L'Expression

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DIX SEMAINES APRES LE SEISME

Boumerdès souffre toujours

Plus de deux mois après le séisme du 21 mai, la majorité de la population de Boumerdès est toujours sous les tentes. On n’a aperçu aucune de ces cabines sahariennes, censées assurer un toit aux familles dont les logements ont été irrémédiablement détruits.

En plus des camps relativement bien organisés, comme celui installé sur le stade municipal, les tentes sont éparpillées à travers toute la ville sur le moindre espace qui peut les accueillir. C´est que, hormis les villas basses et les pied-à-terre, tous les bâtiments ont été ébranlés, à un degré ou un autre, quand ils ne se sont pas effondrés en ensevelissant des dizaines de victimes. Chaleur - qui incommode surtout les contraintes par tradition à demeurer sous la tente - promiscuité qui exacerbe les nerfs, occupations quotidiennes (cuisine, vaisselle, nettoyage...) qui, dans ces conditions relèvent de l´héroïsme, ajoutés aux traumatismes psychologiques, font que le mot «sinistrés» est trop faible pour décrire le vécu des Boumerdassis.

Reconsolidation: attention danger !

Pour les besoins de ce reportage, nous nous sommes rendus dans cette ville en train, par trois fois au cours de la semaine écoulée. Le désastre subi par la ville de Boumerdès est en quelque sorte annoncé dès la gare de Corso. La demi-douzaine de bâtiments construits, il y a peu d´années, pour le compte de la Sntf, sont pour moitié réduits à l´état de gravats sur lesquels s´acharnent des engins de travaux publics, tandis que l´autre moitié est constituée de bâtiments, debout certes, mais défoncés, fissurés, penchés au point qu´on a l´impression qu´ils peuvent s´écrouler à tout moment.
Quand on entre de plain-pied dans Boumerdès, on comprend ce qu´est un cataclysme. Le séisme a produit le pire aux 1200 logements et aux coopératives: bâtiments enfoncés, transformés en mille-feuilles ou se tenant de guingois. Quasiment tous les rez-de-chaussée de la ville sont dans le même état de destruction.
Sous la houlette de l´Opgi, plusieurs entreprises privées en bâtiment se sont attelées à la réfection (le mot utilisé à Boumerdès est consolidation) des appartements récupérables.
Mais les habitants sont mécontents, certains étant allés jusqu´à refuser l´intervention de l´Opgi, préférant se charger, eux-mêmes, des travaux à faire dans leur maison.
Cette dame: «Il y a de quoi, en effet, être mécontent. Suite aux annonces parues dans les journaux, de nombreux chômeurs ont accouru de Tébessa, de Relizane ou de Chabet. La plupart, ce sont des jeunes sans qualifications que les entrepreneurs ont recrutés à la criée devant le centre commercial. Ils font du très mauvais travail.» De fait, à notre retour, quelques jours plus tard, nous avons constaté que les travaux étaient à l´arrêt, les entreprises ayant été renvoyées, car jugées incompétentes. Beaucoup de locataires se sont improvisés maçons et, truelle en main, se sont attaqués eux-mêmes à la réparation de leur logis. L´avenir dira s´ils ont bien fait.
Un citoyen, ingénieur de son état, et qui tient à conserver l´anonymat: «Je suis consterné par la façon dont on procède aux consolidations. On expose les citoyens à des risques réels, en cas de nouveaux séismes. Venez voir ! (il nous transporte dans son véhicule jusqu´aux coopératives), observez un seul bâtiment et vous aurez une idée sur la manière avec laquelle on procède aux réfections pour tout le reste. Voyez les piliers d´origine : ils sont tous ébranlés, le béton tombé et le fer tordu à l´air libre. C´est un bâtiment à détruire absolument. Au lieu de cela, on le consolide soi-disant avec de simples charpentes métalliques posées à même le parquet. Qu´advienne un tremblement de terre, serait-il de faible amplitude, et ce bâtiment serait jeté à terre. D´ailleurs, je crois savoir que l´Unaa (Union nationale des architectes algériens) a dénoncé la manière dont se font les travaux de réfection ; agir ainsi, c´est de l´irresponsabilité!» En réalité, l´ingénieur pointe un doigt accusateur sur les autorités publiques pour dévoiler leurs motivations quant à leur laisser-faire: «Les gens de Boumerdès refusent de quitter la ville pour être logés ailleurs. Conscientes de cela, les autorités colmatent même des bâtiments logiquement à détruire, afin de récupérer le maximum d´appartements.»
Un technicien supérieur en travaux publics, lui, prévoit une catastrophe pour l´hiver: «On est en train de faire des travaux sans tenir compte du comportement des matériaux, une fois l´hiver venu. Il fait très chaud et les matériaux sont comme rétrécis; mais dès qu´il pleuvra, ils seront gorgés d´eau et se gonfleront. La conséquence sera que beaucoup de murs faits à la va-vite, maintenant, éclateront.»
Conclusion sur ce chapitre: attention, les réfections telles que menées actuellement exposent les populations à de multiples risques dans l´avenir.

Paroles de sinistrés

Ce citoyen revenu de France après le séisme: «J´ai eu l´occasion de rencontrer, en France, deux architectes qui ont participé à la construction de Boumerdès. Ils m´ont dit que dans leur travail, ils ont tiré des leçons du séisme de Chlef, Orléansville à l´époque. Tout a été construit selon des normes antisismiques. Les bâtiments ont été touchés parce que les locataires ont procédé inconsidérément à des extensions de leurs appartements, en faisant des chambres annexes. S´il y a eu une telle catastrophe aux 1200 Logements, c´est parce que les promoteurs ne se sont pas rendu compte qu´ils élevaient des immeubles sur le remblai déposé là par les premiers constructeurs de Boumerdès !»
Cet autre citoyen qui, sur un mode humoristique, met en cause la qualification des entreprises et de leurs employés: «Nous n´avons pas besoin de francs-maçons, mais de bâtisseurs!»
Un autre, dont l´appartement au rez-de-chaussée a été complètement ravagé: «Nous sommes réellement un pays sous-développé. Figurez-vous que c´est nous les citoyens qui avons pu nous procurer une pelle mécanique afin de mener les travaux de déblaiement.»
Enfin, ce citoyen préoccupé surtout par la non-tenue des promesses faites par les autorités: «Alors que le gouvernement a promis la remise en état des logements tels qu´ils étaient avant le séisme, l´Opgi nous dit qu´elle n´ira pas plus loin que la pose du plâtre. Peinture, plomberie et électricité sont laissées à la charge du locataire ou du propriétaire. Par l´intermédiaire de votre journal, je tiens à dénoncer ce manquement fait aux promesses officielles.»Ces quelques remarques ne suffisent-elles pas à montrer que les Boumerdassis, outre qu´ils sont sinistrés matériellement et moralement, sont tout à fait désenchantés par l´attitude des autorités à leur égard? Corollairement, ces dernières auront probablement des difficultés dans les mois à venir avec des populations qui se sentent abandonnées.

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