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Les algériens font recours au «Système D» pour s’offrir un véhicule

Les moteurs de la débrouille

Neuf ou d’occasion, beaucoup d’Algériens ont choisi d’investir leur argent dans un moteur au lieu d’un véhicule. Certains l’ont même acheté avant la voiture. Une activité est en train de naître. Cuba n’est pas loin…

Farid est depuis plusieurs mois à la recherche d'un bon véhicule d'occasion. Il a fait tous les marchés automobiles du pays, tous les sites internet, toutes les pages facebook, en vain! «Non seulement les prix sont déraisonnables, mais l'arnaque nous guette de partout», soutient ce père de famille qui semble encore traumatisé par cette «expérience». «Au- delà de l'arnaque sur l'état général du véhicule, par deux fois je suis tombé sur des compteurs trafiqués», révèle t-il en précisant que pour l'une de ces voitures il y avait 150 000 km de différence. «Elle était censée avoir roulé 150 000km alors qu'elle était à 300 000km.
Le pire, c'est qu'elle appartenait à un cousin», poursuit ce fonctionnaire dont le grand rêve est d'avoir un moyen de locomotion pour lui et sa famille. Après six mois et de nombreuses arnaques, il décide alors de changer radicalement sa méthode de recherche. «Au lieu d'aller à la quête d'une voiture, je me suis mis à celle d'un...moteur», avoue t-il. «J'ai décidé de chercher un bon moteur pas trop cher avant de lui trouver la voiture quel que soit son état», explique celui qu'on a justement rencontré dans un magasin de pièces détachées où il était venu récupérer son fameux moteur.
L'inspiration de la «Harbin»...
Farid a opté pour un moteur 1.2 essence VTI qu'il pourra installer dans une Peugeot 208, une 301 ou une Citroën C-Elysée. «J'ai payé mon moteur 24 millions de centimes», fait-il savoir. «Mon choix s'est porté sur ce modèle car le prix des voitures qui y sont équipées est bas sur le marché. Elles ont un défaut dans le moteur, elles perdent de l'huile et dégagent de la fumée», explique t-il en assurant qu'en changeant de moteur et en supprimant le catalyseur il allait avoir une voiture fiable et presque neuve. «Comme ça je suis tranquille, je suis au moins sûr de la fiabilité mécanique», se réjouit-il soulignant que cela devrait lui revenir pareil si ce n'est moins cher que d'avoir choisi un véhicule à faible kilométrage.
Avec son moteur sous les bras, Farid va donc se lancer à la recherche de son futur bolide auquel il y «offrira» un beau moteur. Très malin, mais avec un petit temps de retard. Car, sa recherche risque d'être plus difficile que ce qu'elle paraît. Omar, un «expert» du marché noir et accessoirement revendeur de voiture nous explique que la méthode de Farid est un «système D» pour beaucoup d'Algériens.
«Les revendeurs ont compris la chose, ce qui a fait monter les prix des moteurs et des véhicules dont les moteurs sont disponibles en grande quantité», assure ce spécialiste qui avoue avoir fait de même. Il soutient que l'idée est venue de chez les conducteurs de «Harbin», les fameuses mini-camionnettes chinoises qui circulent en masse sur nos routes. «Leurs moteurs neufs coûtent entre 50 000 et 75 000 dinars alors ceux qui voulaient s'acheter une Harbin s'intéressaient plus à la carrosserie qu'à la mécanique qu'ils vont changer à un prix dérisoire pour avoir une camionnette neuve», rapporte t-il. Chose qui semble avoir donc inspiré nos compatriotes qui désespèrent devant le grand «souk» du marché d'occasion qui a atteint des records depuis le blocage des importations de véhicules neufs en 2019. Selon notre ami, ceux qui ont choisi le «Farid système», il y a quelque temps, ont donc fait de très bonnes affaires. Farid, lui, risque de galérer.
Néanmoins, le fait que les
«samsarine» (revendeurs, ndlr) aient découvert le pot aux roses ne signifie nullement pas la fin de ce marché des moteurs. «Bien au contraire, il n'a jamais eu autant le vent en poupe», assure Ahmed, un mécanicien du côtété de Ouled Moussa, dans la wilaya de Boumerdès.
Une «industrie» de montage!
Celui qui était avant surnommé «Ahmed Crème à air» pour sa capacité à réparer n'importe quel défaut sur cette pièce, est aujourd'hui appelé «Ahmed Moutour (moteur, ndlr). Un nouveau surnom pour une nouvelle spécialité. Fatigué par son ancien domaine, peu rentable, il a «flairé» l'affaire des moteurs. «J'ai des contacts en Algérie et à l'étranger qui me permettent d'avoir des moteurs neufs ou d'occasion à bon prix», fait-il savoir, révélant qu'ils en achètent de temps à autre pour ses clients, amis ou proches. Cela sans pour autant que cela devienne une activité. Mais face à la situation actuelle du marché, il a décidé de se lancer dans le bain.
Aujourd'hui, il ne fait qu'installer directement des moteurs ou des boîtes de vitesses qu'il reçoit dans de grosses caisses en bois. On les aperçoit, d'ailleurs, rangées soigneusement dans son garage qui s'agrandit de jour en jour. On a l'impression d'être devant une véritable industrie de montage automobile. «Tahkout n'en faisait pas tant...», plaisante l'un de ses clients. Il sourit et réplique très fièrement. «Je suis connaisseur, j'ai des contacts. Ce qui évite aux gens de se faire escroquer», indique t-il fièrement. Il avoue que cela rapporte très très gros. Car, selon lui, la clientèle est très diversifiée. «Ceux qui achètent des moteurs avant la voiture représentent une minorité dans cette activité», atteste t-il. «Ahmed Moutour» soutient que le gros de ses clients est constitué par ceux qui ont déjà un véhicule, mais qui le voient tomber en lambeaux. Avec l'arrêt des importations, le parc automobile algérien prend de plus en plus de l'âge.
Les voitures les plus neuves ont roulé plus de 100 000 km. Avec les prix des rares véhicules disponibles, l'Algérien moyen ne peut espérer en changer alors qu'il le faisait, en moyenne, tous les 120 000 km ou après cinq ans d'âge.
«Les pannes sont donc plus nombreuses, les allers-retours chez le mécanicien aussi, alors que l'argent qu'ils allaient investir dans une nouvelle voiture, ils le mettent pour un moteur», certifie notre mécanicien.«Certes, ce n'est pas la même chose, mais ont-ils le choix? Cela leur permet d'avoir au moins une voiture plus ou moins faible qui ne les laisse pas en rade sur la route», rétorque- t-il avant de s'excuser pour aller recevoir une nouvelle livraison de quatre moteurs. On «ose» alors lui demander la source. Ce qui le crispe. Il change alors de sujet pour revenir aux «Crème à air».
La filiale tunisienne
On voit que la discussion n'a rien donné. On quitte alors son garage, mais avec la ferme intention de découvrir la source de ces moteurs qui sont en train d'envahir le marché. Après plusieurs jours d'enquêtes, on n'arrive pas à déceler véritablement les réseaux, mais on identifie quand même les sources. Surprise!La plus grande filiale est tunisienne. «Ce sont les spécialistes des moteurs d'occasion dans la région. Ils les ramènent de Libye ou d'Europe avant de les introduire dans d'autres pays», indique un vendeur de pièces détachées qui a requis l'anonymat. Il assure que les Tunisiens, au vu de la situation du marché algérien, ont ajouté les moteurs neufs dans leur catalogue. «Je ne sais pas comment ils font, mais ils arrivent a avoir des prix très compétitifs», garantit-il mettant en avant que cette filiale tourne à flots ces deux dernières années. On lui demande alors comment ils sont acheminés puisque les frontières entre les deux pays demeurent fermées depuis la pandémie de la Covid-19. Il se met à rire avant de tirer son téléphone portable. Il nous montre une photo en nous demandant de regarder la date de septembre 2020 à El Kef en Tunisie. «Je m'y suis rendu pour aller acheter un moteur pour ma Chevrolet Cruz qui venait de couler. C'était la pandémie, en pleine Covid-2019. Je lui'ai fait traverser la frontière jusqu'à Baraki (Alger, ndlr) chez mon mécanicien», rapporte-t-il avec un grand sourire. «Vous voyez que ça ne s'est jamais arrêté, et ça ne s'arrêtera jamais», insiste-t-il. Chose que nous confirment d'autres vendeurs de pièces et moteurs. «Effectivement, la filiale tunisienne est la plus importante, mais il y a aussi ceux de la saisie», révèlent-ils.
Le roi des moteurs
Plus étonnant encore, certains importateurs «véreux» commandent des moteurs d'imitation de Chine qui leur reviennent à prix très bas. «Ils les revendent très chers, la qualité laisse à désirer, ils sont HS aux bout de quelques mois ou milliers de kilomètres», avertissent-ils en garde. La même mise en garde concerne les arnaques aux moteurs d'occasion qui sont présentés comme rénovés de bonne qualité. «Beaucoup sont de la pure arnaque. Ils sont bien souvent pires que ceux que la personne vient d'enlever. Elle perd alors des dizaines de millions de centimes», rapportent-ils avec beaucoup de désarroi. Gare donc à l'arnaque! Il faut bien connaître le vendeur avant de prendre une telle décision. Et encore, même quand on connaît la personne, elle n'est pas sans risque. Un petit malin de Sétif a alors profité de cette «faille» pour se faire un nom. Utilisant les réseaux sociaux et les retours positifs de ses clients, le «Groupe Akli -M» est devenu le roi des moteurs en Algérie. Celui qui était spécialisé dans les véhicules asiatiques, s'est tourné vers les autres marques. On y vient dès 58 wilayas du pays pour y charger son moteur, sans même négocier.
Les prix qu'ils proposent défient toute concurrence. Il y a des moteurs à partir de 100 000 dinars jusqu'à 400 000 dinars, tout dépend du véhicule.
Les moteurs sont en majorité neufs et originaux. Quand ce n'est pas le cas, les clients sont avertis. Seul bémol, la disponibilité se fait au compte- gouttes, selon les arrivages. Cela n'empêche pas qu'il connaisse un grand succès en faisant de lui, en quelques mois, la référence nationale en la matière. Au point où il vient d'ouvrir un deuxième magasin, cette fois-ci près d'Alger, plus précisément à Reghaïa (Haouch El Makhfi».
Une «success story» bien de chez nous qui témoigne de l'importance de cette nouvelle activité.
Les moteurs ne «broutent» pas... W.A.S.

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