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HOMMAGE À EMMANUEL ROBLÈS (1914 - 1995) AU 19E SILA 2014

La Mémoire algérienne n'a pas oublié Emmanuel Roblès

Mardi 4 novembre 2014, célébrant le centenaire de sa naissance, un émouvant hommage a été rendu au grand écrivain Emmanuel Roblès, né à Oran, le 4 mai 1914, décédé à Boulogne-Billancourt/Hauts-de-Seine, le 22 février 1995.

Le Salon International du Livre d'Alger (SILA), de tradition, et sous l'intitulé «Ils nous ont quittés», a organisé un cycle d'hommages «aux personnalités disparues au cours de l'année écoulée» dont, entre autres, les écrivains et, parmi eux, la présente édition a rendu hommage à Emmanuel Roblès. À cet hommage, qui a eu lieu dans l'espace «Esprit Panaf», ont contribué Guy Dugas (France, directeur de l'IRIEF-Université Montpellier III, directeur scientifique du Fonds Roblès-Patrimoine méditerranéen), Kaddour M'Hamsadji (Algérie, écrivain, chroniqueur littéraire), Hamid Nacer-Khodja.(Algérie, enseignant et chercheur au département des langues à l'Université de Djelfa) et Youssef Saiah (Algérie, Modérateur, producteur et animateur d'émissions littéraires à la radio et à la télévision algériennes). Comme j'ai été indisponible, j'ai confié mon intervention écrite à Youssef Saiah qui a bien voulu la lire à l'assistance et, y trouvant de l'intérêt à la faire connaître, il en a distribué des copies à la presse et m'a demandé de la publier ici.
À titre d'information, je livre donc simplement l'essentiel de mon texte aux fidèles lecteurs du Temps de lire:
«Mesdames, Messieurs, Chers amis, Mon souvenir, sans doute est-ce aussi le vôtre, du moins pour ceux qui, parmi vous, l'ont approché quelque peu, c'est l'image inoubliable de notre cher Emmanuel Roblès en ce Centenaire de sa naissance.
Cette image est, pour moi, toujours présente au moindre signe révélateur: non seulement un titre de livre, un article publié à son sujet, mais aussi un homme ayant un corps trapu, la tête dégarnie, le visage rond et expressif, aux yeux grands et vifs, aux sourcils touffus, surtout une voix grave et alerte s'accompagnant d'une poignée de main chaleureuse et d'un franc sourire; et c'est presque bien lui, le regretté Emmanuel Roblès, que je retrouve. Il est l'homme résistant, juste et généreux, comme le «chêne», ainsi que son nom veut dire en espagnol.
Il est né le lundi 4 mai 1914 à Oran; il nous a quittés le mardi 22 février 1995 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Je n'ai pas l'intention d'égrener devant vous les étapes de sa vie, ses origines espagnoles, son enfance d'orphelin dans une famille aux ressources fort modestes, le rôle de sa mère, son adolescence et ses fréquentations, ses études, sa formation intellectuelle, son service militaire pendant la Seconde Guerre mondiale... Je n'évoquerai pas non plus ses premières amours, ni même ses débuts dans la littérature et les succès de ses oeuvres littéraires, ni ses attaches multiples avec la belle langue de ses ancêtres espagnols et leur culture, ni même ses voyages aux quatre coins du monde, ni ses élans de sincère fraternité avec des écrivains algériens, ni ses relations, parfois compliquées avec ses confrères écrivains français et néanmoins amis. Je pense, par exemple, à Albert Camus et à l'esprit politique développé et raté à l'occasion d'une conférence à Alger en 1956, et je pense a contrario tout particulièrement au courage de Roblès et à son engagement aux côtés des libéraux durant la guerre d'Algérie et à son militantisme efficace en faveur de la cause du nationalisme algérien. Je laisse donc tous ces aspects fort intéressants de la vie d'Emmanuel Roblès puisqu'il est possible de les retrouver aisément ailleurs dans des biographies bien belles et bien complètes, notamment dans les travaux de Guy Dugas qui a publié sous sa direction «Emmanuel Roblès.et l'Hispanité en Oranie» (Actes du colloque organisé par le centre culturel Français d'Oran et l'université Oran-La Sénia, 4-5 novembre 2008,...), éd. L'Harmattan, 2012.
Je voudrais plutôt évoquer, si peu soit-il, ma rencontre avec Emmanuel Roblès. Comment l'ai-je connu? Eh bien, par le plus grand des hasards, simplement!
Tout d'abord, la lecture de son roman, Les Hauteurs de la ville (éd. 1948), m'a impressionné. Il l'a écrit sous l'extrême émotion dont il a été saisi en apprenant les soulèvements populaires du 8 mai 1945. Il se trouvait du côté de Stuttgart. «Un immense incendie, écrit-il, s'éteignait en Europe. Un autre s'allumait dans mon propre pays de l'autre côté de la mer. S'il n'était pas de même proportion, ses flammes en avaient le même rougeoiement de malheur.» Dans sa préface à ce livre, il explique: «À mon retour en Algérie, l'année suivante [1946], ce que j'ai pu constater là-bas m'a fait vivre dans la certitude que le brasier noyé un an plutôt dans le sang de milliers de victimes, reprendrait plus dévorant. On tue les hommes, on ne tue pas l'idée par laquelle ils acceptent de mourir, chacun de nous le sait.» Roblès fait encore remarquer fortement: «Aux jeunes Algériens, l'avenir n'offrait aucun espoir. L'espoir, comme les structures même du régime colonial, les destinait à buter contre un mur, sans la moindre possibilité de percée, d'ouverture sur un monde plus équitable.»
De plus, dans ce roman, j'avais trouvé un point commun à nous deux, un lieu fantastique pour une rencontre virtuelle: «Soûr El Ghouzlâne» (Le Rempart des Gazelles), ma ville natale, bien-aimée. Lui, il y avait fait, un temps, son service militaire pendant la Seconde Guerre mondiale. Quelle coïncidence! C'est même par cette ville où est née sa mère que passe Smaïl, le héros du récit. Ce jeune Algérien de 20 ans, révolté contre un «négrier» d'Alger au service de l'Allemagne nazie, s'est chargé de conduire clandestinement vers le Maroc, Fournier, un résistant français antinazi, recherché par des pseudo-patriotes français soumis au régime de Vichy. Smaïl apprend à son protégé que la colonisation a changé le nom de la ville Soûr el Ghouzlâne par «Aumale, en l'honneur du vainqueur de la Smalah d'Abdelkader». Dans ce roman, pp. 132-133, il est un dialogue amer mais instructif sur l'influence de la civilisation occidentale importée en colonie... Plus tard, dans une préface à ce roman, Emmanuel Roblès écrit: «Six ans à peine après la publication des «Hauteurs de la ville», l'Algérie prenait son visage de guerre. Par milliers, des Smaïl, décidés à conquérir leur dignité, ont surgi du fond de leur nuit, la torche au poing (Juillet 1960).»
Puis, c'est quand j'étais élève-maître à l'École normale de Bouzaréah-Alger (1955-1956) que j'ai fait vraiment connaissance avec Emmanuel Roblès. Un mercredi, il était invité à prononcer une conférence dans la grande salle des spectacles. Je le revois, fier aîné, sympathique ancien normalien et professeur, écrivain célèbre et de grand talent que caractérise une esthétique formée de réalisme et de naturalisme. Il nous présenta deux ouvrages «Le Fils du pauvre» et «La Terre et le sang» de Mouloud Feraoun, son ami et confrère. Après un débat riche en échanges avec les élèves-maîtres, je l'entendis demander à me voir, car je l'avais déjà rencontré, grâce à mon professeur de français, Bernard Masson, à l'époque où je suivais les cours du Lycée Bugeaud d'Alger (auj. Lycée Émir Abdelkader). Il m'apprit que son ami El Boudali Safir, que je connaissais, lui avait parlé avec enthousiasme de ma pièce de théâtre La Dévoilée. Il me demanda de lui en faire parvenir une copie. Ce fut fait. La semaine suivante, il me proposait d'écrire une préface à La Dévoilée qui allait être publiée en 1959, en France, aux Éditions Subervie.
À la suite de l'accident mortel d'Albert Camus, notre regretté Emmanuel Roblès me demandait par une lettre datée du 7 mai 1960 de m'associer à l'hommage que Simoun (une revue littéraire paraissant à Oran) rendait à Camus, dans son numéro 31, de juillet 1960. Il m'écrivait: «Cher ami... Acceptez-vous (et je le souhaite vivement!) de vous joindre à cet hommage auquel vont participer Audisio, Feraoun, Moussy, Pierre Blanchar, etc.? Quelques pages montrant l'influence, le rayonnement d'Albert Camus sur votre jeunesse, conviendraient. Voyez.» J'acceptai évidemment et ma contribution parut dans Simoun, pp.52-53, sous le titre «La grande colère de l'absurde» et entre le texte de Jean Pelegri et de celui de Claude de Fréminville.
Ensuite, nous nous écrivions de temps à autre.
Après 1962, nous nous étions revus à Alger, lors de ses conférences dont l'une prononcée à la Salle des Actes de l'Université d'Alger et de ses deux ou trois visites amicales à l'Union des Écrivains Algériens dont Mouloud Mammeri était le président, Jean Sénac le secrétaire général et moi-même le secrétaire général adjoint.
En décembre 1963, un déjeuner lui a été offert par l'U.E.A. Nous étions au fameux «Cercle du Grand Maghreb», autour d'une table joliment décorée au centre avec des fleurs. En lisant la carte du menu, Roblès souhaita prendre «un steak tartare» dont il était friand, avoua-t-il. Mais, au cours du repas, il ne prit aucun verre de vin. Comme je m'en étonnai discrètement, Mammeri, pince sans rire, me dit à voix haute: «Toi non plus, tu ne bois pas de vin. Tu es abstème, et Emmanuel aussi!». Les convives, sauf moi, se mirent à rire... Au cours du café, Roblès me dédicaça son livre Montserrat (édition de 1954): «À Kaddour M'Hamsadji, cette tragédie qui n'est pas seulement... vénézuélienne, en souvenir de la rencontre d'Alger en décembre 1963. Très amicalement. E. Roblès.»
Une des dernières fois, je le rencontrai à la suite de la publication de son roman La Croisière (1968) dont je fis une note de lecture dans El Moudjahid du mardi 2 avril 1968, p. 8. Le 23 avril 1968, il m'écrivait: «Votre papier dans El Moudjahid m'a fait plaisir et après tout, parce qu'il est un signe d'amitié fidèle. Je vous en remercie et vous redis mes sentiments affectueux.»
Maintenant, je voudrais laisser couler ces petits mots de rêverie inspirés d'un passé d'images élégantes et fraternelles. Si j'ai cher à mon coeur plusieurs aînés, et ceux de ma génération, égaux en littérature dont Mouloud Mammeri, Moufdi Zakaria, Cheikh Mohamed Laïd Khalifa, Mourad Bourboune, Kateb Yacine, Abderrahmane Djilali, Tewfik El Madani, M'hamed Aoune, Malek Haddad, Bachir Hadj Ali, Laadi Flici, Ahmed Azeggagh, Salah Kherfi, Mustapha Toumi,... je tiens à y ajouter Emmanuel Roblès, avec toute ma tendre et fidèle amitié, Albert Camus, avec mon grand et respectueux salut à l'homme «solitaire-solidaire», Jean Pelegri en lui esquissant dans l'espace terrestre un vivant et libre escargot qu'il a inventé dans son roman Le Maboul», éd. Gallimard, 1963,... et Jean Sénac, bien sûr.
Voilà donc, à mon sens, une excellente résolution de l'image de l'écrivain Emmanuel Roblès, «l'enfant du pays», un si beau destin d'homme d'honneur, dont l'Algérie célèbre le centenaire de la naissance. La mémoire algérienne n'a pas oublié Emmanuel Roblès.»

* K. M'H. a déjà consacré 4 articles dans sa rubrique Le Temps de lire paraissant le mercredi, page 21 dans le journal L'Expression:
Mercredi 7 mai 2014 sous le titre: Les hauteurs de la pensée roblésienne.
Mercredi 14 mai 2014 sous le titre: Un si beau destin d'homme d'honneur.
Mercredi 21 mai 2014 sous le titre: Des personnages qui pèsent sur la terre.
Mercredi 29 octobre 2014: La Croisière ou le récit d'un passionné.

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