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Dr Robert Mazziotta, pied- noir d’Oran, à l’Expression

«On peut retrouver le lien subtil qui nous unit tous»

Docteur Robert Mazziotta est né à Oran en 1949.Témoin des évènements, il fut rapatrié en France métropolitaine en 1962. Il est l'auteur d'un livre Les mémoires réconciliées et de plusieurs articles publiés dans la presse nationale algérienne. Il est chroniqueur pour l'association Mare Nostrum, une Méditerranée autrement. Partisan d'une réconciliation, il nous livre son témoignage.

L'Expression: Quels étaient selon vous le contexte et l'état d'esprit des Français d'Algérie lors de la préparation des accords d'Évian?
Dr Robert Mazziotta: Pour comprendre comment ont été reçus les accords d'Évian, il faut rappeler le contexte de l'époque. Après s'être servi d'eux pour prendre le pouvoir, le général de Gaulle avait évolué dans un sens qui leur était défavorable. Alors qu'il avait crié «vive l'Algérie française», il avait par la suite évoqué la possibilité pour les Algériens d'une autodétermination. Les Français d'Algérie savaient que des tractations se déroulaient entre les représentants des insurgés et des émissaires du gouvernement français. Ils étaient d'autant plus dans l'incompréhension, qu'ils avaient le sentiment que sur le terrain, la bataille était gagnée et que le FLN était en grande partie démantelé. Ils considéraient qu'ils étaient abandonnés par leur mère patrie. En métropole, les Français voulaient la fin du conflit: trop de jeunes appelés tués ou blessés, trop d'efforts consentis pour ces colons qui faisaient «suer le burnous». Une nouvelle société était en train d'arriver et le pays voulait passer à autre chose. Les pieds- noirs se trouvaient isolés, ils étaient désespérés et ce désespoir a amené certains d'entre eux à s'engager dans une voie sans issue.

Quel souvenir avez-vous du jour du cessez-le-feu?
Le 19 mars 1962, jour de la signature des accords, qui fixaient la date du cessez-le-feu, fut célébré comme un jour de joie par les Algériens et restera comme un jour de deuil pour les Européens d'Algérie. Pour eux, il marquait l'officialisation de l'abandon des trois provinces françaises à l'ennemi. Ils n'avaient aucune confiance dans les garanties que ces accords leur apportaient. Pourtant leur protection était assurée. Le maintien de leur présence était prévu, ils conserveraient leurs droits et leurs biens. Mais les épreuves qu'ils avaient subies les mettaient dans l'impossibilité d'analyser sereinement les dispositions de ces accords et la plupart les refusaient d'emblée et en totalité. Étant donné qu'ils se considéraient dans leur bon droit, ils ne pouvaient accepter un compromis.
Il faut rappeler que l'Algérie était devenue française depuis plus de 130 ans, avant que le comté de Nice ne le fût. Selon les pieds- noirs, les premiers colons sont arrivés sur une terre aride qui n'appartenait à personne, trouvant des marécages, remplis de moustiques pourvoyeurs de maladies. Ils défrichèrent, ils cultivèrent, ils construisirent des villes, des villages, des infrastructures. Tout cela ne se fit pas sans effort, sans travailler durement, parfois en y laissant la vie. Donc selon eux, ce pays leur appartenait. Occultant toute l'histoire des luttes des nationalistes algériens et des répressions sanglantes qui s'ensuivirent, occultant toutes les spoliations, toutes les injustices, toutes les humiliations faites à l'encontre des Algériens, ils considéraient que ceux-ci par les attentats de novembre 1954 s'étaient rendus coupables du déclenchement des hostilités. Leur horreur démontrait la férocité de ce peuple et justifiait toutes les mesures de représailles menées contre lui par la suite. Mais ils avaient accepté de vivre dans un pays à deux vitesses, tant au niveau des droits civiques qu'à celui de la distribution des ressources. Ils avaient accepté le maintien d'un peuple dans un état de sous- prolétariat. Comment ont-ils pu croire que, devant tant d'injustices et tant d'humiliations, une réaction ne manquerait pas de survenir et qu'elle pourrait être violente? Pratiquement toutes les revendications faites d'une façon pacifique n'avaient été suivies d'aucun résultat positif. Les Algériens avaient-ils un autre choix que de passer par la violence?

Comment avez-vous vécu la période qui a suivi la signature des accords d'Évian? Comment expliquez-vous le fait que le cessez-le-feu n'ait pas été respecté par les partisans de l'Algérie française?
Les Français d'Algérie se sentirent abandonnés par l'armée qui, en raison des accords, devait rester dans des limites définies et ne plus participer à des actions contre les membres du FLN. Ils avaient constaté que les métropolitains les avaient lâchés en ratifiant les propositions du général. Ils ne savaient plus sur qui s'appuyer pour contrer cette évolution qu'ils jugeaient néfaste. Ils ne savaient pas s'ils pourraient rester en Algérie, s'ils devaient quitter le pays provisoirement ou définitivement. C'est à partir de là qu'en grand nombre, des Français d'Algérie, mais aussi des militaires de tous rangs qui n'avaient pas accepté ce qu'ils considéraient comme une défaite face à l'ennemi, rejoignirent l'OAS qui était à leurs yeux la seule planche de salut. La plupart étaient des désespérés qui s'accrochaient à une bouée de sauvetage. De plus, il faut se souvenir qu'il s'agissait d'une période transitionnelle, la responsabilité du maintien de l'ordre passant des mains de l'armée française à celles des Algériens. Il y avait un flou inquiétant et les pieds- noirs ont ressenti le besoin de se défendre eux- mêmes, avec tous les excès qui peuvent en découler. À partir du cessez-le-feu, ils se sont engagés dans un double front: le combat contre les musulmans continuait et celui contre les forces de l'ordre françaises, gardes- mobiles et CRS, fut très violent. En particulier, une lutte à mort se déroula entre les commandos OAS et les barbouzes, ces membres d'une police spéciale arrivés de métropole pour démanteler les réseaux de l'organisation secrète. L'OAS s'en prenait aussi à tous les libéraux ou suspectés de l'être. L'organisation avait interdit aux pieds- noirs, sous peine de sanctions graves, de quitter l'Algérie. Beaucoup furent horrifiés par la dérive de l'OAS, même s'ils trouvaient des circonstances atténuantes à leurs actions. La suite montra que ce n'était pas le bon choix. Cette erreur eut des conséquences incommensurablement tragiques. En s'engageant dans une série d'assassinats et d'attentats aveugles, puis dans une politique de la terre brûlée qui atteignit son paroxysme à Oran, l'OAS a compromis définitivement la possibilité pour la communauté des Français d'Algérie de rester dans le pays.

Pourquoi les Français d'Algérie n'ont-ils pas profité des dispositions des accords d'Évian qui leur permettaient de rester vivre en Algérie?
Plusieurs facteurs doivent être considérés. Le premier c'est la dégradation des relations entre les communautés, en partie due à l'action de l'OAS, mais aussi à la volonté de certains responsables algériens qui voulaient éliminer toute présence française. Ils ne laissaient aux Français d'autre choix que «la valise ou le cercueil». Deux dates marquent profondément la mémoire collective des rapatriés, la première est le 26 mars 1962, jour de la fusillade de la rue d'Isly (actuellement rue Hassiba Ben Bouali) à Alger. L'armée française a tiré sur une foule d'Européens qui manifestaient pacifiquement, faisant des dizaines de morts et de nombreux blessés. La seconde date, le 5 juillet 1962 fut marquée par l'enlèvement de plusieurs centaines de Français à Oran, assassinés ou portés disparus. Ces évènements contribuèrent au départ massif des pieds- noirs. Il faut lire le chapitre consacré à ce sujet par Malika Rahal dans Algérie 1962, une histoire populaire, pour comprendre ce qu'il s'est passé ce jour-là.
Le deuxième c'est peut-être la mentalité des pieds- noirs qui n'arrivaient pas à se projeter dans une Algérie où les droits auraient été égaux. Le troisième c'est la volonté affichée par certains musulmans de mettre en place une République islamique qui leur paraissait incompatible. Enfin la perte de confiance, trahis par De Gaulle, lâchés par la métropole, ils ne pouvaient accorder leur confiance à ces accords.

Vous êtes né en Algérie, dans une famille de pieds- noirs dont certains membres sont restés après l'indépendance, comme beaucoup de familles d'Européens. Parlez-nous de leurs conditions de vie dans l'Algérie indépendante.
À titre personnel, je peux faire part du cas de mes grands-parents maternels qui vivaient à Oran, près de la place des Victoires, en plein centre-ville. Mon grand-père, employé de banque devait travailler jusqu'en février 1963 pour bénéficier de ses droits à la retraite. Mes grands-parents sont donc restés jusqu'à cette date avant de venir en France nous rejoindre. Ils ont vu les familles musulmanes prendre possession des appartements et des biens abandonnés par ceux qui étaient partis. Durant cette période, ils n'ont jamais été menacés ou agressés par leurs nouveaux voisins. Après une période d'observation, des relations cordiales de voisinage se sont établies.
En général on connaît mal l'histoire de ceux qui sont restés. Ce sujet est délicat pour les rapatriés, car la réussite de ceux qui sont restés pourrait signifier l'erreur de ceux qui sont partis. Dans mon cercle familial ou amical, personne n'en parlait. C'est comme si ces gens avaient disparu, peut-être leur en voulait-on d'avoir pactisé avec l'ennemi? Parfois, on entendait que quelques pieds- noirs étaient restés après l'indépendance, mais que rapidement ils avaient été obligés de quitter le pays, car les Algériens voulaient éliminer complètement la présence française. Je ne sais pas si quelqu'un aurait pu dire combien d'entre eux étaient restés? Avaient-ils gardé la nationalité française ou étaient-ils devenus franco-algériens ou algériens? Quid de leurs descendants? Comment leur nombre a-t-il évolué avec le temps? Comment ceux qui étaient restés ont vécu la période des années noires? Seuls quelques témoignages montrent des anciens qui sont restés et qui ont eu une vie heureuse.

Selon vous, à distance du 19 mars 1962, avec le passage du temps, le point de vue des rapatriés quant aux accords d'Évian a-t-il évolué?
Il ne faut pas généraliser, chacun peut avoir eu une évolution personnelle. Probablement certains sont arrivés à penser que les responsabilités étaient multiples et que le sort réservé aux Algériens pendant 130 ans était la cause de la guerre. Mais pour de nombreux rapatriés, la rancoeur perdura, et souvent elle était plus forte à l'encontre de la métropole que des Algériens. Cela d'autant plus qu'ils avaient été souvent mal reçus quand ils débarquèrent en grand nombre en 1962. Pendant les années qui suivirent l'indépendance, les rapatriés admettaient mal les aides financières apportées selon eux à l'Algérie dans le cadre de la coopération. Ils ne comprenaient pas que persiste une immigration algérienne en France «ils nous ont chassés, nous n'avons pas à les recevoir». Cet état d'esprit explique que dans les régions où les rapatriés étaient nombreux, les thèses de l'extrême droite trouvèrent un terrain favorable dans les années 70. Pour autant tous les rapatriés n'étaient pas d'extrême droite et assez rapidement ils retrouvèrent leurs orientations politiques diverses et variées. Ce qui persista chez la plupart d'entre eux fut un anti-gaullisme viscéral.

Au total que retenez-vous de cette période?
Les années sont passées. Pour beaucoup, le temps a permis de faire la part des choses, de considérer que chaque camp avait un point de vue opposé, mais que chacun avait, d'une certaine façon, une légitimité. Il ne s'agit pas de dire que tout le monde avait raison. Mais d'accepter de penser que l'un ou l'autre, placé dans une telle situation, dramatique et conduisant à une hystérisation collective aurait réagi d'une façon identique. Les individus ont été emportés par l'Histoire et souvent ils ont été broyés. Tous ont énormément souffert et cette souffrance devrait les réunir, dès lors que chacun aura accepté de considérer celle de l'Autre. Au total, il me reste le sentiment d'un immense gâchis et la certitude qu'on peut encore aujourd'hui, retrouver le lien subtil qui unit tous ceux qui ont un rapport direct ou indirect avec cette terre magnifique et si tourmentée.

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