L'Expression

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69E FESTIVAL D'AVIGNON

Shakespeare... malgré les soupirs

«Reste toujours l'odeur de sang: tous les parfums de l'Arabie n'adouciraient pas cette petite main.» (William Shakespeare)

Le Festival de théâtre d'Avignon bat son plein (4 au 25 juillet). Pas moins de 47 spectacles pour cette deuxième édition sous la direction de Olivier Py qui a bâti son programme sur le thème «Je suis l'Autre». «Cela m'est apparu comme une évidence, dans une société qui semble ne plus avoir l'énergie de penser l'Autre comme un salut», a-t-il déclaré, à ce propos.
Comme de coutume, dans la cité des Papes, Shakespeare occupe, pour cette 69e édition, une place de choix: trois mises en scène dans le In sans compter les 21 spectacles (qui en compte quelque 1700) dans le Off. Des pièces sanglantes qui analysent les désordres et l'injustice nés des ambitions personnelles de ses personnages, avides de pouvoir, qui trouvent aujourd'hui encore des échos dans le monde contemporain...
C'est Olivier Py qui a donné les trois coups dans la Cour d'honneur du Palais des papes avec un roi Lear très moderne. Situant le propos, au crépuscule du règne, du Roi Lear, qui veut, avant de leur léguer le pouvoir et partager son royaume connaître le degré et l'affection que lui portent ses filles. Et si les deux premières, ambitieuses et sournoises, rivalisent en louanges trompeuses, sa préférée, Cordelia, (devenue par la grâce de Py, une diaphane ballerine) reste muette.
«Ton silence est une machine de guerre» lui dit son père, phrase, érigée en leitmotiv, qui est inscrite, sur le haut mur du fond, avec des néons blafards. S'ensuivent alors et inévitablement, tragiques aveuglements, trahisons, luttes de pouvoir, querelles sanglantes. Le parallèle avec l'actualité française est plus que tentant et l'on songe alors aux multiples secousses qui traversent la famille Le Pen (sa fille et sa petite-fille notamment), se disputant les oripeaux du parti d'extrême-droite, le Front national, fondé par l'ancien para de la bataille d'Alger, Jean-Marie Le Pen...
Sur la grande scène de la Cour d'honneur, la famille Lear (pour en revenir à elle), tout comme le royaume, en sortiront irrémédiablement anéantis. Olivier Py articule son spectacle autour d'une question centrale: «Quelles sont les limites du langage?». Py a assuré lui-même une nouvelle traduction du texte, adaptant le vocabulaire élisabéthain (début XVIIe siècle) à notre époque («Je vais te péter la gueule, minable, footballeur!»).
Sur le plateau, les 13 comédiens, fidèles du metteur en scène, n'ont pas démérité, (notamment ces deux immenses acteurs que sont Philippe Girard, en Lear, et Jean-Damien en Barbin le Fou). Mais un changement constant de décor (panneaux qui pivotent, plancher qui s'ouvre pour laisser place à une agora creusée dans la terre meuble) trahirait, peut-être, un manque d'inspiration dans la mise en scène. Ce qui a valu un accueil, un tant soit peu, mitigé du public. Ce qui ne sera pas du tout le cas de l'Autrichien Thomas Ostermeier secondé par la troupe de la Schaubühne de Berlin, qui a présenté un exceptionnel Richard III!
«Moi qui suis rudement taillé et qui n'ai pas la majesté de l'amour - pour me pavaner devant une nymphe aux coquettes allures, - moi en qui est tronquée toute noble proportion, - moi que la nature décevante a frustré de ses attraits, - moi qu'elle a envoyé avant le temps - dans le monde des vivants, difforme, inachevé, - tout au plus à moitié fini, - tellement estropié et contrefait - que les chiens aboient quand je m'arrête près d'eux!», ainsi se présentera Richard III, sur la scène épurée du théâtre, peu gâté par la nature mais sacrément déterminé à aller au bout de ses ambitions (du pouvoir) inextinguibles, quel qu'en soit le prix à payer: «J'ai bien l'intention de prouver que je suis un méchant - Et que je hais les plaisirs frivoles des jours actuels.»
Ce fils mal aimé, pervers et manipulateur, va mettre le royaume à feu et à sang pour monter sur un trône qui ne lui était pas destiné, éliminant, tour à tour, ses frères, ses belles soeurs, ses neveux et même ses amis dans des bains de sang.
Dans le magnifique théâtre-opéra d'Avignon (qui rappelle à bien des égards, le théâtre de Constantine) la grande scène couverte de sable tient lieu d'arène où ont lieu tous les affrontements.
De superbes trouvailles soulignent la mise en scène très maîtrisée: une liane suspendue aux cintres avec laquelle Richard se balance au-dessus du public avec à son extrémité un micro-projecteur qui lui sert à se filmer, à distiller des confidences, cette pluie de confettis dorés, en ouverture du spectacle pour fêter l'accession au trône de son frère aîné ou les enfants-princes héritiers, symbolisées par des marionnettes, délicatement manipulées par des comédiens.
Tout est savamment orchestré jusqu'à la mort finale de Richard III qui se bat à l'épée contre ses fantômes. En sus, l'introduction, comme en contrepoint, d'un batteur, Thomas Witte, qui joue, en live, du rock metal.
Dans l'ultime tableau, Richard III, tente d'hurler, en une supplique, à bout de souffle, «My kingdom for a horse!». Mais aucun cheval ne s'avancera, pour le sortir de l'enfer dans lequel il s'est lui-même plongé. Telle une bête mise à mort justement, il finira misérablement suspendu par un pied à cette liane, comme Mussolini un croc de boucher. En dictateur abandonné.
Extraordinaire performance du comédien Lars Eidinger, casqué et corseté, claudiquant sur ses jambes torses, qui, pendant deux heures trente, nous aura faits vivre la destinée de cet épouvantable tyran. Une très longue ovation a salué ce spectacle magnifique.
Pour fermer le ban, Tiago Rodrigues(qui est aussi acteur, dramaturge et producteur) a présenté une version resserrée et intime d'Antoine et Cléopâtre, portée par la beauté de la langue portugaise. A travers les relations tumultueuses d'Antoine et Cléopâtre, le metteur en scène, nouveau directeur artistique du Théâtre national Dona Maria II à Lisbonne, ausculte la grande histoire par le prisme du couple.
A Avignon, William Shakespeare est bien le roi du festival, avant les célébrations en 2016, du 400e anniversaire de sa disparition.

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