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Myassa Messaoudi, traductrice et écrivaine, à L'Expression

«Les femmes ont joué un rôle décisif dans l'histoire de l'Algérie»

Traductrice auprès des organismes internationaux et écrivaine, Myassa Messaoudi souligne dans cet entretien «qu'il est indispensable de contribuer, en tant que femmes, à l'écriture et à l'interrogation des faits historiques. Il ne faut pas réitérer l'erreur qu'on a commise avec la religion en laissant le soin de l'interprétation uniquement aux hommes.» Et, elle, de soutenir: «L'histoire doit impérativement être séparée du politique.»

L'Expression: Qu'en est-il de la place réservée aux femmes algériennes dans l'écriture de l'histoire et des mémoires? Ne sont-elles pas si nombreuses à laisser leurs empreintes à travers l'histoire du combat libérateur?
Myassa Messaoudi: L'histoire et donc la mémoire constituent un enjeu majeur dans la construction de l'individu et par extension du citoyen. La manière de les aborder est en soi un projet de société. Selon qu'on favorise un aspect ou un autre, il s'en dégagera le modèle qu'on souhaite généraliser. L'histoire officielle n'est jamais vraiment neutre. C'est une élaboration qui peut faire contorsion de certaines vérités. Les raisons en sont multiples, soit pour doper sa propre grandeur à travers un moi nationaliste exclusiviste, soit pour esquiver ses responsabilités criminelles et ségrégationnistes.
Dans le cas algérien, la mémoire en lien avec les femmes a été bien souvent aphasique. Ballotée entre la stigmatisation et la minoration. La reine Dihya commence seulement à être appréhendée comme une figure de la résistance et de la bravoure, sinon elle était réduite à l'image de la sorcière impie qui tenta de stopper les cavaliers d'Allah en Afrique du Nord. La reine touarègue Tin Hinan dont le souvenir renvoie au matriarcat et à l'habilité des femmes à diriger, transmettre la culture et pacifier les relations entre différents peuples jaillit doucement de la marginalisation. Dans la région de Témouchent, raisonne encore le nom de Caïda Hlima à travers la poésie populaire. Cette grande dame, prospère et propriétaire de grands domaines d'exploitation agricoles sous la colonisation a financé plusieurs oeuvres caritatives. Elle engendra une fille, la moudjahida Sitti Ould Kadi qui fut emprisonnée dans les geôles du colonisateur en 1957. Aucune référence officielle, ou un quelconque hommage ne la mentionne.
D'autres reines et personnalités féminines du Maghreb ont tout simplement habité l'imaginaire populaire en tant qu'ogresses ou folles. Le cas de Aïcha Kandisha, très connue au Maroc et dans l'Ouest de l'Algérie. Son nom est une déformation du mot portugais comdessa, comtesse en français. Et son personnage aurait été inspiré d'une femme qui s'était opposée aux conquérants portugais.
On peut aussi citer les moudjahidate, dont certaines sont encore vivantes. Sans leur participation à la guerre de libération, l'indépendance n'aurait jamais été possible. Elles ont été utilisées après 1962 comme une image de marque à l'étranger pour valoriser l'Algérie révolutionnaire. Ensuite, elles ont été renvoyées dare dare dans leurs cuisines. Pis encore, on leur a concocté un Code de la famille digne du Code de l'indigénat.
Moralité: il est indispensable de contribuer, en tant que femmes, à l'écriture et à l'interrogation des faits historiques. Il ne faut pas réitérer l'erreur qu'on a commise avec la religion en laissant le soin de l'interprétation uniquement aux hommes. Il en ressortira forcément des synthèses partisanes et misogynes.

Entre nous, ce n'est pas pour faire dans le féminisme, les femmes algériennes qui ont joué un rôle extraordinaire (et elles n'ont pas lu Simone de Beauvoir) et qui ont, pourtant, marqué le monde dont on parle peu, été occultés, voire complètement effacées des mémoires. Qu'en est-il de votre analyse?
Bien qu'il ne soit plus à démontrer que les femmes ont joué un rôle décisif dans l'histoire de l'Algérie, il subsiste néanmoins une injustice, voire de l'ingratitude quant au rôle joué par ces dernières lors des moments clés de notre histoire. En définitive, je pense qu'en dehors de la question du genre et de l'approche égalitaire femmes-hommes, pointe la question sémantique de l'identité. En effet, cette dernière reste assujettie au fait religieux. Pour parler de manière triviale, on ne sait toujours pas appeler un chat, un chat. Il nous est toujours ardu de désigner un colonialisme par son nom dès lors que le conquérant est de la même confession que nous, c'est-à-dire musulman.
Cette difficulté à identifier de manière claire les faits historiques nous pousse à entretenir des rapports coupables envers notre histoire ancestrale, et donc des figures qui symbolisent et témoignent de notre passé anti-islam. Nous sommes restés tributaires du regard et de l'identification qui nous ont été assignés par les occupants. Qu'ils aient été arabes, turcs, ou même français. Je pense à Napoléon III et son rêve de royaume arabe qui niait au passage, l'identité berbère de l'Afrique du Nord.
Du coup, la spécificité de notre région qui tolérait qu'une femme puisse régner et conduire des batailles, s'en est trouvée niée. Chacun voulant greffer son fantasme de grande Arabie sur un Maghreb uniformisé et délesté de son identité et de ses femmes affirmées.
Le panarabisme a, quant à lui, anéanti toute diversité ethnique et religieuse par son autoritarisme politico-religieux. Les femmes pouvaient certes, circuler sans voile, mais sans aucun droit ni même un soupçon d'égalité en contrepartie. Elles n'étaient plus que de simples potiches, destinées à donner des allures modernes et un semblant de progrès à des Etats dictatoriaux.

En Algérie comme en France, on remarque que les femmes d'origine française (pourtant nombreuses) qui se sont mises au service de la révolution algérienne sont totalement oubliées et ignorées dans le débat sur les mémoires. Comment expliquez-vous cette triste réalité?
C'est au-delà du triste. On est carrément dans le déni historique. Comme s'il fallait que la révolution algérienne ait un seul sexe, une seule religion, une unique origine ethnique. De facto, on est dans la mémoire idéologisée, uniforme et monomaniaque. Une femme telle que Gisèle Halimi, Reine Zaoui et quelques autres valeureuses combattantes juives ou d'origine européenne mériteraient une mention dans nos manuels scolaires, vous conviendrez! Cela étant, la participation de certains européens d'Algérie dans la guerre d'indépendance pose, par ricochet, l'épineuse question de l'altérité. Or, l'altérité signifie la diversité et la diversité renvoie aux droits individuels et à la liberté de conscience effective. Cette équation libertaire que pose le Hirak par son entêtement, est celle-là même que le pouvoir récuse et refuse aux Algériens. L'histoire doit impérativement être séparée du politique afin qu'on puisse se reconstruire et se guérir des dégâts générés par la colonisation sans haine ni travestissement des vérités.

Le rapport Stora a été accompagné par une salve de critiques allant parfois jusqu'à l'invective. Quelle est votre lecture du rapport?
Benjamin Stora a hérité d'une mission, ô combien délicate et épineuse, mais indispensable! Je le dis d'autant plus que je connais le contexte particulièrement tendu en France actuellement où l'extrémisme politique, l'identitarisme et l'entrisme religieux secouent la société. De même, les questions mémorielles font rarement consensus.
Les ravages causés par la colonisation ont été dévastateurs pour les Algériens sur plusieurs niveaux. Aussi, la peine et le déchirement ressentis par les pieds-noirs au moment de quitter l'Algérie, aussi grands soit-ils, ne sauraient contrebalancer l'horreur et les crimes subis par les Algériens durant 132 ans. Maintenant, je pense que c'est un premier pas vers le traitement de cette mémoire blessée. J'attends pour ma part de lire le rapport algérien pour mesurer la distance qui reste à parcourir entre les deux recommandations. Nous ne devons pas perdre de vue que le plus important est d'offrir à la prochaine génération un maximum d'espace et de chances à la réconciliation. Nul ne devra exploiter les drames du passé pour attiser la haine et justifier l'exclusion.

Pensez-vous que les volontés politiques de Paris et d'Alger sont mûres et prêtes à évoluer sur des terrains constructifs pour aboutir à une réconciliation des mémoires des deux rives de la Méditerranée?
Oui je pense que la volonté politique est là, et ce des deux côtés. Il y a trop d'enjeux et d'intérêts entre les deux pays pour que cette réconciliation mémorielle n'ait pas lieu. Les écoles françaises et algériennes doivent inclure dans leurs programmes scolaires cette dimension plurielle de l'histoire avec une lueur au bout du tunnel. La reconnaissance des crimes coloniaux aidera sûrement à dépasser les traumatismes. Quant à l'Algérie, il faut qu'elle se libère des prisons coloniales qui habitent son histoire et son imaginaire. Et elles ne sont pas que françaises.

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