L'Expression

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FRANÇOIS WEYERGANS, PRIX GONCOURT 2005

Le Woody Allen des lettres

C’est devenu une tradition. La sympathique maison d’édition Sedia, en partenariat avec L’Expression, a invité en Algérie François Weyergans, écrivain d’expression française, prix Goncourt 2005 pour son roman Trois jours chez ma mère.

Un jour, François Weyergans a osé sauter le pas. Le cinéaste qu´il est a troqué la caméra contre le stylo de l´écrivain. Car comment dire l´indicible autrement qu´avec des mots? Comment décrire le monde intérieur et ce conflit entre le moi et le je, autrement qu´en y allant à tâtons, avançant et reculant, multipliant digressions, flash-back, sauts dans le futur, flash-forward, plongées et contre-plongées? Comment peindre les sentiments, les idées, les émotions, autrement que par petites touches à peine perceptibles, dans un camaïeu où la gamme de gris se conjugue à tous les tons?
Non, on n´est pas dans la littérature intimiste. C´est quelque chose de plus fort. C´est un monologue au vitriol, dans lequel la dérision cogne à faire résonner toutes les parois du moi.
Si je est un autre, et malgré tous les malaises et toutes les incertitudes rencontrés dans sa quête, voire dans son enquête, François Weyergans, l´auteur, tient à relativiser les choses, à les recadrer dans leur contexte; «Vais-je aussi mal que je le prétends? rien n´est moins sûr. Je suis heureux d´être qui je suis et j´aime la vie que je mène. Personne ne mesure la chance qu´il a d´être ce qu´il est. Etre quelqu´un d´autre, ce serait horrible. Je préfère lenfer à la réincarnation.»
Deux romans, l´un écrit à 27 ans, Salomé, solde tout compte avec le père Frantz, et l´autre à soixante ans, Trois jours chez ma mère, une mère avec laquelle il a beaucoup parlé sans trop la voir. Relations ambiguës, imbriquées, à la fois tendres et mordantes, le narrateur se trompant souvent - à moins qu´il ne l´ait fait exprès de lentilles grossissantes. Pourquoi Salomé, manuscrit achevé il y a plus de trente ans, n´a-t-il été édité que tout récemment, presque en même temps que Trois jours chez ma mère? Certains n´y ont vu qu´un opportunisme commercial. Il n´en est rien. Il y a des secrets plus profonds. Cachés dans les recoins de l´inconscient, et que l´auteur se plait à n´exhumer qu´au moment adéquat. N´est-il pas justement contre les psychanalyses, préférant au divan du psy ses propres confessions en solitaire?
Ne s´accordant aucune circonstance atténuante, il y va, fouille et farfouille, retourne dans tous les sens cet étrange peuple de son univers intérieur. Lorsqu´il se met à l´écriture, ce cinéaste de formation met de côté un principe de base du 7 ème art; à savoir que tout doit pouvoir être mis en images mais comment transformer en images le monde des idées, tous ces personnages invisibles et ces décors imaginaires que les surréalistes eux-mêmes n´ont pas théorisés? Et néanmoins, il n´oublie pas le b-a-ba du métier de la dramaturgie: mettre en scène les conflits et les enjeux qui les sous-tendent et qui sont le moteur de toute fiction? Ici, en l´occurrence, c´est une autofiction (à ne pas confondre avec la biographie, n´est-ce pas?). Le rôle du méchant ici, est campé par le cancer. Et le roman se déroule comme une enquête, le narrateur, qui n´est autre que le double de l´auteur, ce François Weyer quelque chose, rongé par le doute à propos de sa santé. Avec cela, il tient le ressort de sa dramaturgie, et les mots, qui cognent comme des coups de poings, remplacent avantageusement les images. Il ne se pose pas des questions sur son origine, ni sur le sens de sa vie, reléguant aux impressionnistes (ou un autre mouvement artistique, allez savoir) ces interrogations existentielles.
Né au début des années quarante, en pleine Seconde Guerre mondiale, d´un père belge et d´une mère française, François Water est au carrefour d´une Europe en gestation et d´un monde qui va de bouleversement en bouleversement. Le prix Goncourt qu´il a reçu en 2005 pour son roman Trois jours chez ma mère récompense un parcours. Il est l´aboutissement d´une oeuvre en vase clos, qui n´en finit pas de naître et de se faire. Plutôt qu´une caméra en bandoulière, il écrase la pointe de son stylo, -voire ce calame trempé dans le fiel-, angoissé à l´idée de ce qui va en sortir, se trompant de cadence. Le feuille blanche lui joue des tours, et ce qu´il croit réaliser en un mois mettra des mois à mûrir. Comme on fait son lit on se couche, mais, lui, dort debout, les yeux ouverts, l´état de veille lui taraudant l´esprit.
Dans son schéma actantiel, destinateur et destinataire se regardent en chiens de faïence. Et pour détourner l´attention des adjuvants et des opposants, il sème sur son passage ses leurres et ses attrape-nigauds: le plaisir de la bonne bouffe, ces cinq légumes frais qui font la joie de son quotidien. Mais qu´on ne s´y trompe pas. Le roman n´est pas triste. Bien au contraire, il est tout feu tout flamme. D´où le mélange décapant, ces rebondissements, ces geysers qui giclent au moment où on ne s´y attend pas. Rivière résurgente qui invite au ressourcement.
Histoire d´un écrivain en mal d´inspiration, avec cette obsession de devoir finir un livre que les éditeurs sont impatients de voir achever, on est là dans un thème récurrent, voire éculé à force d´avoir été traité. Et toute l´astuce a été de donner à cette prémisse aussi fine qu´un papier à cigarette tout l´espace d´un questionnement mené tambour battant, à un rythme soutenu, parce qu´en fin scénariste, le narrateur a mis en place les préparations et les paiements qui tiennent en haleine le lecteur, jusqu´au climat final; clé de voûte d´une fiction qui aura taquiné le Goncourt.

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