Kamel Bouchama rend hommage au défunt professeur Merdaci
Mon frère n’est plus...
«L’esprit oublie toutes les souffrances quand le chagrin a des compagnons et que l’amitié le console.» William Shakespeare
Nous sommes vendredi. Il est 18h. Je suis en train d'éplucher mon courrier. Et, par hasard, en jetant ce coup d'oeil, dans un exercice machinal, aux nouvelles distribuées à satiété sur le Net, mon regard se fixe sur un faire-part qui m'a stupéfié et, pour le moins que je puisse dire..., qui m'a glacé, pétrifié, accablé, épouvanté.
Pas possible, me dis-je! Abdelmadjid est mort? Mais quand, et comment? Alors, je prends mon téléphone et j'appelle Dalila, notre éditrice, qui prend ma communication de suite et, avec une voix triste, abattue, affligée, me confirme le départ de notre ami commun et non moins frère Abdelmadjid Merdaci vers le Seigneur des Mondes.
Oui, Kamel, il est mort, hier soir, à l'hôpital Mustapha, et c'est aujourd'hui, de bon matin, qu'il a été transféré à Constantine pour être inhumé auprès des siens. Triste et affligente nouvelle, n'est-ce pas...?
Oui, c'est une bien triste nouvelle qui me vient comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Car, le décès de celui que j'ai aimé pour ses qualités humaines fondamentales et ses convictions honnêtes, pour son franc-parler, pour son acharnement pédagogique à expliquer les principes qui doivent nous mobiliser afin de les mettre au profit de notre pays qui, nécessairement, attend de nous cette concrète participation pour réussir, enfin pour ses valeurs intrinsèques, et je ne le dirais jamais assez, pour sa grande production littéraire., ne peut ne pas m'affliger au point de me décontenancer.
Ainsi, que dois-je dire en cette triste fortune et qui dois-je pleurer à l'heure où la douleur est à son paroxysme...?
Oui, je me pose cette question, à cet instant où chez moi, seul, dans mon bureau, entouré de mes livres, de mes bibelots, de mes photos, de mes tableaux, de mes trophées et de mes souvenirs, enfin de tout ce que peut contenir et réunir une bibliothèque dans le vrai sens du terme. Ainsi, malgré l'air de ce lieu mythique qui, en principe, doit m'enlever la peur et l'angoisse, mon esprit est en train de ressasser le nom de mon frère Abdelmadjid. Il est là devant moi, du moins l'image de l'homme bouillonnant, animé de bonne volonté et de bon sens, toujours prêt à expliquer pour convaincre ou lancer, dans son esprit libre et jovial, pour détendre l'atmosphère, cette phrase pleine d'énigmes et cette parole sibylline.
Oui, qui dois-je pleurer à l'instant? Eh bien, je pleure le frère Abdelmadjid Merdaci qui s'en est allé sur la pointe des pieds... N'est-ce pas un sentiment naturel, qui me fait porter le deuil pendant un moment... ce moment que mes émotions me prescrivent et que ma constance et ma patience atténueront avec le temps?
Ceux que l'Algérie n'oubliera jamais
Ensuite, je me ressaisis et me réjouis d'évoquer fièrement Abdelmadjid - malgré cette perte cruelle, je le répète -, oui d'évoquer l'ami, le frère et le prolixe à plus d'un titre, l'écrivain, le sociologue et l'historien qui a laissé une grande fortune, un trésor inestimable de travaux universitaires et de produits académiques, qui feront foi, demain, devant l'Histoire et l'Eternel. En effet, car Abdelmadjid sera de ceux que l'Algérie n'oubliera jamais, et il comptera parmi ces savants dont notre héros national, l'Émir Abdelkader Ibn Mohieddine les qualifiait ainsi: «Le savant est l'homme par lequel s'opère facilement la distinction entre la franchise et le mensonge dans les paroles, entre la vérité et l'erreur dans les convictions, entre la beauté et la laideur dans les actes!»
Allah Akbar! Quelle journée..., me dis-je, désarçonné devant cet édifice qui s'écroule, mais impuissant devant la volonté de Dieu!
Oui, au moment où je rédige ce papier à la hâte, sous forme de thrène, Abdelmadjid Merdaci est déjà entre de bonnes mains, Celles de Notre Tout-Puissant Seigneur. Il est parti convaincu que le destin - fatal et inexorable - qui est particulier, en chacun de nous, s'obstine à nous montrer que nous ne sommes que des créatures qui disparaissent avec l'assurance d'une autre vie, espérons-la, pour ce qui est de notre frère Abdelmadjid, dans une perspective consolante d'un bonheur éternel. Ainsi, en cette pénible circonstance, ne devons-nous pas croire en ce meilleur destin, nous qui étions ensemble, avec le défunt, il y a quelques jours, chez Dalila Nedjem, dans son agréable Librairie Point Virgule, en train de confronter nos idées, d'échanger nos espoirs et de consolider davantage nos relations fraternelles?
Dors en paix Abdelmadjid...
Oui, mais il faut que je revienne à la réalité, me suis-je rasséréné. Mon frère Abdelmadjid Merdaci a tiré sa révérence en cette soirée du jeudi 17 septembre. Ainsi, impuissant devant l'inéluctable sentence divine, il s'en est allé paisiblement, rejoindre le Vaste Paradis de son Seigneur, Clément et Miséricordieux. Il s'en est allé après une existence bien remplie, où il a occupé sa place dans la société avec un esprit du don de soi, de générosité, de magnanimité et d'humanisme. Inutile de m'appesantir sur ces valeurs ancestrales qui l'ont anobli, car il en possédait bien d'autres, assurément, lui qui vivait dans le perpétuel mouvement du savoir-faire et du bien-faire. En effet, il n'est pas opportun d'aller vers le dithyrambe pour affirmer qu'il avait constamment cet immense plaisir à se rendre utile, avec la modestie des «Grandes âmes», celle qui refuse les louanges et va dans le sens de cet éclat qu'il soit permis d'ajouter à la réussite de l'homme.
Alors, cet attachement à Abdelmadjid Merdaci, me commande de célébrer, à ma manière, cet imperturbable combattant - le terme lui sied convenablement - qui aura marqué son temps, à travers son honnêteté, sa détermination et sa fidélité aux idéaux de notre pays. Et, de ce fait j'ose m'exprimer avec la douleur qui m'étreint, pour pleurer le frère qui vient de s'éteindre après de longues années de combat légitime, un combat auquel il a donné le meilleur de lui-même, en s'engageant corps et âme dans une bataille pour la démocratie, pour la vérité, et contre l'imposture en affirmant, par ailleurs, obstinément, indéniablement, que «La vraie bataille est celle de l'accès des Algériens à toute leur histoire».
Enfin, sans emphase d'aucune sorte, je voudrais, frère Abdelmadjid Merdaci, te dire combien ton souvenir sera présent parmi nous et... infiniment vivant. Parce que, ce que tu étais pour nous, tu l'es et le seras toujours..., un exemple de sagesse, de loyauté, de confiance et d'honnêteté dans l'acte et le propos... Et, le meilleur hommage que je puisse te rendre aujourd'hui - comme le feraient d'aucuns parmi nos amis - c'est de te promettre, en cette circonstance douloureuse qui nous rassemble tous, d'évoquer constamment ton souvenir.
Je ne te quitte pas sans te dire: «Dors en paix Abdelmadjid, ton pays deviendra ce que tu voulais qu'il soit!».
À Dieu nous appartenons, à Dieu nous retournerons.