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Retour sur l’été infernal de Kabylie

Le feu de la terreur

Il y a près de 170 ans, exactement en 1851, un homme était venu de l’Ouest, peut-être de Miliana ou de Saida, pour combattre à côté de ses frères kabyles. Il s’agit de Mohamed Lamjed Ben Abdelmalek dit Chérif Boubeghla, un résistant, connu pour avoir été l’initiateur de la révolte populaire contre la colonisation. Il avait dirigé cette insurrection jusqu’à sa mort le 24 décembre 1854. En peu de temps, il avait réussi à allumer le feu de la résistance, à se joindre aux forces de Lalla Fatma N’soumer, et à renforcer la cohésion populaire.

Les derniers incendies, en Kabylie, avaient provoqué un élan de solidarité nationale prévisible. Le gisement de générosité du peuple dans sa diversité, qu'on redécouvre de nouveau, à la suite de la tragédie qui venait de frapper l'Algérie, à travers ces feux invraisemblables, est greffé, malheureusement de la mort cruelle et immonde de Djamel Bensmaïl, qui se trouvait à Larbaâ Nath Irathen, précisément pour aider à les éteindre.
Pourtant, la région est connue pour sa remarquable propension à protéger les étrangers de passage, et bien plus ses hôtes, qui, de surcroît, se trouveraient là, pour l'aider.
Il y a près de 170 ans, exactement en 1851, un homme était venu de l'Ouest, peut-être de Miliana ou de Saida, pour combattre à côté de ses frères kabyles.
Il s'agit de Mohamed Lamjed Ben Abdelmalek dit Chérif Boubeghla, un résistant, connu pour avoir été l'initiateur de la révolte populaire contre la colonisation. Il avait dirigé cette insurrection jusqu'à sa mort le 24 décembre 1854. En peu de temps, il avait réussi à allumer le feu de la résistance, à se joindre aux forces de Lalla Fatma N'soumer, et à renforcer la cohésion populaire.
Et c'était tout naturellement qu'il avait été adopté par la Kabylie comme son propre fils, et dont le nom est porté par une multitude de lieux et de places, afin d'honorer, à jamais, sa mémoire.
Le capital de sympathie que la région lui voue, est si important, que beaucoup le prennent pour un Kabyle.
Ce caractère de protection de l'étranger placé sous la3naya d'un notable kabyle est souligné avec force par Louis Rinn, dans un ouvrage paru en 1891 : Historie de l'insurrection de 1871 en Algérie.
A ce propos, il évoque le respect par les Kabyles d'un principe qu'ils n'avaient jamais transgressé, au point que les colons «civilisés», fussent frappés par la loyauté de ces «sauvages indigènes».
Il cite le cas des 39 habitants, à Bordj Ménaïel, auxquels le marabout Si Moussa ben Ahmed avait proposé sa «la3naya», du maire de la ville qui s'était mis sous la protection du douar Rouaffa, et enfin des 30 voyageurs de la diligence de Dellys qui s'étaient réfugiés sous la protection d'Azib Zamoun.
Ces adversaires avaient continué à vivre, en pleine sécurité durant toute l'insurrection.
En outre, l'auteur souligne avec insistance le respect par les Kabyles, du code d'honneur qui régit toute confrontation, à tel point qu'ils n'attaquaient jamais les colons avant de les avoir prévenus.
Parfois, «de simples feux, allumés sur des sommets connus des montagnes (...) annonçaient que la guerre sainte était ouverte».
Alors que s'est-il passé, ce jour du 11 août 2021 pour qu'un homme qui vient de l'Ouest, pour éteindre le feu soit tué, brûlé, décapité et scalpé, devant une étrange foule, en délire?
À ce propos, la voix caverneuse de ce sinistre individu, qui annonçait, dans un «live», juste avant la tragédie, que la police détenait des pyromanes qu'elle s'apprêtait à faire fuir, augurait de la suite que les criminels avaient déjà réservé à ce hôte de Larbaâ Nath Irathen.
«Venez, venez tous. Nous allons les en empêcher.»
«Ad yemeth. Ad yehraq», répétait-il. (Il doit être tué, et brûlé).
Son accent s'apparentait à celui que Muhend U Yahia s'amusait à gausser dans ses textes: «Ah ya les bros bros, ah!»
Muhend U Yahia est originaire d'Iboudraren, une commune qui a brûlé aussi. Sur la stèle érigée pour lui, il interpelle les esprits naïfs qu'il appelle affectueusement: «ay arrac ney».
?u?wat wi berrun i þþbel deg waman ?urwat wi teþþun, iþþbeddil zzman Ce jour, à 11 heures environ, à l'entrée de la ville dans le sens Oued Aïssi - Larbaâ, une chaine humaine s'était formée pour tenter d'éteindre le feu qui s'approchait des maisons. Un jeune, le visage noirci par la fumée, remontait, en courant le versant de la montagne, afin de fuir le feu, lancé à ses trousses.
Après beaucoup de temps, et d'effort, en usant de simples sceaux d'eaux, ces jeunes, épuisés, les yeux rougis par la fumée, et les nuits d'insomnie, avaient réussi à freiner l'assaut des flammes.
Un moment de soulagement dérisoire. Car, avant qu'ils n'eurent le temps de savourer cette victoire factice, qu'un peu plus haut sur la route menant vers Aïn El Hammam, un feu gigantesque se déclara et mit en péril la volonté de cette jeunesse qui s'en prenait aux flammes, presque à mains nues.
Mauvais signe du temps, le vent s'était mis à souffler. En un laps de temps très court, les flammes, comme prises de
panique, allaient dans tous les sens, et ne laissaient aux villageois qui s'escrimaient à les combattre que le choix de fuir, pour sauver leur peau. Elles lapaient avec avidité l'histoire d'une population solitaire au sommet des montagnes solitaires.
C'est l'histoire d'une relation sacrée, d'amour et de confiance entre l'homme et l'arbre qui se rompait, et qui se désagrégeait. Mais, si par le passé, on arrivait à éteindre le feu sans trop de drames pour que la saison d'après les hommes, les animaux et les arbres se régénérassent dans une symbiose parfaite; ce n'est plus le cas cette fois que les temps sont plus durs, les feux plus âpres et les conditions plus difficiles.
Les particules de cendre noire qui volaient dans le ciel tombaient en une pluie de feu sur ceux qui s'attelaient à venir à bout de ces flammes en folie. Les agents de la Protection civile, avec leurs véhicules stationnés en bord de route, étaient en alerte, au milieu des citoyens qui observaient le feu ravageur dans l'impuissance.
Aucune piste carrossable pour aller à l'assaut de ces flammes opportunistes qui bouffaient tout sur leur passage. En quelques minutes seulement, en un clin d'oeil, elles étaient aux pieds de ces soldats du feu, improvisés.
Alors, à titre de précaution, pour des raisons de sécurité, les citoyens avaient décidé d'interrompre le trafic.
Pendant ce temps, qui ressemblait à une mi-temps mal engagée, on discutait du nombre de morts et de disparus. On citait quelques noms, ceux des familles entières qui avaient été décimés.
Le coronavirus qui faisait aussi des victimes, pour manque d'oxygène, passait au second plan. On ne les comptait plus. Les parents les enterraient dans une douloureuse solitude que cet enfer avait privée de deuil.
Les villages Agoulmime et Ikhelidjen étaient les plus touchés. Un couple et leur bébé avaient été rattrapés par le feu, alors qu'ils tentaient de faire fuir leurs enfants.
On évoquait des feux à Ait Douala, Ait Yenni et Ain El Hammam, puis les deux jeunes fillettes mortes en enlaçant leur maman, et le cri du jeune militaire, sauvé in extremis, et qui avait fait le buzz sur les réseaux sociaux.
Un gosse, qui avait échappé aux flammes après avoir perdu ses camarades. Il revenait du front du feu avec des cris et des sanglots qui résonneront encore longtemps dans les montagnes de Larbaâ Nath Irathen.
Son cri exprimait l'engagement d'une région dans un combat inégal qui dépassait ses forces. Ce n'était pas des feux qu'on pouvait éteindre. Qu'on pouvait combattre. Non, c'était des feux qui se nourrissaient, qui s'entretenaient par des feux, par des mots, et par des discours.
La population qui livrait un combat de survie, assistait, médusée, à une troisième mi-temps qui se jouait en dehors d'elle, en recevant le ressac des appels aux meurtres contre elle dans une impunité énigmatique.
Mais, c'était sans compter sur une population aguerrie qui avait su former, à travers l'histoire, une couche de dignité ininflammable.
C'était sans compter sur les millions d'Algériens qui avaient accouru de partout pour sauver une région à qui on reconnaît toujours les énormes sacrifices consentis, sans aucun ménagement, pour défendre le pays centimètre carré par centimètre carré.
C'était sans compter sur le fil de la résistance qui cousait entre elles les villes, et les campagnes dans une Algérie historique qui dépasse l'Algérie cartographique.
Quelqu'un annonçait en ce moment le chiffre de 40 morts ou un peu plus, parmi lesquelles des militaires au nombre de 25. Un chiffre qui donnait le tournis comme à la lecture d'un BRQ en temps de guerre, au lieu du bref OK qu'on attendait (zéro killed).
La nervosité était perceptible. Elle était dans l'air. Un automobiliste avait failli être lynché en voulant forcer le passage, alors que la circulation était bloquée. Il eut suffi d'un mot de plus, pour déclencher une bagarre.
Une atmosphère tendue. Explosive. Electrique.
Des bouches brûlées par la chaleur, sortait des étincelles. Chaque mot était de trop.
Il eut suffi d'un rien pour déclencher une émeute.
Alors la voix caverneuse de ce «pyromane» de réserve, qui avait fait son «live», sur l'existence d'individus arrêtés, que la police faisait fuir, tournait en boucle dans ma tête. Mais, Pourquoi, annoncer un mensonge pareil dans un moment pareil?
Sur l'autre montagne, je suppose celle d'Ait Douala, une autre colonne de fumée montait dans le ciel.
Décidément, La Kabylie était plongée dans l'enfer.
Le feu dévorait les arbres par les racines. Il s'était déclenché en plusieurs endroits en même temps, et les colonnes de fumée qui montaient dans le ciel, faisaient sourdre un crépitement lugubre continu.
Des volutes épaisses de fumées qui tourbillonnaient, surgissaient parfois d'énormes langues de feu qui léchaient les arbres, branche par branche, et rameau par rameau, pour ne laisser derrière, que des fantômes effroyables figés dans leur dernière posture «de mains en l'air», de victimes désarmées.
Les habitants qui se trouvaient sur leur balcon ne se rendaient compte de l'imminence du danger qu'une fois trop tard, au moment où le feu flamboyait dans leurs jardins.
Et oui, les temps changent. Il ne faut jamais l'oublier:?urwat wi teþþun, iþþbeddil zzman, nous alertait le défunt Muhend U Yah.

 

Yahia Boubekeur

De Quoi j'me Mêle

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