Virée à la Cnac de Bouira
Un monde silencieux, mais …
À la Caisse nationale d'assurance-chômage, ce qui frappe en franchissant la porte d'entrée, c'est le silence. Silence dans la salle d'attente, silence devant les guichets, silence dans les couloirs! Que s'est-il donc passé pour qu'un tel silence règne partout? Intrigué par cet état de choses nous demandons à voir le responsable. Le jeune qui semble faire office d'agent de sécurité montre le bureau du boss au dernier étage. Une concierge nettoie au second. Comme nous nous arrêtons, croyant être parvenu au terme de notre voyage, cette dernière, sans se détourner de sa tâche, montre les escaliers sur la gauche, que nous avons cru s'arrêter là. Accompagnés du même silence, nous poursuivons notre ascension. Notre périple débouche sur une terrasse ensoleillée. Des grosses légumes qu'on prendrait pour des acteurs en plein tournage. Et notre question est: vont-ils s'échapper par le toit? Un coup d'oeil en bas, sur la rue grouillante de monde, se veut rassurant. Il faut être fou pour prendre un tel risque. Nous laissons nos quatre hommes sur la terrasse baignée de rayons de soleil et nous continuons notre chemin qui, en quelques pas, nous conduit vers le bureau du secrétariat.
La secrétaire parle au téléphone. L'attente se prolonge. Nous frappons pour la deuxième fois et entrons. La conversation s'interrompt. Nous demandons à voir le directeur et notre interlocutrice nous apprend qu'il est en pleine séance de travail avec une commission envoyée par la direction. Sur la terrasse? Ce doit être pour un agrandissement du bloc. Cependant, elle a bien daigné nous annoncer. Le directeur consent à nous recevoir dans son bureau.
Le bureau est grand, chargé de paperasse. Dehors, trois rues la bordent. Celle de derrière la sépare de la DJS. L'entrée donne sur le Djurdjura. Aucun bruit ne trouble la quiétude du bureau. Si le son ne voyage pas plus vite que la lumière, il doit aller moins bien vite à la verticale. Il serait curieux à cet égard de savoir combien d'années lumière vont s'écouler encore avant que l'explosion originelle du bing bang parvienne jusqu'à nous. Lorsque ce bruit arriverait sur nous, ce serait une telle catastrophe qu'il provoquerait sans doute la fin de tout.
L'explication
du silence
En attendant qu'un tel cataclysme, qu'un déluge de décibels fonde sur nous, le calme est impressionnant. Nul bruit de voitures, de voix ou de pas qui parvienne jusqu'à ce nid d'aigle. Juste de la lumière par la fenêtre, derrière le bureau directorial.
A notre question de savoir le nombre des adhérents à la CNAC, le silence retombe, plus épais que jamais, du fait qu'il a été troublé une fois. Le responsable semble un peu ennuyé. Quand il reprend la parole, on comprend pourquoi. Ce dispositif n'existe plus au niveau de la Cnac.
C'est désormais l'Anade, l'Agence nationale d'appui et de développement de l'entrepreneuriat qui s'en occupe. Autrement dit l'Ansej, l'Ansej, qui retrouve un peu de son énergie et son rôle social d'antan: aider les jeunes à monter leurs entreprises. Nous commençons à comprendre, pensons-nous. En termes plus vulgaires, c'est déshabiller Pierre pour habiller Paul. L'Ansej, ou, pour employer le nouveau nom qu'on lui donne, L'Anade, avait complètement disparu de la scène sociale. C'est ce que nous affirmait une représentante de l'Angem à cette exposition qui s'est tenue dernièrement sur la place El Wiam et qui a rassemblé un grand nombre d'entreprises publiques et privées et d'artisans. Il est vrai qu'on n'en parlait plus depuis longtemps. Jusque tout récemment où elle est comme ressuscitée.
Le responsable cite le décret à l'origine de ce transfert. Celui de novembre 2021, le 22/45/19 qui fixe les modalités de transfert de ce dispositif social qui s'adresse, rappelons-le, aux jeunes comme aux moins jeunes dont l'âge varie entre 30 à 55 ans. L'effet de ce décret n'entre cependant en vigueur qu'en janvier 2022.
Et monsieur Adenour Gheham, le patron de l'agence, nous ramène en ces temps difficiles où les entreprises faisaient face à une conjoncture économique et financière marquée par la compression des effectifs et des dissolutions. Nous sommes avec lui en 1994. Il fallait trouver le moyen de récupérer tous ces employés menacés par le chômage. Un dispositif d'aide est mis en place et devenait effectif en juillet 94, et c'était la Cnac qui était chargée de le mettre en oeuvre.
Ainsi s'explique le silence qui enveloppe comme d'une gangue de plomb cette agence qu'on vient d'amputer d'une de ses prérogatives, sans doute la plus importante de toutes. Il est le corollaire d'une décision qui a dirigé les personnes éligibles à ce dispositif social vers d'autres guichets-ceux, en l'occurrence de l'Anade. Certes, les choses ne sont plus comme avant et le bref entretien que nous avons avec le directeur alors qu'une réunion avec la commission envoyée par la direction générale l'attend, le rappelle assez. La preuve: tous ces guichets, naguère bourdonnant d'activité comme des ruches au printemps, où de longues files se formaient, et qui s'ouvrent ce matin sur le vide... Ce spectacle n'est réjouissant pour personne et, à plus forte raison pour le directeur de l'agence. Mais que diable, ce n'est pas la fin de tout! Il reste encore des choses à faire dans ces bureaux disséminés à travers tous ces étages. Or, si l'on en croit notre interlocuteur, il y a plus de travail à faire qu'on ne pense. D'abord, deux activités demeurent et qui sollicitent tous les soins du personnel. Ce sont le volet assurance-chômage et le suivi des promoteurs financés par la Cnac qui n'ont pu rembourser leurs prêts. Ces promoteurs, dont le nombre est estimé à plus de 2 000 personnes, ne sont, selon le responsable de la Cnac ni dans l'incapacité ni dans le refus de rembourser leurs créances. Ils payent, mais selon leurs moyens. D'où le suivi dont ils font l'objet de la part de la Cnac, processus qui peut être long. Et puis, il y a les travailleurs des entreprises confisquées. Prié de nous en citer quelques- unes ainsi que les raisons qui ont conduit à une telle décision, le directeur, prudent, n'a pu, comme pour les chiffres concernant les promoteurs qui ont bénéficié de prêts, prononcer le nom d'aucune d'entre elles. La décision confiscatoire est prise par la justice et le responsable de l'agence se croit tenu par le droit de réserve. Tout de même nous pensons à Iveco à l'arrêt depuis fin 2018 et son replacement par l'entreprise algérienne Ferrovial.
Le directeur s'attend à une affluence de la part de tous les employés de ces entreprises confisquées qui vont venir demander la complémentarité des années qui les séparent de la retraite et alors les guichets retrouveront tout leur entrain. Cependant, il y a un fait nouveau, et la Cnac qui est concernée, y va à fond: la formation. Elles concernent tous les jeunes désireux de travailler à leurs comptes. Ce sont les stat-up. On remarquera qu'on ne parle plus des microentreprises. Le mot a fait son temps. Aujourd'hui, les jeunes, notamment les étudiants qui sont courtisés, ne jurent que par ces entreprises, dont la durée de vie pourrait être comprise dans une fourchette qui va de 5 à 8ans. À charge pour le promoteur de poursuivre son activité, si elle est florissante et si en bon gérant, il a réussi, en investissant chaque fois, à la transformer en une véritable entreprise. Le stage d'une semaine, organisé dernièrement par l'ANnade pour plus de vingt étudiants et fonctionnaires intéressés par ce dispositif d'aide, a tout explicité sur cette façon de gérer et d'agrandir une start- up. Comment, par exemple, une modeste entreprise, comme une simple boulangerie peut, par le biais de l'investissement et de l'intéressement qui permet d'associer les travailleurs au développement de l'entreprise, devenir une affaire aux dimensions nationales et même au-delà.
À cet égard, l'université devient une pépinière où naissent et se développent ce genre d'idées grâce aux encouragements et aux conseils prodigués sous forme de séminaires organisés conjointement par la Cnac, l'Angem et l'Anade. Cette dernière, qui active, rappelons-le, depuis janvier dernier, en a pu donner déjà deux, d'une semaine, à la Maison de la culture. Le plus long, de deux mois et demi a démarré cette semaine au pôle universitaire. Il sera suivi d'autres, selon la responsable de la communication de l'Anade, rencontrée à ces deux stages de formation.
On y vient quand même
«Nos sommes en relation permanente avec le chargé de l'incubateur, M. SamirAït Akache et nous recueillons et examinons ensemble les projets et idées que nous soumettent les étudiants intéressés par les start-up, et nous apportons notre expertise et notre expérience» déclare le responsable de la Cnac. En sortant du bureau directorial, l'atmosphère qui enveloppe l'édifice naguère si trépidant de vie, d'enthousiasme et d'espoir, car il ouvrait devant une jeunesse guettée par le désoeuvrement et le désespoir, de vastes perspectives où la réussite est à portée de main, en sortant du bureau directorial, disions-nous, cette atmosphère qui imprégnait les lieux à notre arrivée, nous a paru moins froide et moins triste. La Cnac, symbole de soutien et de solidarité avec les jeunes, n'est pas morte.
En revanche, elle a permis, tout en restant aussi dynamique, de faire revivre une autre agence qui a eu, elle aussi, ses jours de gloire. Et ça c'est le miracle de la politique économique du pays.