L'Expression

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Quand la chaussure remplace la plume

Le 12 octobre 1960, Krouchtchev se baisse, ôte sa chaussure et tape avec sur son pupitre, à coups redoublés. Faire ça à l´ONU? C´était du jamais-vu. La scène fait le tour du monde et permet au dirigeant soviétique d´entrer dans l´Histoire.

Le coup de la chaussure du journaliste irakien contre le président Bush qui donnait une conférence de presse à Baghdad a eu un retentissement mondial. Le geste est repris en boucle par toutes les télévisions occidentales et certaines chaînes arabes. Que dire d´un tel geste? Dans les innombrables commentaires relevés, il y a plus d´applaudissements et d´approbation que de consternation et de condamnation. Le célèbre site Web «YouTube» explose littéralement de visiteurs pour voir et revoir la séquence. Des jeux de lancer de chaussures sur la Toile voient le jour. Les deux premiers nous viennent d´un Anglais et d´un Norvégien.
Toute la presse occidentale s´est emparée du sujet plus pour le justifier, voire le glorifier, que de s´en indigner. Ce brusque «regain d´amour» manifesté par les médias internationaux pour la «chaussure arabe» n´est ni innocent ni dénué de sens. Pour ces médias, le mode d´expression des Arabes par la chaussure n´est pas nouveau. La statue déboulonnée de Saddam Hussein a été «battue» par les Irakiens à l´aide de leurs chaussures, rappellent ces mêmes médias. Il est dit aussi que le journaliste chiite irakien, Mountazer Al Zaïdi, reporter de la chaîne Al Baghdadia, avait prémédité depuis un temps de lancer sa chaussure sur le président américain dès qu´il en aurait l´occasion. C´est sa tante qui habite le même immeuble que lui qui l´affirme. Nous sommes donc fixés qu´il ne s´agit nullement d´un geste de colère spontané. Mais bien d´un acte réfléchi, préparé et attendu par d´autres journalistes mis dans la confidence.
Mais qui est donc ce journaliste «courageux»? Mountazer Al Zaïdi est agé de 29 ans. Il est salarié de la chaîne Al Baghdadia. Il est né dans le quartier chiite de Kazamiyah à Baghdad. Il vivait seul dans un appartement de deux pièces, agréablement décoré, rue Rachid dans le centre historique de la capitale. Dans sa bibliothèque, il y a des livres politiques et religieux en arabe et en anglais et une photo de Che Guevara.
On peut se demander quel rapport peut-il bien y avoir entre les livres religieux et Che Guevara, l´icône des communistes? Admettons que c´est l´ouverture d´esprit propre aux intellectuels qui a permis à Al Zaïdi de diversifier sa bibliothèque. On oublie par contre que les Arabes n´ont pas «la propriété intellectuelle» de l´expression par la chaussure.
Déjà, en 1905, des contestataires du Tsar s´étaient déchaussés au Parlement russe et, utilisant leurs godillots, avaient martelé les tables qui se trouvaient devant eux en signe de protestation. Mais le coup qui a eu le plus de résonance fut celui de Krouchtchev à l´ONU en 1960.
Le 12 octobre de cette année-là, ce dirigeant soviétique, excédé par les propos du représentant philippin qui évoquait «les peuples de l´Europe orientale qui ont été avalés, si on peut dire, par l´Union soviétique», explose de colère. Il se lève et réclame la parole. Le président de séance ne la lui accorde pas. Krouchtchev se baisse, ôte sa chaussure et tape avec sur son pupitre, à coups redoublés. Faire ça à l´ONU? C´était du jamais-vu. La scène fait le tour du monde et permet à Krouchtchev d´entrer dans l´Histoire. Un aspect que les médias du monde entier qui font les gorges chaudes de la chaussure «irakienne» n´ont pas cru bon de rappeler.
Qu´importe, on voit bien cependant que le journaliste irakien n´a rien inventé. En poussant un peu plus le raisonnement, la présence de la photo de Che Guevara pourrait bien expliquer l´origine de l´inspiration de l´envoyé de la chaîne Al-Baghdadia.
Interrogé, un citoyen irakien a eu ces mots: «Ce n´était pas la façon la plus fine et constructive d´exprimer sa colère contre Bush de la part d´un journaliste arabe éduqué.» «Ça va renforcer les stéréotypes sur les Arabes dans le monde occidental.» Un autre citoyen irakien donne son sentiment: «Je n´aime pas Bush, mais je ne suis pas d´accord avec ce geste, ce n´est pas civilisé. Les journalistes ont le papier et le stylo pour se battre, pas leurs chaussures.» Deux citoyens qui ne se sont pas laissé éblouir par les projecteurs et n´ont pas perdu de vue l´envers du décor.

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