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Amar Mohand-Amer, chercheur et historien au Crasc, à L'Expression

«Tout est dans la volonté des deux chefs d'État»

Amar Mohand-Amer, est historien et directeur de la Division socio-anthropologie de l'histoire et de la mémoire (HistMém) au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) d'Oran. Dans cet entretien, il revient sur quelques détails de la visite effectuée par le président français Emmanuel Macron en Algérie, dont la question mémorielle et, notamment la commission mixte d'historiens décidée par les deux Présidents.

L'Expression: Après les déclarations conjointes des deux présidents, Abdelmadjid Tebboune pour l'Algérie et Emmanuel Macron pour la France, pensez-vous que les volontés politiques sont enfin mûres pour aborder les importantes questions d'Histoire et de la Mémoire, inhérentes au passé commun des deux pays?
Amar Mohand-Amer: Déjà il est important de préciser que ces questions sont récurremment abordées par les politiques, et cela depuis longtemps, que ce soit dans notre pays l'Algérie ou en France. Ce qui est nouveau, c'est la volonté politique des deux chefs d'État, Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron, de mettre en place une «commission mixte d'historiens, algériens et français». Cette décision est actée officiellement par la déclaration, signée par les deux Présidents, le 27 août 2022, à Alger. Ainsi, la «Déclaration d'Alger pour un partenariat renouvelé entre l'Algérie et la France» (APS, 28 août 2022), stipule que les «deux parties entreprennent d'assurer une prise en charge intelligente et courageuse des problématiques liées à la Mémoire dans l'objectif d'appréhender l'avenir commun avec sérénité et de répondre aux aspirations légitimes des jeunesses des deux pays».
Il apparaît clairement, dans cette Déclaration d'Alger, que les deux Présidents font de la question de la Mémoire et/ou des mémoires un socle du partenariat renouvelé entre les deux pays, qu'ils aspirent à bâtir. Par ailleurs, les terminologies usitées dans la «Déclaration du 27 août 2022», telles que «prise en charge intelligente et courageuse» ou «répondre aux aspirations légitimes de la jeunesse», renvoient, semble-t-il, à une nouvelle approche de l'histoire, du passé et des relations avec la France, de la part du gouvernement algérien. Il s'agit, en l'espèce, de construire cette relation multiforme renouvelée avec la France sur de nouvelles bases, où la jeunesse et ses attentes actuelles constitueraient les ferments de la politique mémorielle du pays. C'est ce que nous pouvons, c'est du moins mon analyse, qualifier de «pragmatisme mémoriel», dans le sens où les conflits politiques en rapport avec l'Histoire et les tensions mémorielles, que connaissent et vivent les deux pays depuis l'indépendance, empêchent, de part et d'autre, la consolidation des relations entre l'Algérie et la France. Dans cette optique, l'articulation des questions d'histoire et de la mémoire autour des aspirations de la jeunesse et de son avenir immédiat autorisera un travail sur la durée, loin des pesanteurs politiques et des surenchères idéologiques. C'est vraisemblablement cela l'esprit de ce qu'il a été rédigé dans cette déclaration, s'agissant du volet historique et mémoriel.

En tant qu'historien et chercheur à la Division «socio-anthropologie de l'Histoire et de la Mémoire» au Crasc d'Oran, quelle est votre vision de ce que pourra être cette «commission mixte d'historiens algériens et français» et, plus généralement, aussi de la relation qui devrait exister entre les chercheurs et les autorités publiques, en Algérie?
Tout d'abord, il faudrait lever quelques équivoques. Les travaux sur l'histoire de la période coloniale existent et sont nombreux. Le partenariat scientifique entre les chercheurs et les institutions des deux pays existe, lui également, et a été souvent soutenu et de grande qualité. Cependant, à chaque fois qu'il y a une crise politique entre l'Algérie et la France, les chercheurs, notamment les historiens en payent le prix: les échanges scientifiques cessent immédiatement. C'est une situation ubuesque qui pénalise la recherche et les chercheurs. Après avoir précisé cela, il est primordial de se poser les questions suivantes:

Le débat et les tensions politiques opposant de temps à autre Alger et Paris ne peuvent-elles pas influencer le travail des historiens des deux côtés?
Dans la Déclaration d'Alger du 27 août 2022, il est indiqué que la «commission conjointe d'historiens algériens et français» sera chargée de travailler sur «l'ensemble des archives de la période coloniale et de la guerre d'indépendance. Ce travail scientifique a vocation à aborder toutes les questions, y compris celles concernant l'ouverture et la restitution des archives, des biens et des restes mortuaires des résistants algériens, ainsi que celles des essais nucléaires et des disparus, dans le respect de toutes les mémoires. Ses travaux feront l'objet d'évaluations régulières sur une base semestrielle». Le premier enseignement est qu'il s'agit du volet «archives». Ce sera donc une dérogation générale sur l'ensemble de la période 1830-1962. Rappelons que de nombreux historiens et observateurs ont émis des réserves au sujet de cette commission et de ses objectifs. En ce qui me concerne, j'ai une approche qui se base sur mon expérience de terrain, ici en Algérie. Si cette commission aide à faciliter la recherche et à créer les conditions favorables afin que nos historiens et chercheurs, notamment les jeunes puissent travailler sereinement, ce sera une bonne chose. Aussi, est-il important que cette dérogation générale ne soit pas circonscrite à un groupe de chercheurs. Il est primordial également que cette «commission» ne soit une supra-autorité qui régenterait la recherche sur cette période ou se complairait dans des conciliabules sans fin, d'où ne sortiraient que résolutions bancales et voeux pieux. Enfin, plus la recherche en histoire s'affranchit du politique, de l'idéologique et des lobbies de la mémoire, mieux elle se portera. Cela ne veut pas dire, que les politiques en soient exclus. Seulement, leur rôle devra être dans la facilitation (mobilité des chercheurs), la promotion de la recherche (financement des projets sérieux et viables), la reconnaissance (réhabilitation du statut de chercheur)... 

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