Quand la France tergiverse
Le président Macron et celui qui lui succédera ne pourront pas cacher cette amère réalité.

65 ans après la première explosion nucléaire française dans le désert algérien, force est de constater qu’aucune évolution n’est signalée sur le dossier. Malgré les nombreuses demandes formulées par l’Algérie pour procéder au nettoyage des sites irradiés, la France fait mine de s’intéresser à la question, élabore des lois et finit par mettre la «poussière sous le tapis». Durant les premières années de l’indépendance, l’Algérie était occupée à construire des écoles, des hôpitaux, à lutter contre les maladies transmissibles, l’analphabétisme et les autres fléaux laissés par le colonialisme.
À l’époque, il était objectivement difficile, voire impossible de prendre en charge un dossier aussi lourd, sachant les urgences qu’affrontaient les autorités du pays. Il fallait prioritairement déminer les lignes Charles et Morice, rendre leur dignité aux Algériens, se réapproprier les richesses du pays. Ce fut fait à travers les grandes nationalisations des hydrocarbures, l’édification d’un système de santé, la scolarisation massive des enfants. Les priorités étaient on ne peut plus claires. Pendant ce temps, l’État français misait sur l’oubli ou encore sur l’immensité du territoire algérien. Les Giscard d’Estaing, Miterrand et autre Chirac ont certainement pensé que le drame nucléaire algérien demeurerait caché.
Mais le jour vint où l’État algérien a exigé légitimement le nettoyage des sites contaminés. La demande «est bien évidemment importante et tout à fait légitime», estime Patrice Bouveret, cofondateur directeur de l’Observatoire français des armements, dans un entretien accordé à l’APS.
Les successeurs de Jacques Chirac, jusqu’à Emmanuel Macron, ont visité l’Algérie, parlé des méfaits de la colonisation, mais se sont gardés de faire le moindre pas significatif sur le dossier des essais nucléaires à Reggane. Pourtant, dans cette région du pays, la prévalence exceptionnelle de cas de cancers ne peut trouver qu’une seule explication : aucun scientifique ne pourrait trouver un autre facteur concordant que l’irradiation des sols et du matériel laissé en grande quantité par l’armée coloniale.
Les officiels français font la sourde oreille et sont allés jusqu’à élaborer une loi «bizarre» qui exclut tous les habitants de Reggane. Il étaient pourtant des dizaines de milliers à vivre dans les alentours des sites d’«expérimentation». De textes réglementaires en décrets, les politiques français s’étaient lancé la patate chaude, pensant par ce genre d’actes stupides sauvegarder l’image de l’État qu’ils représentaient.
Le résultat est que l’actuelle génération et celles qui vont venir constatent que l’armée de leur pays a irradié un immense territoire, exposé des populations entières à des risques de contamination mortelle et n’a même pas livré les plans de ces «expériences» aux autorités algériennes.
Le président Macron et celui qui lui succédera ne pourront pas cacher cette amère réalité par le truchement de quelques postures politiciennes et de discours creux.
L’Algérie a clairement exprimé, par la voix de son Président, son exigence légitime à ce que la France nettoie tout le périmètre irradié. «Ne nous donnez pas d’argent, mais venez nettoyer les sites que vous avez contaminés», avait affirmé Abdelmadjid Tebboune. Cet appel date de décembre dernier. C’est-à-dire près de 65 ans après les essais nucléaires. Si la France avait fait son devoir, pendant que l’Algérie s’occupait de ses urgences, le président Tebboune n’aurait pas prononcé cette phrase.
«Le principal blocage est l’absence de volonté politique des autorités françaises d’assumer concrètement les conséquences de leur politique nucléaire», soutient Patrice Bouveret. Il n’y a donc aucune provocation dans les propos du chef de l’État, mais simplement du bon sens. Il reste que l’interpellation d’un président algérien n’est pas un acte anodin. Il met la France devant ses responsabilité face à l’Histoire.