L'Expression

{{ temperature }}° C / {{ description }}

Cité introuvable.

MOKRANE AIT LARBI A L’EXPRESSION

«Le pouvoir confond dialogue et manipulation»

Avocat et ancien sénateur du tiers présidentiel qui a démissionné, Me Mokrane Aït Larbi est une personnalité politique qui fait des analyses appropriées et garde son franc-parler sur les événements d’actualité.

L´Expression : Votre commentaire sur le dialogue gouvernement-ârchs.Mokrane Aït Larbi : Pour trouver une solutions fiable et durable à la crise qui oppose la
Kabylie au pouvoir central depuis avril dernier, il faut ouvrir un dialogue.
Mais nous constatons, encore une fois, que le pouvoir confond dialogue et manipulation. Il cherche par ce «dialogue» à faire croire à l´opinion publique qu´il est prêt à satisfaire la plate-forme d´El-Kseur et que le mouvement est divisé en «dialoguistes» qu´il faut encourager et en «radicaux» qu´il faut isoler. En regardant de près, on trouve parmi les dialoguistes et les radicaux des agents du pouvoir chargés d´imposer sa vision ou de
maintenir la Kabylie dans l´insécurité. Si le pouvoir veut réellement dialoguer pour sortir de cette impasse, il doit préalablement dire publiquement quels sont les points qu´il a décidé de satisfaire sans aucune discussion et quels sont les points qui doivent faire l´objet d´un dialogue serein et responsable avec des personnes crédibles et représentatives. Il n´y a pas de problèmes sans solution à condition d´éviter la politique politicienne, d´abandonner les méthodes de manipulation et de démontrer concrètement l´existence d´une volonté politique.

Quelle analyse faites-vous sur le mouvement en général et quelles perspectives envisagez-vous pour la sortie de crise?Malgré l´existence de groupes qui cherchent à dialoguer sans mandat ou qui exposent les populations au danger, la majorité des membres des ârchs est composée de personnes sages, crédibles et animées de bonne volonté. Il appartient à cette majorité d´isoler les uns et les autres pour faire aboutir les revendications pacifiquement et non de s´isoler pour laisser place à des aventuriers de bas étages. Lorsqu´on demande à des jeunes d´observer des sit-in « pacifiques » devant des brigades de gendarmerie ou des commissariats de police, on sait à l´avance que l´affrontement est inévitable. Or, d´autres moyens de mobilisation existent.

Le gouvernement a-t-il le droit de dialoguer avec de faux délégués?Le dialogue n´est pas un problème juridique pour savoir si le gouvernement a le droit de dialoguer ou non avec de faux délégués. C´est une question de crédibilité: un gouvernement crédible cherche des interlocuteurs crédibles et représentatifs.

Le pouvoir a institué deux commissions d´enquête: Issad et une commission parlementaire, sans qu´aucune sanction soit prise. Votre commentaire.Il y a effectivement la commission du président et celle du Parlement pour enquêter sur les événements de Kabylie. La première a déposé son rapport préliminaire le 3 juillet dans lequel elle implique clairement des gendarmes en précisant qu´ils ont tiré pour tuer, mais le Président de la République n´a accordé aucune importance aux premières conclusions de cette commission. Celle de l´APN travaille depuis le début dans la clandestinité et elle n´a pas encore présenté ses premières conclusions. Nous pensons que la commission Issad a évité d´impliquer la hiérarchie dans les événements de Kabylie malgré l´existence de preuves dans son rapport préliminaire. Et nous n´avons rien à attendre de la commission de l´APN.

Votre commentaire sur la marche de jeudi pour la libération des détenus.Une marche est un moyen d´expression collective légitime reconnu par le droit international et la Constitution algérienne. La mobilisation pour la libération des détenus est l´affaire de tous. Leur maintien en détention prouve suffisamment que le pouvoir ne cherche pas de solution, mais un prétexte pour justifier une nouvelle répression. Sans m´arrêter sur le nombre de participants avancés par la police, les organisateurs et les observateurs, je considère que cette marche est un succès.

Il y a l´éventualité du boycott des élections, quelle lecture en faites-vous?Les élections législatives seront organisées vraisemblablement en juin prochain. Dans un pays comme le nôtre où les institutions ne fonctionnent pas et où les partis politiques sont réduits à négocier les «quotas», on ne peut pas se prononcer à six mois de cette échéance.

Autonomie, régionalisation, quel avenir politique pour la Kabylie?La régionalisation risque de se transformer en une simple décentralisation des problèmes. L´autonomie de la Kabylie est le seul risque pour conduire cette région à l´isolement et à un conflit permanent avec le pouvoir central. Pour ma part, je me suis prononcé sur la question en avril 1996 en faveur de la création de régions dotées d´assemblées avec un pouvoir de délibérer sur toutes les questions régionales. Il s´agit, en effet, d´un Etat autonomique où toutes les régions seraient autonomes avec une assemblée régionale, un président de région et un exécutif. Le pouvoir central se consacrerait aux questions de souveraineté et celles qui concernent toutes les régions. Les prérogatives du pouvoir central et des régions seraient définies par la Constitution. Cette solution permettrait à chaque région de se développer et de s´épanouir selon ses spécificités culturelles, linguistiques, économiques, géographiques, tout en préservant l´unité de la nation. Dans tous les cas, il faut ouvrir un débat public libre pour permettre à tous les citoyens de s´exprimer pacifiquement et sereinement sur l´organisation de l´Etat.

La plate-forme d´El-Kseur est nationale dans sa portée, mais le mouvement des ârchs s´est confiné en Kabylie. Pourquoi?Si vous estimez que la plate-forme d´El-Kseur est nationale dans sa portée, il faut admettre que ce n´est pas aux ârchs de Kabylie d´organiser la contestation dans les autres régions. Et ce n´est pas parce qu´une revendication est nationale qu´une région seule ne doit rien faire.

Le départ des brigades de gendarmerie est-il réalisable?Après 100 morts et des centaines de blessés par des tirs de gendarmes, on comprend la réaction des familles des victimes et de la population d´une manière générale. Aujourd´hui, le gouvernement a déclaré que tous les points de la plate-forme d´El Kseur, y compris le départ des gendarmes, seront soumis au débat, ce qui est difficile à comprendre pour moi. Le «dialogue» a commencé le 6 décembre et nous attendons du concret.

Le dossier des victimes du printemps noir a-t-il été pris en charge?Concernant les personnes décédées, c´est le Parquet qui a saisi les juges d´instruction pour leur demander de rechercher les causes de la mort. Quant aux blessés par balles, des plaintes ont été déposées par le collectif d´avocats qui suit en même temps les premiers dossiers. A ce jour, aucun gendarme n´a été convoqué, encore moins arrêté ou détenu pour répondre de ses actes devant la justice. Le pouvoir attend probablement les conclusions des deux commissions d´enquête, or l´objet de ces commissions d´enquête est de déterminer la responsabilité politique collective et individuelle et celui d´une information judiciaire est de déterminer la responsabilité pénale individuelle pour sanctionner les coupables.

L´Etat a vite réagi face aux inondations de Bab El-Oued en prenant des mesures d´urgence pour la prise en charge des victimes, ce qu´il n´a pas fait pour les événements de Kabylie. Votre commentaire.Si le pouvoir avait vite réagi aux inondations de Bab El-Oued en prenant des mesures d´urgence pour la prise en charge des victimes comme vous le dites, je me serais réjoui. Mais, non seulement les pouvoirs publics n´avaient pas pris de mesures de prévention suite au bulletin alarmant de la météo du 9 novembre, mais les habitants de Bab El-Oued, et d´autres quartiers sinistrés, n´ont pas vu l´ombre d´un responsable le premier jour du drame. Après ce bulletin, les pouvoirs publics devaient alerter les populations, fermer les écoles, interdire la circulation des poids lourds et transports en commun, voire de tout véhicule sur certains axes pour faciliter les secours. Rien de tout cela n´a été fait. A partir du 11, des mesures ont été effectivement prises en faveur des sinistrés. Mais en Kabylie, il ne s´agit pas de simples négligences des pouvoirs publics à réparer matériellement, mais de crimes de sang qui nécessitent de sanctionner les coupables et les responsables pénalement et politiquement avant de parler d´une éventuelle réparation d´ordre matériel. Il ne faut surtout pas confondre une catastrophe naturelle, malgré les négligences, et la mort d´une centaine de jeunes par balle.

De Quoi j'me Mêle

Placeholder

Découvrez toutes les anciennes éditions de votre journal préféré

Les + Populaires

(*) Période 7 derniers jours