L'Expression

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Virée dans les surfaces de vente des fruits et légumes

Bouira et la corne d’abondance

Ici, si tous les fruits et légumes affluent de partout pour remplir ce gros, ce monstrueux ventre, ici, tout le monde semble s’être donné rendez-vous.

Cornes d'abondance pour les uns, restrictions pour les autres, la situation, par rapport aux produits alimentaires, est vécue différemment en ce mois de Ramadhan, selon les catégories sociales que l'on rencontre. En nous mettant en route, ce matin (il ne faut quand même pas exagérer: il fait grand jour, et Bouira, notre objectif, n'est pas le Pérou, vu qu'elle n'est qu'à une dizaine de km), nous bornons notre travail à relever les prix des fruits et légumes exposés à la vente dans le marché couvert, sis entre la Ccls et l'ancienne gare routière. Naturellement, nous pensons aussi recueillir quelques avis, d'autant plus certains que tous ou presque iraient dans le sens positif. Ce mois sacré est sans doute le mois le plus tranquille. Pas de querelles, pas de gens qui se plaignent de la cherté de la vie, pas de maladie, pas de fatigue. Tous ont la mine réjouie et tous vaquent (ou ne vaquent pas, c'est selon que l'on ait affaire ou non) à leurs affaires sans trop rechigner. La vieille guimbarde qui nous conduit en ville en cette splendide journée, car nous sommes à la mi-mars et le printemps semble à son apogée, elle, paraît bien poussive et s'arrête un peu plus que de raison à chaque arrêt, même facultatif, qui, ces derniers temps, ont fleuri. Cette allure, un tantinet maladive, lui fait piquer sa priorité dans les ronds-points qui eux aussi avaient été distribués trop généreusement, bien avant la gare routière jusqu'en ville. Et voilà que la rumeur qui a quelques chances d'être fondée, en annonce la construction d'un nouveau, au niveau de cette gare routière. Cela ferait, déjà, en comptant bien, cinq «sens giratoire» pour un tronçon de 3 ou 4 km sur la R18. Chose impensable peut- être les autres jours: en roulant à ce train, les voyageurs se seraient impatientés, émis des observations, protesté. Par une grâce dont on ne sait à quoi l'attribuer, si ce n'est à ce mois si doux par son climat et sa spiritualité, on tolérait cette lenteur dans le déplacement.
Dans «le ventre»
de Bouira
L'expression n'est pas de nous et son emploi est sans connotation péjorative. Elle est empruntée à un roman d'Emile Zola, Le ventre de Paris. Et avec ces montagnes de céleri, de persil, d'épinards, de pommes, d'oranges, qui se dressent devant le marché couvert, c'est la première chose à laquelle on pense tout de suite, lorsque, longtemps dans sa jeunesse, on a été un fan de cet auteur de grands et nombreux chefs-d'oeuvre. Il est seulement dommage qu'on n'ait retenu de lui que son fameux-il est vrai- «J'accuse».
À l'intérieur de ce hall, l'impression si fortement imaginée d'un ventre se précise: ici comme dans le roman du maître du naturalisme, tout ce qui se produit comme légumes et fruits dans la région semble aboutir ici. Dans ce vaste espace où chaque centimètre est compté et utilisé, vous ne verriez que des étals de légumes, y compris les légumes secs, de fruits, avec les nombreuses variétés d'olives vertes et noires, de condiments, d'aromates, d'épices. Les allées où on circule dans les deux sens, sont grouillantes de monde. Des hommes, des femmes, des enfants s'arrêtent devant les étals, se penchent pour consulter les étiquettes, demandent le prix de tel produit lorsqu'on ne sait pas lire ou lorsque l'étiquette est absente. Et cela crée naturellement un embarras devant chaque étal. Il est très rare que l'on s'énerve, que l'on manifeste sa mauvaise humeur. Tout le monde fait preuve d'une patience angélique, tout le monde se montre d'une politesse exquise.
Ici, si tous les fruits et légumes affluent de partout pour remplir ce gros, ce monstrueux ventre, ici, tout le monde semble s'être donné rendez-vous. On vient de l'ancienne ville, qui est si proche, mais aussi de la périphérie, de l'Ecotec, de Sorecal, de Ben Mahdi, des Allemands, de Draâ El Bordj, de Ras Bouira, de Ouled Bouchia, et même des localités voisines. Ce hall aux légumes et fruits est assez vaste pour ambitionner d'approvisionner toute la wilaya. Cet appétit démesuré, mais somme toute légitime, n'empêche pas d'autres marchés à ciel ouvert de se créer, comme celui de la rue Mohamed Chahid, dont l'achalandage est aussi spectaculaire, ni d'autres villes d'avoir leurs propres halls, comme Lakhdaria, Kadiria, Haïzer, M'Chedallah, Aïn Bessem, Sour El Gholane etc. Et que dire de la RN18, (pour ne parler que de celle-là), qui, de Aïn El Hadjar à Ouled Ziane est devenue sur les deux côtés un marché colossal, occasionnant de terribles bouchons à certaines heures de la journée!
Mais revenons à notre marché, dont nous avons fait toute l'aile droite dédiée aux légumes et fruits et où nous avions fait ample provision de chiffres concernant le prix de chaque produit. La tomate est à 80 DA le kg, la pomme de terre, à 60 et 65 DA, la courgette, à 60 DA, les carottes, selon leur fraîcheur, est à 35 et même 60 DA. Le kilo de pomme est à 300 et 400 DA, celui des oranges est de 75 à 140 DA, celui des dattes est entre 300 et 750 DA. Même la laitue, très prisée pourtant, a vu son prix retomber à 150 DA.
Carravic boudée?
Que s'est-il passé, donc, cette année, a-t-on envie de se demander? Les gens deviennent tout à coup sages et les prix des denrées qui n'attendaient d'habitude que le mois de Ramadhan pour s'enflammer, les voilà qui se tiennent à des niveaux raisonnables. Certains de ceux que nous avons interrogés à ce sujet ont tous eu un seul mot en guise d'explication: abondance! Hé, oui, vous l'avez compris: la corne d'abondance, ce panier sous forme de corne renversée et qui vomit par le haut toute sorte de fruits. C'est un fait, mais cela n'est pas forcément un bon argument.
Et la viande, alors? Blanche ou rouge. On n'en produit peut-être pas assez? Notre entretien, la semaine dernière, avec la
P-DG de Carravic, une filiale nationale de l'Onab, spécialisée dans la production de la viande blanche, est révélateur à ce propos. Selon les déclarations de cette responsable, les deux abattoirs de Bouira et de Tizi Ouzou placés sous sa responsabilité produisent bon an mal an 32 tonnes de viande blanche par jour. À cela vient s'ajouter pour le mois de Ramadhan une importante cargaison en provenance du Brésil qui arrive chez nous par vagues successives. Alors? Alors, force est de croire qu'il y a une politique soucieuse du bien-être de toutes les catégories sociales et celle-ci se traduit concrètement par des mesures sociales qui ramènent les produits de large consommation à des prix acceptables.
Nous quittons l'aile droite du marché pour celle de gauche. Cet espace est réservé exclusivement aux commerces de la viande blanche et rouge. La foule, de ce côté, est si compacte, que c'est miracle que, la circulation étant dans les deux sens, on ne se marche pas sur les pieds. Notre première visite est pour le point de vente de Carravic. Et tout de suite nous tombons de haut. Pas de queue devant son comptoir. Et pour cause: les rayons sont vides. Quoi? On a tout raflé? Quelques personnes, cependant, s'arrêtent un instant, posent une ou deux questions, puis repartent aussitôt en apprenant qu'il ne reste dans le frigo que le poulet congelé amené du Brésil. Le fait que le kilo soit à 390 DA, ne leur paraît pas excitant. Depuis que nous sommes là à observer devant nous ce magasin de modestes dimensions où un seul employé travaille, un seul client s'est fait servir un poulet, non sans se faire confirmer que c'est d'aussi bonne qualité. On a vu, par contre, beaucoup de clients aller chez d'autres bouchers. La viande blanche est à 480 DA, mais elle a cet avantage incontestable: elle est fraîche. Un an jour pour jour, à cette même place où nous nous tenons en observateur de la scène sociale, une longue file se formait devant le comptoir de Carravic. Une dispute a même éclaté. Une des personnes qui faisait la queue avait voulu passer en douce et s'est fait attraper. Même du côté des femmes, la file était longue, même s'il n'y avait pas bousculade. Et cette seule comparaison entre les deux dernières années plaide en faveur de ces mesures sociales mises en place dans un cadre général d'apaisement.
Le cri d'un père de famille écorché vif
L'homme est à la retraite. Il a quatre ou cinq enfants. Il ne précise pas le nombre. Il touche une assez modeste pension. Il affirme ne pas pouvoir joindre les deux bouts. Que fait-il devant le marché? Peut- être ne fait-il que passer? Beaucoup empruntent cette rue qui relie l'ancienne gare routière au pont Sayed. L'homme ne porte pas de panier. Cela ne veut rien dire. Tous ceux qui arrivent au marché n'ont pas de panier. Ils préfèrent le sachet noir qu'on leur remet gratuitement lorsqu'on fait un achat. La prise de conscience du danger qu'il crée pour l'environnement n'est pas pour demain, la veille. Notre interlocuteur a la mine défaite. La privation, c'est sûr. Nous sommes au mois de Ramadhan. Mais lui, c'est autre chose. Il prétend ne pas manger de viande du tout. Pendant le jeûne, mais aussi pendant les autres mois. Ce n'est pas la seule chose dont il se sent privé. Il y a aussi les fruits, comme la pomme, dont il prétend ne pas y toucher à cause de la cherté. Il est vrai que le kilo de pomme fait entre 350 et 400 DA. Autant dans ce cas prendre un kilo de viande blanche. La rouge, il ne faut pas y songer. Peu de gens se le permettent. À 2 500 DA le kilo, c'est hors de question pour les pères de famille aux modestes revenus. Ce monsieur n'est pas de ceux qui gémissent sous le fardeau de la vie. Il serait passé son chemin sans un mot. Mais le hasard a voulu que c'est sur lui que nous tombons, et ses réponses ont été celles d'un homme écorché vif par la vie.
Tous ceux à qui nous avons demandé leur avis sur ce mois par rapport à leur pouvoir d'achat ont fait part de leur satisfaction.
Sans vouloir vilipender cette douleur qui fend le coeur et qui ne doit pas être la seule, il faut reconnaître que des efforts ont été faits pour que le prix de la pomme de terre, de la tomate, de l'orange reste abordable. On se souvient que le kilo d'oignon se vendait, l'année dernière, à 300 DA, au point que nombre de commerçants avaient refusé de l'intégrer dans leurs produits destinés à la vente.
Au marché couvert, nous avons rencontré trois mendiants, mais ils nous ont semblé moins accablés que ce pauvre homme à la retraite. Eux pouvaient faire la manche. Lui, non.

De Quoi j'me Mêle

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