs comme tous ceux, parmi les intimes, qui ont été bouleversés, affligés par la perte d'un des leurs. C'est cette alliance qui existe entre nous, depuis des lustres, depuis notre tendre jeunesse, qui a fait que nous sommes restés très liés les uns aux autres, en une communauté vivant dans la fraternité et la parfaite entente.
En réalité, je suis en train de retrouver mes esprits à la suite de la disparition de mon frère Abdelkrim, non pas brutale, comme disent d'aucuns, mais douloureuse quand elle vous est annoncée par sa fille, avec une gorge serrée par l'émotion, avant d'éclater en sanglots: «Tonton Kamel, ton frère est parti...à l'instant?», et elle a ajouté une autre supplique..., et quelle supplique!..., celle de la fille atterrée, accablée par la perte de son père... De quoi pleurer tout son soûl? Je m'en souviendrai longtemps de ces mots puissants, dont le poids m'a paru plus fort que la percussion de la nouvelle.
C'est pourquoi, aujourd'hui, tout en m'exprimant dans la douleur qui m'étreint, car je suis encore sous le choc de la séparation de mon frère, Abdelkrim Ould-Cheikh, je me soumets, une fois de plus, à cette rude épreuve qui me contraint à rédiger un papier, sous forme d'hommage posthume, pour lui témoigner, au nom de tous les Médersiens et les autres - dans le gotha de nos amis communs -, notre grande affection, de même que l'expression de toute notre fraternité dans le respect, la sincérité et l'affection que nous avions pour lui. Oui, il est nécessaire de rendre ce modeste hommage à cet être cher, qui vient de nous quitter après avoir courageusement et stoïquement lutté, avec l'esprit du croyant, contre ce que lui a imposé son destin..., cette longue et pénible maladie qui prenait le dessus de sa vie. C'est ainsi que Le Tout-Puissant nous fait admettre qu'il n'y a en notre jardin aucun remède à la puissance de la mort.
Alors, en ces moments difficiles pour sa famille et l'ensemble de ses proches, frères et amis..., en ces moments de chagrin incommensurable qui nous tenaille, que notre frère Abdelkrim - de là où il se trouve - nous permette d'essayer de nous consoler en laissant parler naïvement une mémoire chargée de conversations encore vivaces, de bons souvenirs réconfortants de sa compagnie et, peut-être même, quelques-unes de ses appréhensions ou de ses frayeurs, pour ce pays pour qui il a beaucoup fait..., parce qu'il l'aimait tant.
Ainsi, mon frère Abdelkrim, en ce jour angoissant et sombre pour moi, de même que pour nous tous, ne dois-je pas, tout en conjuguant cette épreuve du deuil à la première personne du singulier, me concentrer pour faire ton éloge et celui de ton parcours, en rassemblant mes souvenirs, comme je l'ai fait pour plusieurs de nos amis qui nous ont quittés, il y a peu de temps? Je pense, franchement, que cela va de soi, parce que te concernant, toi l'enfant du peuple, il faut que ton parcours si riche soit connu par les jeunes pour qu'ils prennent ton exemple, depuis ta brillante scolarité, dans les différents paliers de la formation, jusqu'à ton plein épanouissement et ton engagement dans le monde du travail. Il faut qu'ils sachent que tu n'as jamais cessé, pendant ta remarquable carrière, d'être le promoteur d'apports de qualité et de compétence...
C'est alors, que face à une carrière parfaite, pourquoi ne pas écrire, pardon ne pas évacuer de mon sein, ce qui m'adjure de sortir pour être su par ces jeunes, surtout - et le répéter n'est pas de trop - ces jeunes qui ont tant besoin de repères pour connaître la vie et prendre conscience à partir du combat de leurs aînés?... Et toi, mon frère Abdelkrim, tu es, en effet, cet exemple de courage, d'abnégation, de droiture, d'honneur, de fierté et de profond dévouement. De là, il est indispensable de revisiter le parcours tant élogieux de celui qui n'a vécu que pour le progrès de son pays. Faisons donc, une brève rétrospective..., elle est nécessaire.
Une carrière exemplaire!
D'abord, il faut dire aux jeunes ce que tu étais mon frère Abdelkrim dans ton cycle scolaire, que nous aborderons à partir de ce «fameux» Lycée franco-musulman de Ben Aknoun, et là, le substantif décrivant l'établissement est bien à sa place. Il faut leur dire que très jeune, au cours de tes années d'études, tu agissais dans deux défis, l'un pour être dans l'excellence par tes résultats, l'autre pour être en harmonie avec la révolution de novembre, en y participant activement, avec les moyens que ces jeunes lycéens se procuraient, dans ce sanctuaire de l'éducation que les tenants de la colonisation, appelaient outrageusement «un nid de vipères». Ainsi, pour faire l'économie de ton épopée d'étudiant, allons directement à l'Université où après de studieuses études, tu vas décrocher ta licence dans cette imposante École supérieure de commerce d'Alger où de futurs et grands responsables du pays ont eu le privilège d'étudier et d'acquérir de solides diplômes et de parfaites connaissances. Devais-tu en rester là, toi qui jurais ne pas baisser les bras? Bien sûr que non, puisque tu iras à Paris et bénéficieras d'autres cours aux célèbres Hautes études commerciales (HEC), sous la férule de Raymond Barre, cet universitaire et économiste de renom et Premier ministre sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing.
De retour au pays, tu vas débuter à Sonelgaz qui, à l'instar des autres grandes Sociétés nationales de l'époque, qui étaient de véritables Écoles de formation des cadres algériens, comme en témoignent ceux qui ont assumé, par la suite, de hautes responsabilités gouvernementales, tu en as fait ton champ de prédilection..., en passant treize (13) années avant de rejoindre l'Administration centrale du ministère du Commerce, où tu devais occuper, pendant dix (10) ans, plusieurs fonctions supérieures en qualité de directeur et d'inspecteur.
Tu seras, ensuite, nommé chef de Cabinet, d'abord, au ministère de l'Industrie, puis au ministère du Tourisme. En 1995, tu seras appelé au ministère des Affaires étrangères pour être détaché auprès de l'UMA (Union du Maghreb arabe) jusqu'en 2003, avant de prendre une retraite bien méritée.
Trente cinq (35) ans durant, mon frère Abdelkrim, tu auras servi l'Administration algérienne avec engagement et détermination. Et c'est ainsi, qu'aux différents postes que tu as occupés, tu a laissé le souvenir d'un homme discret, loyal, modeste et affable. Oui, tu as été ce Haut Fonctionnaire - que j'écris en majuscule -appelé communément dans l'administration algérienne Cadre supérieur de la Nation, parce que compétent, intègre et, de surcroît, aimant son pays, au-dessus de tout, avec cependant cette vigueur du militant nationaliste.
Je ne terminerai pas ce modeste rappel d'une carrière bien menée et bien vécue, si je n'évoquerai pas cette courte mais fructueuse période où nous étions ensemble dans cette «galère» lorsque nous avions la charge d' «Alger, capitale de la Culture arabe pour l'année 2007». Là, mon frère Abdelkrim tu étais euphorique pour ce monde prodigieux de la culture. Et c'est cette impression du responsable cultivé qui a fait que tu as dû travailler d'arrache-pied pour montrer tes capacités de producteur dans un champ qui te seyait à merveille... C'est pour tout ce qui précède que j'ose m'exprimer - au moment de t'accompagner à ta dernière demeure - avec cette affliction qui m'empoigne et m'accable, pour te pleurer, toi qui viens de tirer ta révérence après tant d'années de labeur pour le développement du pays et de combat légitime pour l'édification d'un Maghreb uni... C'est un combat auquel tu as donné le meilleur de toi-même, en t'engageant, corps et âme, dans une bataille que tu t'es imposée, peu après la fin de tes études, et avant ton entrée dans le monde, ô combien attachant de l'économie, dont tu possédais de très bonnes connaissances dans ce patrimoine qui relevait de ta thématique de bienveillance et de considération.
Cependant, et en prenant conscience de ce que tu étais et ce que tu as réalisé dans tous les domaines que tu as approchés, ne sommes-nous pas, vraiment, en deçà des ambitions de gens comme toi - mon frère défunt -, ceux-là mêmes qui voulaient avancer, au vu d'une situation qui peinait et qui peine, jusqu'alors, à s'inscrire dans le bon sens de l'évolution et du progrès?
L'ambiance apaisante de ta compagnie...
En effet, nous le sommes avant même de l'affirmer à travers cet exposé succinct d'une carrière qui, sous d'autres cieux, aurait été chantée sur tous les toits en d'infinis dithyrambes... Mais, l'aurais-tu voulu, mon frère Abdelkrim, toi qui étais modeste et sage, ne connaissant jamais ce qu'est l'égoïsme..., l'égocentrisme, le narcissisme et le «m'as-tu-vu», ostentatoire et prétentieux ?
Non, jamais, et ainsi, sans emphase d'aucune sorte, je voudrais mon frère Abdelkrim te dire combien ta mémoire sera présente et infiniment vivante parmi nous... Car, ce que tu étais pour nous, tu l'es et le seras toujours..., un exemple de loyauté, de confiance et d'honnêteté... Et, le meilleur hommage que je puisse te rendre, aujourd'hui, c'est de me souvenir, puisque la mémoire est, et restera, le lien commun qui nous rassemble tous..., en cette circonstance où l'honneur m'échoit pour rédiger ce modeste témoignage posthume au nom de cette foule qui t'a beaucoup aimé.
Ainsi, frère Abdelkrim, permet-moi de me laisser aller à la brûlante bouffée de souvenirs qui vient de s'éteindre. Permet-moi, en ces moments où se dégage ce subtil parfum de tristesse, mais également ce noble et sublime élan du coeur chez l'ensemble de nos frères et amis, de dire ô combien étaient rassurantes tes paroles, dans une ambiance apaisante en ta compagnie, lors de nos débats passionnés, en de nombreuses circonstances.
Et ce sont ces souvenirs, vivants pour toujours qui nous consolent un tant soit peu, de la perte d'un pan entier de notre histoire commune que tu étais.
Enfin, je termine ce modeste et fraternel panégyrique te concernant, par de judicieuses paroles d'Henri Scott Holland, théologien et écrivain britannique, qui notait:
«Ne pleurez pas si vous m'aimez, je suis seulement passé dans la pièce à côté. Je suis moi, vous êtes vous. Ce que nous étions les uns pour les autres, nous le sommes toujours...et le resterons à jamais. Parlez-moi comme vous l'avez toujours fait. N'employez pas un ton différent, ne prenez pas un air solennel et triste. Continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble. Priez, souriez, pensez à moi, priez pour moi...»
Au revoir, frère Abdelkrim, car tu savais bien de ton vivant, en bon croyant, qu'«À Dieu nous appartenons et à Lui nous retournerons...»