Plaidoyer pour un prix juste du gaz naturel
Le futur challenge du Forum du gaz
Nous fêtons le 53e anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures dans une conjoncture de crises multiples. D'abord l'impact des changements climatiques qui nous oblige à revoir tous les modèles énergétiques de l'abondance d'une énergie pas chère et pas polluante. Le deuxième challenge est celui du nouvel ordre multipolaire qui tarde à venir. Ce qui fait que des stratégies qui font appel à la force écartent le doux commerce. Dans cette atmosphère chaotique mondiale, il est urgent d'attendre avant de prendre parti. Ce qu'il y a de sûr est que la période d'abondance et de cartel n'est plus porteuse; La main invisible d'Adam Smith ne guide plus les marchés, c'est la force brute. Dans cette configuration l'Algérie devra faire le point de ses réelles possibilités en étant sûre que plus rien ne sera comme avant, c'est donc une stratégie constamment à 2035 qu'elle doit mettre en oeuvre pour mettre en place une transition vers le développement Durable basée sur l'hydrogène vert. La tenue du forum du gaz le 29 février à Alger est l'occasion pour l'Algérie de poser sur le tapis une injustice structurelle, le prix du gaz est beaucoup moins cher que le pétrole à même contenu énergétique. C'est peut- être une cause que le Forum devrait approfondir
Le gaz naturel: réserves et transport
Les réserves sont de l'ordre de 188.000 milliards de m3 selon BP.. Plus de 65% des réserves prouvées mondiales de gaz naturel sont concentrées en Russie et au Moyen-Orient (Iran, Qatar, etc.). Les réserves offshore représentent environ 1/3 des réserves gazières mondiales. L'Algérie aurait 2500 milliards de m3 La production serait de 4100 milliards de m3 D'après Shell la demande de GNL devrait atteindre 625 à 685 millions de tonnes en 2040, contre 404 millions de tonnes en 2023.
Plus des deux tiers des échanges de gaz se font via des gazoducs, terrestres ou sous-marins, le reste faisant l'objet d'échanges mondiaux de GNL par méthaniers. Le stockage est nécessaire pour assurer l'ajustement des consommations et des ressources en gaz à tout moment et offrir une énergie disponible en permanence. le stockage a une fonction commerciale en tant qu'outil de support au trading. L'importance des coûts de transport place la notion de distance au coeur de la problématique de commercialisation du gaz: 2/3 de la production mondiale est commercialisée au sein des pays producteurs et seulement le tiers restant fait l'objet d'échanges internationaux. La part des échanges internationaux dans la production mondiale est croissante en raison de l'éloignement progressif des zones de production par rapport aux centres de consommation. Le transport par gazoduc est l'option la plus répandue. Elle est quatre ou cinq fois plus coûteuse que le transport du pétrole par pipeline. Le gaz naturel doit être comprimé tous les 120 à 150 km par des stations de compression. Le transport par méthanier est l' option en cas de longues distances ou de difficultés liées aux conditions géopolitiques ou géographiques des pays traversés. En offrant de plus en plus de flexibilité le transport par méthanier connaît un essor et joue un rôle croissant dans les échanges gaziers.
Pendant longtemps les atouts du gaz naturel ont été minimisés. Le gaz naturel était réduit au chauffage. Graduellement, il est devenu un atout majeur de la production d'électricité, il est aussi devenu une matière de base de la pétrochimie: ««Contrairement au pétrole, le gaz n'a pas de marché dédié pour son utilisation. Il est en concurrence avec les autres énergies. On connaît surtout son usage domestique pour le chauffage et la cuisson. 40% de la consommation de gaz naturel en Europe - 21% au niveau mondial - sont destinés au secteur résidentiel/tertiaire. Aujourd'hui, l'utilisation du gaz naturel se développe plus rapidement dans d'autres domaines, comme les centrales électriques, l'industrie (dont la pétrochimie) ou le transport (GNC et GNL carburant), en raison de son efficacité énergétique et de ses qualités environnementales. 55% de la consommation de gaz naturel en Europe sontt dédiés à l'industrie et au secteur électrique. Le gaz naturel est utilisé comme matière première dans l'industrie chimique, notamment pour la pétrochimie et le raffinage». (1)
«Le gaz naturel offre un bilan environnemental très favorable dans la production d'électricité. Les émissions de CO2 sont deux fois moins élevées que celles des centrales à charbon les plus performantes. Les centrales électriques au gaz nécessitent des investissements et des coûts opératoires plus faibles. En outre, elles ont des rendements qui peuvent être supérieurs à 55%, ce qui diminue considérablement la consommation énergétique et donc les émissions globales dans l'atmosphère. La flexibilité et la souplesse d'utilisation des centrales au gaz assurent une parfaite complémentarité avec les énergies renouvelables, qui sont par nature intermittentes. La part du gaz dans la production d'électricité mondiale est passée de 18% en 2000 à 25% en 2023 «La flexibilité et la souplesse d'utilisation des centrales au gaz assurent une parfaite complémentarité avec les énergies renouvelables, qui sont par nature intermittentes.» (1)
Les coûts: une chute constante
Derrière le pétrole et le charbon, le gaz naturel est de fait, la troisième source d'énergie la plus consommée dans le monde. Il est notamment utilisé pour le chauffage résidentiel, mais aussi, de plus en plus, pour la production d'électricité. Alors, peut-on qualifier le gaz d'énergie compétitive? Même si le gaz naturel n'entre pas dans la catégorie des énergies renouvelables, il présente un certain nombre d'avantages environnementaux sur ses homologues fossiles: sa combustion n'émet pas de poussières, peu de dioxyde de soufre (SO2), peu de dioxyde d'azote (NO2) et moins de dioxyde de carbone (CO2) (environ moitié moins que le charbon,à peine deux tiers de celle du pétrole. Un état de fait qui explique que le gaz naturel soit de plus en plus utilisé pour produire de l'électricité. Cependant, il est grevé par le cout du transport. Historiquement que les producteurs de gaz admettaient que le prix du gaz, est inférieure au prix du pétrole à même contenu énergétique, ce qui n'est pas normal. «À peine commencé, l'hiver 2023-2024 semble déjà s'inscrire comme celui ayant offert les prix du gaz naturel parmi les plus bas des dernières années..Ce faisant, malgré la forte demande de gaz naturel du secteur de la production électrique, les prix au comptant et à terme du gaz naturel sont demeurés à des niveaux historiquement bas, surtout lorsque ces prix sont exprimés en dollar constant.
(...)Il s'agit donc d'un contexte gazier largement favorable au maintien des prix du gaz naturel dans une fourchette relativement faible par rapport à celle de l'hiver précédent à tout le moins. En date du 7 décembre 2023, les prix à terme du gaz naturel s'établissaient à près de 3,15 $/GJ en moyenne pour les quatre derniers mois de l'hiver 2023-2024. Dans ce marché rassuré et débordant d'optimisme, il est difficile d'envisager une forte remontée des prix au courant des prochains mois. Pour 2024, le marché table aujourd'hui sur un maintien des prix de la molécule aux alentours de 3,15 $/GJ jusqu'à une remontée significative au début de l'hiver 2024-2025. Déjà, les marchés anticipent les augmentations prochaines des capacités de liquéfaction» (2).
Les prix du gaz naturel aux États-Unis ont plongé à leur plus bas niveau depuis près de trois décennies, alors que ce qui devrait être l'hiver le plus chaud jamais enregistré dans le pays réduit la demande de combustible de chauffage au moment même où la production atteint des niveaux records. la production de gaz aux États-Unis, a atteint un record de 105 milliards de pieds cubes par jour en décembre, les prix ont chuté de plus de 50% depuis la mi-janvier. Le 16 février les contrats de référence Henry Hub pour mars se sont établis à 1,61 $ par million d'unités thermiques britanniques, il s'agit du cours de clôture le plus bas pour le contrat à un mois depuis 1995.
On sait que 1 gigajoule GJ = 277.5 kWh= 26,3 m3 et que 1 million de Btu MBtu= 292,7 kWh = 27,8 m3 Le prix actuel est autour de 3,5$ le GJ En décembre 2022, le prix atteint 11.5$ le GJ pour 26,5 m3 soit près de 0,4$ le m3 voire un pic à 1 $ le m3 Le gaz algérien est le gaz le moins cher dans le monde après celui de l'Iran Ainsi, le prix du gaz naturel en Algérie, en mars 2022, est de 0,003 dollar (0,384 DZD) Avec ce tarif, l'Algérie représente le 2e pays où le gaz naturel coûte le moins cher dans le monde?! À titre de comparaison, le prix mondial moyen du gaz s'élève à 0,086 dollar le kWh pour les ménages et à 0,075 dollar le kWh pour les entreprises.
Actuellement le prix pour 1 million de BTU =1.6 $ = 27.8 m3 Le m3 de gaz = 1,6/27,8 = 0,06 $! Si on convertit le baril en contenu en gaz avec un prix de 82$ le baril pour 158 m3 nous arrivons à 0,5$ le m3 de gaz 1bep =158 m3 =82 $ soit 1m3 = 82/158 =0,5$/m3
Nous voyons le rapport de 1 à 9! Pourquoi ce mécanisme de yoyo qui pénalise les pays producteurs?Il fut une époque de relative stabilité. Les contrats long terme avec les clauses de Take or Pay (paiement au minimum des volumes contractés) et d'indexation des prix sur le pétrole ont permis de pérenniser les échanges gaziers commerciaux qui nécessitent des investissements de transport importants La financiarisation et l'économie virtuelle ont amené à la dérégulation des marchés. Ce qui a eu pour conséquence le développement d'un marché spot du gaz permettant des échanges ponctuels au jour le jour. «Le prix spot est défini par référence au marché gazier et dépend de l'équilibre offre/demande. Il est une référence pour environ 70% des approvisionnements gaziers. En Europe et aux Etats- Unis En revanche, en Asie, le prix du gaz reste encore largement déterminé en référence au marché pétrolier.» (1)
Désindexer le prix du gaz de celui du pétrole
La situation du prix du gaz naturel n'est pas une fatalité. Les utilisations du gaz ont augmenté Jusqu'au milieu des années 1990, le gaz naturel servait surtout à se chauffer: il a été utilisé en Europe avant tout comme combustible de chauffage et pour la production de chaleur industrielle Ce n'est plus le cas, il est utilise de plus en plus pour la production d'électricité C'est un fait: «Le gaz est moins cher que le pétrole à même équivalent énergétique, mais les courbes de prix suivent exactement les mêmes évolutions. En 1990 avec un prix du pétrole de 41 dollars le baril et un prix du gaz à 7 dollars le British Thermal Unit, l'écart entre les deux est de 12.4 dollars par tonne équivalent pétrole».
(3) 12 pays producteurs de gaz ont décidé de créer un forum qui peine depuis une quinzaine d'années à trouver ses marques, n'ayant pas la même aura que l'Opep.
Une publication des médis occidentaux met en garde contre le Fpeg. Nous lisons: «Faut-il avoir peur d'une Opep du gaz? Oui, si l'on craint le gaz cher, on peut craindre la nouvelle Opep du gaz. Quarante-huit ans après la création de l'Opep, douze pays exportateurs de gaz se sont réunis à Moscou le 23 décembre 2008 pour décider de la création d'une organisation similaire marquante: le Forum des Pays Exportateurs de Gaz (Fpeg), L'objectif premier du Fpeg est de vouloir désindexer le plus rapidement possible le prix du gaz de celui du pétrole et de trouver un consensus afin de stabiliser le marché sur la base d'un prix «juste», acceptable pour les producteurs et pour les consommateurs. Par le biais de l'indexation des prix, la perspective d'une pénurie prochaine du pétrole a donc pour effet de pousser le prix du gaz naturel à la hausse, même si ce dernier est encore suffisamment abondant. Et puis, les raisons historiques de l'indexation n'existent plus. on utilise dorénavant plus de gaz que de produits pétroliers pour le chauffage ou dans les centrales électriques, une tendance qui ne cesse de se confirmer» (3)
C'est un fait la situation du gaz naturel n'est pas reluisante du côté des producteurs. D'un côté les pays consommateurs, notamment des pays développés parent de vertu le gaz naturel au vue de ses possibilités, notamment dans la production d'énergie électrique;De l'autre, ils mettent à terr, les contrats de long terme et misent sur l'immédiat dans le marché spot. À terme, le développement de nouvelles capacités sera compromis mais cela ne les intéresse pas.
Le Forum des pays Exportateurs de Gaz (GecfF), dont le 7e Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement se tiendra à Alger, du 29 février au 2 mars 2024, est une organisation intergouvernementale représentant les principaux pays exportateurs de gaz au monde, soit 70% des réserves mondiales prouvées de gaz, plus de 40% de la production commercialisée, 47% des exportations par gazoduc et plus de la moitié des exportations de GNL dans le monde. - 12 membres permanents (Algérie, Bolivie, Egypte, Guinée équatoriale, Iran, Libye, Nigeria, Qatar, Russie, Trinité-et-Tobago, Emirats arabes unis, Venezuela) et sept membres observateurs Les pays du Forum devraient valablement étudier comment arrêter cette descente aux enfers du prix du gaz; Cela rappelle la création de l'Opep qui a vu le jour à cause des prix dérisoires que les compagnies pétrolières payaient aux pays producteurs. C'est la seule façon d'arriver à une coopération sereine de dialogue, avec les pays consommateurs en vue de soutenir un juste prix et contribuer ainsi au développement durable et à la sécurité énergétique mondiale.