L'Expression

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FRÉDÉRIQUE DEVAUX-YAHI À L’EXPRESSION

«Je peux excuser mon père»

«<I>Il faut cesser de rêver à la France comme étant le paradis. Ce n’est pas vrai !</I>», affirme la réalisatrice...

Cinéaste, enseignante et auteur de plusieurs ouvrages, Frédérique Devaux-Yahi n´a pas eu une vie facile. Son documentaire Entre deux rives, présenté samedi à la cinémathèque, traite de l´émigration à travers une histoire intime, très douloureuse: la sienne. Elle prend ancrage dans l´abandon d´une famille. Tayeb Yahi, son père, a fait partie de la première vague d´immigration en 1947 en France. Déjà marié en Kabylie, il rencontre à Saint-Denis, Denise avec qui il aura 5 enfants, dont l´aînée est Frédérique. En 1964, il repart dans son village avec deux de ses enfants. Après avoir reconstitué la trajectoire qui a conduit son père à abandonner sa famille, la réalisatrice tente de comprendre les mécanismes qui poussent la population kabyle, toutes générations confondues, d´hier et aujourd´hui, à rêver de partir en France. Le film dévoile la crise identitaire des enfants de l´émigration qui «ne reconnaissent plus leur chemin». Réalisé en 2003, ce film de 52 minutes s´inscrit dans le cadre d´une tournée nationale (Alger, Béjaïa, Constantine, Tizi Ouzou...). Une version plus concentrée et personnelle dont la réalisatrice nous confie des pans de sa genèse...

L´Expression: C´est une histoire personnelle, intime et douloureuse que vous avez choisie de porter à l´écran. Quelle a été votre motivation?

Frédérique Devaux-Yahi : J´ai toujours eu envie de parler de cette histoire. Je suis assez respectueuse de mon père. J´ai attendu que l´orage passe... Quel a été le déclic? Je ne sais pas. J´ai juste senti que c´était le moment. Il y a eu plusieurs facteurs, en fait. La vieillesse de cette femme, tante Zahra, le fait que mes frères et soeurs voulaient le faire, sans pour autant faire mal à qui que ce soit.

Vous évoquez dans le film votre amnésie, le fait de ne garder aucun souvenir de votre enfance malgré le fait que vous soyez l´aînée. Comment expliquez-vous cette perte de mémoire?

Ce qui est curieux, c´est qu´on est tous devenus amnésiques. C´est-à-dire nos cinq frères et soeurs. On en a parlé avec des médecins, il semblerait que c´est un phénomène psychologique. La mémoire efface ce qui est douloureux. Sinon, on n´aurait pas pu survivre dans la douleur. Donc, je pense qu´inconsciemment, nous avons décidé, tous, de ne plus nous rappeler. Moi, j´ai quelques flashs de mon enfance. Mais très peu de souvenirs... Nous avons tout effacé comme pour un disque dur. Je n´ai des souvenirs de ma vie qu´à partir de 16-18 ans. Je serais incapable de faire une autobiographie de mon enfance. C´est un blocage que mes frères ont eu également.

Comment s´est déroulé le 1er contact avec vos frères d´ici ? Il n´y a pas eu d´hésitation des deux côtés?

Pour ma part, pas du tout. Pour leur part, je ne peux pas parler à leur place mais je pense qu´ils n´ont pas eu d´appréhension. Ils savaient que j´existais puisque mes frères possédaient des photos de moi. Mon frère d´ici qui tentait de prendre contact avec moi s´était fâché avec mon père, car ce dernier le lui avait formellement interdit. Il a donc entrepris seul des démarches pour me retrouver. Il y avait une omerta sur moi pour des raisons simples. La première, c´est que je suis l´aînée. La seconde c´est que je ressemble comme une goutte d´eau à ma mère. Vous pouvez imaginer ainsi la réaction de mon père en me voyant. Je pense que mes parents se sont beaucoup aimés... Mais quand même, il a essayé de me revoir avant de mourir. Il n´a pas pu, pour des raisons strictement administratives. Quand j´avais 21 ans, j´ai habité Oran, pensant être près de mon père. Je suis retournée en France à 22 ans. Et puis, mon père a passé sa vie à faire des aller-retour entre l´Algérie et la France. Mais on ne s´est pas vu. S´il m´avait demandé de le rejoindre, je serais partie. J´ai toutes les raisons d´y aller...

Finalement, lui pardonnez-vous aujourd´hui puisque vous finissez votre film par cette phrase: «Je ne peux te pardonner, mais je peux enfin te comprendre»...

Je n´aime pas la notion de pardon qui est plus biblique. Elle me dérange énormément. Elle est plutôt relative à la religion chrétienne. Je ne peux pas lui pardonner dans le sens chrétien, par contre ce que j´ai toujours fait, c´est de n´avoir jamais jugé mon père. Dans le contexte où il était, je peux imaginer les difficultés qu´il a rencontrées à cette époque: 5 enfants. En plus, mes parents n´étaient pas mariés. Donc, je n´ai jamais jugé mes parents. Je les ai compris. Je peux excuser mon père. Moi-même, dans le contexte de mes parents, j´aurai peut-être fait la même chose. Comment pourrais-je juger mes parents alors que moi je ne sais pas ce que j´aurai fait dans ce genre de situation... Nous avons eu tous les deux très mal. Je ne pense pas qu´il ait pu nous abandonner par manque d´amour ou par haine. Je pense qu´il n´avait pas d´autre choix et sans le vouloir, il nous a fait mal autant pour lui-même. Il s´est fait mal lui aussi puisqu´il est mort d´un cancer. Il est mort de remords. Cela a été une déchirure des deux côtés, si tenter qu´il faille chercher une égalité dans la douleur.

Quel a été l´écho de votre film lors des festivals à l´étranger et vis-à-vis des critiques?

A ma connaissance, il n´y a pas eu de mauvaises critiques. Pour en arriver au cinéma expérimental, moi-même je suis assez indépendante et je n´ai pas envie d´entrer forcément en compétition, à part au festival d´Annaba où il a été la seule fois en compétition.
Cela m´est tout à fait personnel. J´aurais l´impression de troquer une histoire qui ne m´appartient pas entièrement contre quelque chose qui prétend à un prix.
Cela me gêne de faire inscrire un tel film dans une optique honorifique ou lucrative. Je ne veux pas me trahir.
J´ai plus envie de le mettre dans une optique d´échange et de découverte...
J´ai eu des films primés dans pas mal de festivals mais c´était moins personnel.

Qu´est-ce qui vous a poussé vers la caméra?

J´ai quitté la DAS très jeune. J´ai eu mon Bac à 16 ans. J´ai tout de suite fait reporter. Je suis partie en Inde, au Pakistan, etc. où j´ai commencé à faire des reportages. C´était une façon de m´échapper de la DAS. J´ai donc fait reporter.
Moi, je voulais faire avocat. Mais la vie ne me l´a pas permis. Je me suis retrouvée à faire des films. En même temps, je ne pense pas qu´il y ait du hasard dans ce genre de démarche.

Aujourd´hui, vous travaillez sur quel projet cinématographique?

Je poursuis une série de documentaires expérimentaux. J´ai commencé en 2000. J´ai fait beaucoup de repérages en Kabylie pour un documentaire sur la question du mariage des femmes en Kabylie.
C´est un sujet délicat, très difficile à traiter, notamment le mariage forcé. Le déclic ? Et bien, je vous répondrais que j´ai une soeur qui a été mariée de force et cela m´a beaucoup choquée.
Il est difficile de faire parler les femmes autour d´un sujet aussi épineux. Il faut faire quelque chose. En même temps, il ne faudrait pas faire un pamphlet. C´est un travail de témoignages qui nécessite beaucoup de subtilité.

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