L'Expression

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69E FESTIVAL DE CANNES

"Loving" de Jeff Nichols, jusqu'à l'épuisement...

«Je t'aime, jusqu'à l'épuisement», des mots de Mahmoud Darwish, chantés par Marcel Khalifa et en murmures, tel un ressac, de cette Méditerranée qui borde, apaisée, la Croisette, dans les profondeurs de la nuit...

Émotion diffuse, réceptacle de sensations fortes, au sortir de «Loving» de Jeff Nichols, 37 ans à peine au compteur... Avant de se laisser envahir (de plein gré) par la rime du poète palestinien, c'est «Mourir d'aimer» fredonné par Aznavour, l'image de Ali Mac Graw et de Ryan O' Neal, qui a fait rougir les yeux des jeunes (et des moins jeunes) qui s'étaient précipités pour voir «Love Story, à l'Algeria sur la rue Didouche...
Des décennies plus tard, à Cannes, en Compétition, ce sont Joel Edgerton et Ruth Negga, qui s'y collent, pour dire que la bataille vers laquelle ont, et de tout temps, convergé les esprits chagrins, les forces despotiques, c'est celle qui consiste à combattre l'amour... Un point sur lequel les intégristes de tout poil (et de toute confession donc) se rejoignent, également. Pour cela ils s'aident de sous-traitants, ces soutiers qui font le travail de pollution du terrain, tentant de maintenir la société, dans un conservatisme (frisant le rance). En Algérie, venant se greffer, comme une verrue, sur un corps sain et exemplaire (le FLN historique, celui de Hassiba Ben Bouali et Larbi Ben M'hidi), les «barbefelene» ont sévi avec le résultat tragique que l'on sait, la décennie noire... La pollution des esprits est une étape nécessaire à la robotisation des êtres, au point de les délester de tout esprit critique, de toute sensibilité d'amour et de tolérance.
Dans l'Amérique de «Loving», c'est cet esprit raciste entretenu, depuis leur défaite, par les Sudistes du général Lee (qui n'est pas qu'une définition pour cruciverbiste), durant la fameuse guerre de Sécession (...) qui a engendré cette véritable secte, portant kamis immaculé, (mais avec cagoule...) du Klu Klux Klan qui a surfé sur les différences pour en faire un critère de sélection parmi les humains. C'est le cadre choisi par le réalisateur de «Mud», pour revenir sur l'histoire de Richard Loving (Blanc, Wasp) et Mildred Jeter (métisse africano-cherokee) qui ont décidé de se marier, dans un petit village de la Virginie profonde... Sauf que nous sommes en 1958 et que le Racial Integrity Act, existe pour (aussi) proscrire toute union mixte... Alors condamnés à un an de prison, ils choisissent l'exil (à Washington) pour ne pas écoper leur peine...
Sauf que pour ce couple, s'éloigner, ce n'est pas abdiquer. Loin de là!
En 1963, le maçon-charpentier, Richard Loving, décide d'écrire à Robert Kennedy, ministre de la Justice de John, le président des USA. Bob était au début d'un chantier, pour la défense des droits civiques pour tous, initié par un jeune pasteur, Martin Luther King... Le département de la Justice le met en contact avec une organisation militante l'Union américaine pour les libertés civiles. Un jeune avocat va se saisir de l'affaire qu'il va rondement ficeler avant de la porter à la Cour suprême. Un procès d'anthologie, dont dépendra le sort des Etats-Unis d'Amérique... Le défi est relevé donc, il s'agit de faire plier l'idéologie (d'exclusion de l'Autre) afin de faire triompher- ce que Michel Foucault, appellera plus tard -, l'idéologie des sentiments...
Le scénario de Nichols, sort de l'ordinaire, donc des sentiers battus, de par sa façon de traiter au cinéma, le combat pour l'intégrité des sentiments donc, de la dignité en somme. En effet, le couple s'estimant être dans son droit le plus élémentaire de s'aimer, refuse de s'inscrire dans le symbole, ils iront jusqu'à sécher les sessions du tribunal de la Cour suprême...
C'est l'attitude de Richard Loving, qui se chargera de confectionner la thématique du film: «quel est le prix à payer pour vivre sa passion, alors que la règle en dénie le droit?» C'est d'ailleurs son point de vue qui est l'axe nodal du film; qui, d'emblée, choisit de ne pas trop s'attarder sur le contexte, donc sur la grande Histoire... Très habile de la part du cinéaste-scénariste qui ne fait de ce combat, une entreprise gigantesque, mais une démarche d'échelle humaine, à la portée de l'individu. Libre à la société de s'en emparer pour en faire un combat exemplaire. C'est d'ailleurs ce que font les neuf juges qui, à l'unanimité, invalideront toute loi qui restreindrait «le droit au mariage, en se fondant sur l'appartenance ethnique des deux époux».
Partant d'une histoire vraie, le film échappe pourtant au film à thèses, avec sa foultitude de pièces d'archives et autres discours lénifiants... La délicatesse tresse le fil narratif, qui a la douceur de la soie et la patience de la chrysalide.
«Il fallait arriver au coeur du problème, et la façon la plus simple, c'était de montrer les deux personnages. Il m'a paru évident qu'il fallait juste s'attacher aux gens» même si «l'histoire judiciaire en elle-même est fascinante», résume Jeff Nichols. Répertorié sous l'intitulé «l'Affaire Loving contre l'État de Virginie», l'histoire de ce bien nommé couple, Loving, reste toujours d'actualité, et universel, car elle se présenterait aussi sous des aspects différents...
En somme c'est ce droit de disposer de soi qui pose problème, de son corps et de sa conscience, car cela signifierait sortir hors du champ du radar de contrôle des êtres. C'est de citoyenneté dont il s'agit. De sa liberté et du respect de son intégrité.
On y repensera, un peu plus tard en visionnant, à la Quinzaine des réalisateurs le touchant documentaire de Sébastien Lifshitz «Les vies de Thérèse», cette grande dame, féministe historique, qui est partie en février dernier à 88 ans. Thérèse Clerc disait «la sexualité est politique». Un propos qui prend tout son sens, quand on sait la volonté obsessionnelle des idéologies totalitaristes de contrôler les idées et les sentiments qui vont avec...
«Mon aimé et moi sommes deux voix en une seule lèvre» souffle alors Darwish, comme pour saluer le combat pour la vie de ce couple des Loving qui ont choisi la vie à la résignation. Comme pour respirer d'un seul souffle, d'une seule lèvre.
La salle l'a respiré cet air et l'a ovationné debout, à la fin de la projection de «Loving» de Jeff Nichols.

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