L'Expression

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Face aux aléas géopolitiques

Le pari de la résilience et de la cohésion

En prêtant attention à l'actualité, on peut penser qu'une machination se trame quelque part contre l'Algérie. Ce pressentiment est propre à exciter la réflexion sur le climat interne, ainsi que sur les conditions de l'endurance collective dictée par les circonstances externes et exigée par la raison.

Il ne fait aucun doute que les structures techniques compétentes sont sur leur garde et qu'elles ont pris toutes les dispositions pour mettre le pays à l'abri d'un mal éventuel. Pourtant, une telle occurrence n'est pas seulement un problème technique. Elle tient aussi à la capacité de la société à la résilience et à l'anticipation des secousses. Les premiers à être attendus sur ce terrain sont naturellement les pouvoirs publics. Or, leur tâche est ardue en raison d'un environnement surpolitisé, marqué par un foisonnement de propos déprimants colportés sur les réseaux sociaux dans une ambiance où le verbe est roi et la diabolisation facile. Du modeste citoyen à l'expert, en passant par toutes sortes de protagonistes, chacun y va de ses opinions et de ses états d'âme, de ses constats et de ses solutions, réglant son entendement au gré des circonstances, des critiques, des humeurs et des excitations sociales. C'est la marque d'une communauté nationale hétérogène dans sa structure, anxieuse dans son état d'esprit et vivante dans ses aspirations. C'est aussi le signe d'une effervescence qui interpelle les sociologues à réfléchir sur la démotivation tenace des individus dans leur rapport au bien commun incarné par l'État. Toutefois, ce dernier s'efforce de faire face aux difficultés avec les outils dont il dispose. En règle générale, il sait que la société aspire à beaucoup de choses à la fois et que, pour y répondre, il lui faut raisonner sur tout, en des termes divers: politiques, sociaux, économiques, juridiques, moraux, culturels, stratégiques...La problématique est si complexe que les approches sont multiples. Celle qui semble avoir été privilégiée en ce début de la décennie 2020 n'est pas insolite. Elle réaffirme avec plus d'entrain une démarche éprouvée depuis plus d'un quart de siècle et qui s'inscrit dans une quintuple perspective: 1- favoriser le développement de l'économie de marché et l'émancipation économique du pays; 2- produire les biens et les services collectifs qui rebutent les investisseurs privés; 3- veiller à une bonne distribution des ressources; 4- garantir les assurés contre les risques sociaux et économiques, ainsi que la justice sociale; 5- enrayer le chômage. Par son assiduité à accomplir ces missions, l'État parviendra, chemin faisant, à éveiller la société aux enjeux et aux challenges du siècle émergent et, par ricochet, à la résilience nécessaire.
La route est longue et ardue, mais on peut penser que le top départ est donné à travers, notamment, quatre types de mesures: 1- des mesures à caractère économique avec la législation concernant l'investissement, la numérisation, les énergies renouvelables, l'entrepreneuriat des jeunes ainsi que le système monétaire et bancaire; 2- l'octroi par le FNI d'un crédit de 18,6 milliards de dinars dédié au sauvetage d'un fleuron de l'industrie algérienne, Sider El Hadjar; 3- la multiplication des rencontres gouvernement - walis et la révision des Codes wilayal et communal destinées à impliquer davantage les Collectivités territoriales dans le développement local; 4- la tonification du pouvoir d'achat de 1.150.000 personnes par le relèvement des bas salaires, pensions de retraite et indemnités de chômage pour un montant de quelque 1380 milliards de dinars inscrit dans la loi de finances 2023.

Valoriser le potentiel humain
À terme, ces mesures produiront à coup sûr des résultats si, de leur côté, les administrations étatiques concernées et les secteurs en charge de la formation des cadres et de la main-d'oeuvre qualifiée, comprennent bien le sentiment collectif de leur responsabilité et s'engagent énergiquement à débureaucratiser leurs appareils et à accompagner les entrepreneurs et les Collectivités locales pour les aider à prospérer. Et si, dans le même temps, les politiques publiques se penchent sérieusement sur la valorisation de l'immense réservoir des potentialités humaines du pays, ainsi que sur les conditions de l'efficacité du travail, c'est-à-dire l'accroissement de sa productivité dont les incidences positives sur la production, donc sur l'économie et sur le niveau des prix, sont systématiques. Sempiternel débat qui n'a jamais été clos en raison, notamment, de la tendance endémique à l'inflation, ainsi que de la diversité des formes et des causes de celle-ci.
Quoi qu'il en soit, les pouvoirs publics affichent d'ores et déjà leur détermination à prendre à bras-le-corps cette problématique qui implique aussi bien une considération du facteur temps et du facteur sociologique, qu'une implication des Algériens dans l'action. Or, tout indique que les gouvernants à tous les niveaux procèdent en solitaires face à la charge pesante des problèmes qui pèsent sur la communauté. Cela laisse penser que la politique volontariste visant à montrer au pays la voie de son avenir semble buter à la fois sur la démobilisation des hommes, sur les rouages administratifs et sur le tempérament de la société. Tout cela contrarie manifestement la volonté affichée et rend bien laborieux le ralliement autour des objectifs fixés. Ce phénomène n'est pas surprenant. Il a une triple explication: 1- les Algériens ne savent visiblement pas comment s'impliquer parce que démotivés, désorientés et trop habitués à tout attendre de l État; 2- les acteurs sociaux font montre d'un engourdissement avéré envers la chose collective, se limitant à gérer de diverses manières leurs intérêts immédiats; 3- les secousses à répétition subies par le pays ont causé des dommages ravageurs aux liens de confiance et de coopération à tous les niveaux de la pyramide sociale.
Alors que faire pour susciter de la part de chacun le concours dont tous ont besoin? En 1993 déjà, il a été question de dialogue national, et de «consensus» comme remèdes aux difficultés qui empêchent la société de reprendre son élan. À l'évidence, cela ne semble pas avoir bien fonctionné pour deux raisons: 1- «la classe politique ne fait pas preuve de maturité et n'est intéressée que par le pouvoir» (Liamine Zeroual, 16 janvier 1994); 2- au lieu de s'entendre sur des concepts, des valeurs et des enjeux essentiels dans un contexte mondial incertain, ladite classe politique privilégie des compromis de nature partisane et électoraliste. En effet, il y a toujours eu une sorte de penchant instinctif excessivement individualiste qui n'a pas cessé de diviser les politiciens, conférant au débat un caractère dévastateur dès l'avènement du multipartisme dans le cadre de l'article 40 de la Constitution de février 1989. De plus, les joutes oratoires ont eu tendance à porter périlleusement, dès le départ, sur les valeurs qui ont constitué le point de convergence de la société algérienne et assuré son harmonie au cours des siècles.

Tirer les enseignements
En tout cas, l'heure est venue de tirer les enseignements de cette expérience édifiante et de bien comprendre que la vigueur de l'État dépend fondamentalement de l'harmonie des acteurs sociaux et de la motivation des individus, notamment ceux qui forment ce qui est qualifié d'«élite».
Outre le sentiment national qui existe déjà chez les Algériens et qui se fonde sur des symboles bien connus, cela suppose une cohésion à toute épreuve de la communauté tout entière face aux contraintes intérieures et aux nuisances extérieures. La clé de voûte de cette cohésion est invariablement la confiance réciproque entre les gouvernants et les gouvernés. Ce facteur est décisif parce que l'histoire contemporaine de notre pays a merveilleusement montré les vertus de l'action commune sous-tendue par le sentiment d'assurance qu'inspire à la population la rigueur de l'engagement, ainsi que la rectitude morale et politique de ses encadreurs, qui sont précisément au fondement de la confiance. Chaque fois que celle-ci est au rendez-vous, comme en 1954, elle s'est traduite par une mutualisation des efforts, une mise en mouvement de l'intelligence collective et un regain d'énergie morale et intellectuelle. «Résultat d'une alchimie délicate et instable, la confiance est la base de la performance durable. Qu'elle soit individuelle ou collective, elle ne se décrète pas: elle se construit chaque jour», (L.Combalbert et M. Mery, 2016), à la faveur d'une besogne incessante, qui renvoie finalement à la motivation et à la mobilisation. Or, celles-ci ont un lien direct avec la notion de changement.
Cette notion est sur toutes les lèvres depuis 1988. Dans son principe, elle fait assurément l'unanimité. Mais dès qu'il s'agit de passer des propos aux actes, les points de friction apparaissent. Les uns conçoivent le changement comme une rupture pure et simple, c'est-à-dire un bouleversement radical qui affecte les éléments essentiels du système, sa logique de pilotage, les rapports de force internes, ainsi que les interactions de toutes ses composantes. Les autres en revanche, plus pragmatiques, prônent une démarche évolutive articulée sur l'utilité.
Les premiers ont l'obsession du pouvoir en ce qu'ils font fi des autres éléments sous-jacents du cadre systémique: économique, sociologique, culturel, humain...Quant aux seconds, ils prennent comme base de départ la réalité dont ils envisagent l'amélioration par touches successives et selon un ordre de priorités. Chacune de ces approches s'adosse à des arguments que l'analyse doit apprécier aussi objectivement que possible à la lumière de la conjoncture sociale et pas de l'effervescence des passions et des émotions ambiantes, aussi compréhensibles soient-elles.
Que constate-t-on à ce propos? On constate que le caractère le plus patent de cette conjoncture est la condensation des récriminations dans un nombre restreint de formules aiguillées souvent sur l'idée de tout renverser. Ces formules sont apparues chez nous à la fin des années 1980 et ont pris un volume considérable en février-mars 2019. Elles n'ont pas vieilli en ce début de la décennie 2020, continuant d'être agitées ici ou là comme une amulette aux vertus magiques. Pourtant, une révolution n'est pas chose aisée. Et, avec un peu de mémoire historique, le monde entier sait aujourd'hui que le succès d'une telle approche ne coule pas de source.

Elle exige au préalable une maturation et un recul suffisants, une classe politique qualifiée, un discours moins romantique, un vrai consensus et une conscience aigüe des réalités et des enjeux de la part de tous.
L'Algérie ressent mieux que tout autre pays ces exigences pour avoir vécu dans la chaire de ses enfants des turbulences tragiques qui ont provoqué les écroulements que l'ont sait dans un passé pas très lointain. Ces turbulences tenaient pour une large part à un manque de discernement des nécessités complexes d'un pays nouvellement indépendant, affreusement raviné par une longue occupation coloniale et par le sous-développement. Elles découlaient aussi d'une démarche confinée par les idéologies agissantes dans un slogan aussi simple que «déconstruire pour reconstruire», même au prix d'un tsunami de larmes et de sang. Si le calme est revenu à la faveur de la loi du 16 septembre 1999 sur la «concorde civile» et du référendum du 29 septembre 2005 sur la «réconciliation nationale», ce slogan ne s'est pas fané puisqu'il continue d'être brandi par certains courants d'opinion comme une recette fascinante. Il est vrai que les générations postcoloniales, plus impatientes que celles qui les ont précédées, ont proclamé haut et fort à maintes reprises, et dans leurs moments de détresse, la nécessité de faire table rase pour repartir à zéro. Il est vrai également qu'à bien des égards, l'efficacité des modes opératoires dans notre jeune État laissent beaucoup à désirer et que des réformes structurelles sont indispensables pour remédier aux anomalies et pour avancer sans perdre pied dans le monde incertain d'aujourd'hui. Mais on peut concevoir aussi que renouveler n'est pas dévaster et que le mieux est de procéder pas à pas à partir de l'existant sans dédaigner l'expérience accumulée au prix fort. Pourquoi? parce qu'aucun progrès ne s'est accompli dans l'histoire des nations à partir du néant. Il est toujours intervenu avec l'expérience et les vertus des hommes, et aussi leurs erreurs, c'est-à-dire à partir de la vie réelle. Celle-ci est perfectible, mais sans doute pas par l'autodestruction.
Dans les circonstances géopolitiques troublantes que nous traversons, cette façon de voir les choses peut surprendre à juste titre les puristes et les idéalistes. Mais elle sonne comme une exhortation à s'éveiller à ce qui se trame autour de l'Algérie, et peut être aussi contre elle. Autant dire, en un mot, qu'il s'agit presque d'une question de «pédagogie» pour éveiller les Algériens à l'exigence de faire davantage collectif afin de fortifier leur pays et de le mettre à la hauteur des menaces et des enjeux actuels. Car, faute de résilience collective à tous les paliers de l'édifice social, face à un monde mouvant d'où proviennent aussi bien les périls et les embarras que les opportunités, l'action de la puissance publique à elle seule resterait de peu d'effet. Elle a besoin du concours des individus et des groupes, et donc de susciter leur estime, leur confiance et leur engagement, pour mettre en échec les routines, ainsi que les attitudes et les propos obsolètes qui portent à démobiliser, à gaspiller du temps, des ressources et de l'énergie. Il s'agit en somme pour tous les acteurs de laisser le passé aux historiens et de mettre le cap sur l'avenir en cogitant sans plus tarder sur la culture de base du citoyen du XXIe siècle. Et ce sans oublier ce qui fait lien dans une société: lien social reposant sur des normes et des valeurs; lien économique reposant sur les règles de l'économie marchande; lien politique fondé sur les vrais mécanismes du vivre et du devenir ensemble. C'est à cette condition que l'Algérie pourra reprendre son ascension dans la cohésion et se protéger contre les nuisances dues aux aléas de la géopolitique.

 *Membre du Conseil de la Nation

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