L'Expression

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L'OLIVIER DE MOULOUD MAMMERI

L'Olivier, le présent de Dieu...

«Et-tînî wa ez-zaYtoûnî...», par ce serment, le Saint Coran fait de l'olivier un arbre à huile béni. Il opère une véritable fascination sur tous les êtres humains et particulièrement sur les Croyants et les Écrivains et les Artistes Peintres.

Pendant le mois sacré de Ramadhâne 1436 (2015), un ami venu de Kabylie, précisément de Tala ***, m'a offert une bouteille d'huile d'olive de sa petite exploitation, tout en m'en vantant les incroyables et nombreux bienfaits pour la santé. Et voyez-vous, cette huile d'olive est même anti-âge, à preuve la vigueur et la taille de cet homme qui est né et qui a grandi sur la terre où pousse l'olivier qui lui a donné l'huile dont il veut me faire profiter! Il n'a cessé de me répéter ce slogan publicitaire, peut-être fruit de son imagination, peut-être vraiment fruit de sa passion, mais sûrement, il me le prouve et il me persuade, grâce à la finesse du filet léger de son huile et son goût suave. Il récite: «Arbre sacré de Kabylie comme arbres des pays méditerranéens, symbole de longévité et de force, l'olivier a d'indéniables vertus sur notre santé. Ses feuilles et ses fruits sont en effet réputés pour apporter forme et longévité.»

Tala, la déesse des eaux
J'en viens donc, à l'auteur du magnifique texte L'Olivier, rédigé avec piété, ainsi qu'il fut lui-même homme pieux humble, à mon cher et regretté aîné et ami Mouloud Mammeri (Tawrirt Mimoun, 28 décembre 1917 - accident mortel, près de Aïn Defla, le 26 février 1989), Président de la toute Première Union des Écrivains Algériens (28 octobre 1963). Il a occupé la chaire de Berbère à l'Université d'Alger. De 1969 à 1980, il dirige le Centre de Recherches Anthropologiques, Préhis-toriques et Ethnographiques d'Alger (CRAPE). En 1982, il fonde à Paris le Centre d'Études et de Recherches Amazighes (CERAM) et la revue Awal (La parole). Spécialiste éminent de la langue et littérature amazighes, il reçoit en 1988, le titre de docteur honoris causa à la Sorbonne. Écrivain, il est l'auteur de nombreux ouvrages (romans, nouvelles, théâtre, essais, recueils de poèmes traduits de célèbres chantres de la poésie kabyle ancienne (notamment des Isefra), écrits divers scientifiques et littéraires.
Jean Pelegri, le célèbre écrivain français et ami de l'Algérie (a adhéré à l'Union des Écrivains Algériens, en 1963, et auteur du grand roman Le Maboul, éd. Gallimard, Paris, 1963), tandis qu'il avait publié un roman autobiographique sous le titre Les Oliviers de la justice (paru en 1959, chez Gallimard. Grand Prix catholique de littérature 1960) et, plus tard, en 1962, qu'il produisait et tournait son film du même titre, il écrivait à son ami de longue date, Mouloud Mammeri, enfant de Kabylie, pour lui demander son avis sur l'olivier. Plus exactement, voici le contenu de la question et la réponse de l'homme de plume et de réflexion, l'homme passionné de son pays, sa Terre Maternelle.
Quelques indications sur «Tala». «Tala» compte de nombreux homonymes et surtout des définitions différentes - dans la mythologie et généralement dans l'histoire des peuples et des pays d'Amérique (Mexique, Uruguay), en Indonésie (volcan), en Océanie (monnaie de l'État du Samoa), en France (arg. élève catholique, p. ex. fam. catholique pratiquant),), en Tunisie (nom d'une ville), - désignant des villes, des villages, des noms propres de personnes, etc. On peut citer chez nous, parmi les plus remarquables, parfois écrit «Thala», par exemple, en Kabylie, les localités de «Tala Hamza» (près de Bejaïa dans la daïra de Tichy) ou «Tala Mimoun» (à une quarantaine de kilomètres de Tizi Ouzou). Pour ce qui nous intéresse, Mouloud Mammeri a évoqué plutôt le village «Tala Ouzrou» (La Fontaine Ouzrou), un village de montagne proche de Bejaïa, ainsi qu'on peut aisément l'observer dans son superbe roman L'Opium et le bâton tout comme dans le film éponyme réussi (avec ajout de «Tala» à l'intérieur de la lettre O de «L'Opium», du réalisateur Ahmed Rachedi. Car Tala veut dire en tamazigh «fontaine», «source» et c'est là que les femmes se rencontrent et se conçoivent les plus belles espérances de vie, et dans l'imaginaire «Tala» est incontestablement la déesse des eaux.

«L'olivier fraternel»
Voici un extrait de l'entretien épistolaire:
«Jean Pelegri:
- Quel est ton arbre préféré?»
Heureux, subtil et fier, Mouloud Mammeri répond, à l'évidence, sans ambages:
«- L'olivier! Naturellement, ce n'est pas original, mais on a les arbres que l'on peut et celui-là a toutes les vertus. D'autres essences ont plus de prestige. La littérature les a toutes chantées sur tous les tons. Elle a dit la beauté rectiligne des cèdres, ceux du Liban, dont elle a même entendu les choeurs, mais les nôtres ne sont pas moins altiers ni moins harmonieux; je les trouve même plus humains. T'est-il arrivé de contempler vers Tikjda ces cimetières d'arbres calcinés, dont les choeurs tragiques ne disent que l'insupportable mort.
Vous (vous, c'est tout ce qu'il y a au nord de la Méditerranée) avez évoqué les hêtres, les trembles, les peupliers, invoqué les chênes consacrés au gui l'an neuf.
En Russie, j'ai tant entendu de guitares et de voix conter au bouleau la peine des amants, leurs amours et leurs nostalgies, que j'aimais les bouleaux avant d'en avoir jamais vus. Plus tard, j'y ai retrouvé les couleurs pastel, la blancheur liliale, les feuilles tendres, les fûts frêles et droits. Mais qu'importe!
C'étaient les arbres d'autres climats que celui dont j'avais respiré l'ardeur de l'été, les soleils pâles de l'automne.
L'arbre de mon climat à moi, c'est l'olivier; il est fraternel et à notre exacte image. Il ne fuse pas d'un élan vers le ciel comme vos arbres gavés d'eau.
Il est noueux, rugueux, il est rude, il oppose une écorce fissurée mais dense aux caprices d'un ciel qui passe en quelques jours des gelées d'un hiver furieux aux canicules sans tendresses.
À ce prix, il a traversé des siècles. Certains vieux troncs, comme les pierres du chemin, comme les galets de la rivière, dont ils ont la dureté, sont aussi immémoriaux et impavides aux épisodes de l'histoire; ils ont vu naître, vivre et mourir nos pères et les pères de nos pères. À certains, on donne des noms comme à des familiers ou à la femme aimée (tous les arbres chez nous sont au féminin) parce qu'ils sont tissés à nos jours, à nos joies, comme la trame des burnous qui couvrent nos corps. Quand l'ennemi veut nous atteindre, c'est à eux, tu le sais, qu'il s'en prend d'abord, parce qu'il pressent qu'en eux, une part de notre coeur gît et... saigne sous les coups.
L'olivier, comme nous, aime les joies profondes, celles qui vont par-delà la surface des faux-semblants et les bonheurs d'apparat.
Comme nous, il répugne à la facilité. Contre toute logique, c'est en hiver qu'il porte ses fruits quand la froidure condamne à mort tous les autres arbres. C'est alors que les hommes s'arment et les femmes se parent pour aller célébrer avec lui les noces rudes de la cueillette. Il pleut, souvent il neige, parfois il gèle. Pour aller jusqu'à lui, il faut traverser la rivière et la rivière en hiver se gonfle. Elle emporte les pierres, les arbres, et, quelquefois les traverses. Mais qu'importe! Cela ne nous a jamais arrêtés; c'est le prix qu'il faut payer pour être de la fête. Le souvenir émerveillé que je garde de ces noces avec les oliviers de l'autre côté de la rivière - mère ou marâtre selon les heures -
ne s'effacera de ma mémoire qu'avec les jours de ma vie.
Et puis quoi? Rappelle-toi: l'olivier, c'est l'arbre d'Athéna, déesse de l'intelligence, Athéna, sortie toute armée du cerveau de Jupiter (n'est-ce pas une merveilleuse chose que de pouvoir, ainsi à l'agréable et l'utile, joindre l'intelligence? Athéna, déesse aux symboles et rites libyens (l'Égide, dit Hérode, c'est le nom berbère du chevreau et c'est vrai, c'est le même mot qu'on emploie aujourd'hui: ighid).
Te dirai-je, Jean, qu'il ne me déplaît point que l'arbre de nos champs plonge si loin les racines de son inépuisable vitalité. Les dieux de ces temps traversaient les mers pour aller féconder d'autres terres (et de quelle merveilleuse façon!) en notre ère de dogmes et d'intolérance, il ne nous reste plus l'emblème de l'arbre et sa couleur bichromie: les feuilles sont vertes d'un côté, blanches de l'autre, et tu ne sais jamais, quand tu es dessous, quel ton va prendre, sous le vent, la chevelure diaprée qui chatoie par-dessus toi. Je sais, des fois âpres et exclusives sont venues depuis, des fois nées dans des déserts sans arbres qui ont relégué les divinités humaines et douces «dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts»; nous n'avons plus, hélas, la déesse casquée, mais Jean, il nous reste au moins l'arbre de ses voeux, celui dont elle fit don à la plus humaine des cités.»
Et voici une subtile conclusion qui donne à réfléchir aux esprits bien-pensants et qui se trouve dans une réponse de Mouloud Mammeri à l'article «Les donneurs de leçons» publié en 1980: «Vous me faites le chantre de la culture berbère et c'est vrai. Cette culture est la mienne, elle est aussi la vôtre. Elle est une des composantes de la culture algérienne, elle contribue à l'enrichir, à la diversifier, et à ce titre je tiens (comme vous devriez le faire avec moi), non seulement à la maintenir, mais à la développer.»

(*) L'Olivier de Mouloud Mammeri, Source (et remerciements à): Culture savante, culture vécue, articles ou communications écrits par Mouloud Mammeri (1938/1989). Éd. association culturelle et scientifique, Tala, 1991.

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