Devoir de mémoire/Il y a 21 ans est mort Mohamed-Chérif Messaâdia, président du Conseil de la nation
Un Homme exceptionnel
Permets-moi de dire, plutôt de crier haut et fort, ce que tu étais pour cette Algérie qui veut gagner et qui ne veut plier devant les assauts répétés de ses prédateurs et détracteurs de tout acabit...
Nous étions le 1er juin 2002, quand Mohamed-Chérif Messaâdia a tiré sa révérence. Ainsi, aujourd'hui, et cela fait déjà 21 ans depuis que la volonté de Dieu s'est accomplie, nous nous remémorons, avec peine et respect, cet homme pour qui des pages et des pages ne suffiraient pas pour raconter son engagement, sa confiance, son enthousiasme, ses rêves et ses espoirs... pour notre Algérie qu'il aimait bien.
Alor, pour ce devoir de mémoire, et à cette juste occasion commémorative, je me permets de republier, sur les colonnes de L'Expression, ma contribution, sous forme de thrène, que j'ai rédigée à Damas et à la hâte le 2 juin 2002, après le décès de Si Mohamed-Chérif, l'aîné et l'intime, avec lequel j'ai eu des liens de respect, de considération, mais surtout de travail ardu.
«Tu ne liras pas cette lettre»
À mon grand frère Si Mohamed-Chérif
Tu ne liras pas cette lettre parce que ce jour, tu nous as quittés.
Calmement, tu as tiré ta révérence. Calmement, mais surtout heureux car, tard dans la soirée, tu as appris l'éclatante victoire de ton parti, le FLN. Ce FLN que tu as chéri. Ce FLN que tu as défendu avec impétuosité, convaincu qu'il restait le seul moyen pour mener à bien les grandes tâches de l'Algérie indépendante, dans toute leur rudesse et leur immensité.
Oui, tu ne liras pas cette lettre. Mais dans ton profond sommeil, tu sauras que dans le coeur de chacun de nous ton souvenir demeure vivace.
Mon frère Si Mohamed-Chérif, permets-moi de me laisser aller à la brûlante bouffée de souvenirs qui vient de s'éteindre. Permets-moi, en ce jour triste pour l'ensemble de tes disciples, de me remémorer l'ambiance réconfortante de ta compagnie et l'assurance de tes paroles lors de nos débats passionnés, tous les jours, au Secrétariat Permanent du Comité Central ou pendant les chaudes réunions qui nous mobilisaient autour de programmes concrets.
Permets-moi de dire, plutôt de crier haut et fort, ce que tu étais pour cette Algérie qui veut gagner et qui ne veut plier devant les assauts répétés de ses prédateurs et détracteurs de tout acabit...
Les programmes concrets
Permets-moi de dire ce que tu étais... Un homme d'une trempe exceptionnelle, un militant d'une rare fidélité, un combattant au long parcours dont le visage, souvent grave, dissimulait une immense bonté et une grandeur d'âme qui, toujours, nous fouettaient et nous consolaient.
Permets-moi de dire, à ceux qui ne le savent pas ou qui feignent de ne pas le savoir, que tu étais cet homme qui privilégiait le dialogue... ainsi, tu l'as fait dans les moments les plus difficiles... Tu étais cet homme qui connaissait parfaitement les militants à qui il prêchait avec passion les principes de dignité et de liberté.
Mon grand frère Si Mohamed-Chérif, tu ne liras pas cette lettre! Oui, c'est ainsi qu'a voulu le destin..., mais je l'écris quand même, comme j'ai écrit tant d'autres, de ton vivant, pour clamer dans l'atmosphère pernicieuse d'alors, que tu étais l'exemple même de la bonté, de l'altruisme, du courage et du dévouement..., que tu étais l'artisan, à un moment donné de l'Histoire, de la résurgence des bonnes traditions au sein du FLN. Je l'écris quand même pour dire à ceux qui ne te connaissent pas de près, que tu excellais dans la sobriété, que ton expérience et tes qualités d'homme aguerri par le combat de tous les jours, ont fait de toi l'un des rares responsables qui comprenait si bien les problèmes des citoyens et des militants, qui savait leur trouver des solutions et enfin qui connaissait parfaitement le langage des masses.
Je dois leur dire aussi que Messaâdia était tout près de la jeunesse... Il comprenait ses préoccupations... Il l'encourageait et l'accompagnait dans ses initiatives... Il aidait ceux, parmi les jeunes, qui s'engageaient entièrement pour la défense des idéaux de Novembre et l'application des orientations largement définies par les textes de notre pays.
Je dois leur dire aussi que Messaâdia ne se lassait pas d'être auprès de ses frères, les combattants du Tiers-monde, en les aidant et en portant très haut la voix de l'Algérie pour expliquer et soutenir leur combat contre l'injustice et les affres du colonialisme.
Un travail d'orfèvre
La Palestine, le Liban, l'Angola, le Mozambique, la Guinée-Bissau, le Zimbabwe, la Namibie, le Vietnam, le Cambodge, le Nicaragua et autres, le Chili et Cuba, connaissent très bien son travail d'orfèvre en matière de soutien et d'engagement auprès de leur juste cause.
Grand frère Si Mohamed-Chérif...
En ce jour triste pour les militants et les valeureux combattants de la lutte de Libération nationale, tes frères et tes amis, je me remémore... «Je me rappelle quand, très jeune, j'avais tout à apprendre, tu m'avais pris à part et, te départissant de ta réserve et de ta discrétion habituelles, tu m'avais communiqué ta confiance», comme l'a fait avant toi un grand dirigeant du temps de la lutte armée pour mon cousin, Si Lakhdar, lui aussi martyr de notre glorieuse Révolution: «L'idéal, m'avais-tu dit, c'est de se donner à une cause sans savoir quelle récompense sera réservée à nos efforts, ni s'il y aura une récompense...»
J'avais compris sur l'heure que le parcours s'avérait long et dur avec toi..., un parcours tout en labeur, tout en sacrifice, tout en passion et enfin un parcours plein de réalisations, même si de faux dévots en ont douté hélas.
Grand frère Si Mohamed-Chérif...
Pourrais-je restituer à ta grandeur..., toute ta grandeur? Pourrais-je décrire dans les détails ce que tu cachais pour d'autres mais que tu me confiais très souvent, lorsque nous débattions de sujets importants en une confrontation franche, ardente, et qui restait objective?
Pourrais-je dire tout cela, aujourd'hui, dans ce papier qui t'est exclusivement réservé pour saluer une dernière fois ta mémoire et t'exprimer la douleur de notre amour meurtri par ta brutale disparition?
Non..., car des pages et des pages ne suffiraient pas pour raconter ton engagement, ta confiance, ton enthousiasme, tes rêves et tes espoirs... Mais laissons cela pour l'Histoire qui sera écrite par des gens probes, des mains propres et des âmes reconnaissantes.
Grand frère Si Mohamed-Chérif...
À l'heure de l'adieu, je te dis tout simplement, tout calmement, avec la conviction du croyant que je suis, repose en paix, tu as laissé un beau pays qui se construit malgré toutes les contraintes du développement..., tu as laissé des compagnons de lutte qui oeuvrent pour l'avènement d'un État fort..., ceux-là t'expriment leur farouche détermination de suivre ton exemple.
Repose en paix dans le Paradis du Firdaous et reçois aujourd'hui, avant même l'hommage sincère de la Nation, la reconnaissance de celui qui a beaucoup appris avec toi.
* Auteur et ambassadeur d'Algérie en Syrie.