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La télévion publique face au défi de l’information

Les dangers de la désinformation

Traquer les fake news n’est pas de l’ordre de l’impossible pour peu que les medias de service public « sérieux » adoptent une démarche sereine et beaucoup plus rigoureuse…

La révolution numérique a eu pour effet l'émergence de «l'information parallèle» qui est venue se greffer sur le circuit médiatique et est devenue un élément incontournable avec lequel il faudra désormais composer.L'Intelligence artificielle a poussé la manipulation de l'information à des limites insoupçonnées, à tel point qu'il est devenu quasi impossible de faire la distinction entre la réalité et la fiction; des exemples édifiants peuvent être cités à ce titre, tels que la manipulation outrancière de la chaîne qatarie Al- Jazeera des images montrant l'utilisation d'armes chimiques contre les civils dans le conflit syrien pour diaboliser l' État syrien ou encore plus loin dans le temps, la formidable et non moins outrancière mise en scène orchestrée par CNN (Cable News Network) et ABC (American Broadcasting Corporation) lors de la première et la deuxième guerre du Golfe pour justifier l'envahissement de l'Iraq. Sauf qu'à force d'user et d'abuser de moyens non conventionnels, on assiste à ce qu'on appelle l'effet «boomerang» car ces chaînes ont perdu beaucoup de leur crédibilité auprès de leurs publics.
Traquer les fake news n'est pas de l'ordre de l'impossible pour peu que les medias de service public «sérieux» adoptent une démarche sereine et beaucoup plus rigoureuse dans le processus de construction et diffusion de l'information surtout avec la multiplication démesurée des sources d'information à travers la planète. Atténuer,voire contrer l'impact de la désinformation sur l'opinion publique revient à lui donner l'information réelle, authentique, opportune au moment de son avènement réel. Sur ce plan, la télévision publique algérienne a pendant presque deux décennies,fait office de «mauvais élève» car elle a toujours suivi un schéma bien «huilé» obéissant à une feuille de route dictée à l'avance lorsqu'il s'agissait de traiter les informations ou de couvrir des événements faisant fi des réalités du terrain, ce qui lui a valu d'être rejetée par la majorité du public algérien et d'être qualifiée par les médias internationaux comme étant, justement, le parfait exemple de la «désinformation» surtout pendant le Hirak.
Le constat des experts
En témoigne le mépris total affiché par la «non-couverture» des marches populaires des Algériens qui ont ébloui le monde entier par leur caractère pacifique et fait les «UNE» de la presse mondiale à l'époque. La télévision publique a raté l'opportunité en or qui lui était offerte de se distinguer par un accompagnement médiatique à la hauteur de cet événement unique en son genre dans l'histoire de l'Algérie moderne et du monde entier. Et comme la communication a horreur du vide, la désinformation a donné libre cours à toutes formes de dérives, notamment sur les réseaux sociaux. Parmi lesquelles, des photos montrant les forces de l'ordre molester des manifestants pacifiques du «Hiraq» alors qu'il s'agissait de policiers antiémeute qui intervenaient dans le mouvement des gilets jaunes en France. Paradoxalement, la même télévision a fait bouger les lignes en interpellant les pouvoirs publics à travers des images qu'elle a «osé» diffuser, montrant les conditions inhumaines dans lesquelles se trouvait le service de la maternité de l'hôpital universitaire de Constantine; lesquelles images ont été relayées par les médias du monde entier. En n'ayant pas utilisé sa marge de manoeuvre ni ses prérogatives pour éclairer et informer l'opinion publiquec sur des sujets aussi importants, l'Eptv a, non seulement, terni son image auprès de son public, mais aussi celle des institutions officielles dont elle est censée être le «porte- voie» à l'échelle internationale.
La multiplication des sources ajoutées au flux ininterrompu d'informations a provoqué une forme de saturation chez les consommateurs qui n'arrivent plus à discerner entre le sérieux et le sensationnel. C'est à partir de ce constat que les experts sont arrivés à la conclusion unanime que l'explication des faits est une «notion-clé» dans la façon de traiter l'information. «Expliquer l'info est aussi important que donner l'info»; il ne s'agit pas seulement de révéler mais surtout de donner un sens à ces révélations. C'est justement sur ce point que les médias de service public doivent faire la différence, bien entendu dans le cadre de leurs cahiers des charges ou de leurs «lignes éditoriales», en adoptant une approche «didactique» dans le traitement de l'information pour donner les moyens au public de comprendre et réagir en conséquence car comme disait Edwy Plenel «Le savoir est une arme, l'ignorance désarme...».
La parfaite illustration de la «mauvaise» transmission de l'information fut donnée par la télévision publique algérienne lors d'un journal télévisé, où le présentateur avait annoncé d'une manière quasi triviale que les cours de pétrole avaient atteint le plus bas niveau de leur histoire en s'échangeant à -37 $ sur les marchés américains. Cette information qui est devenue virale sur les réseaux a sapé le moral des citoyens déjà atteint par le ralentissement économique causé par la pandémie de COVID-19. Or la réalité n'est pas aussi dramatique car l'information était incomplète et il aurait fallut soit, inviter un expert sur le plateau pour expliquer la cause de cette chute de prix ou l'ajouter dans le sujet et dire que la raison était due au fait que les producteurs américains étaient contraints de vendre à perte car ils n'arrivaient plus à écouler les énormes quantités produites sur les marchés, ni à les stocker. Il fallait pousser l'argumentaire plus loin et expliquer que le contexte algérien était totalement différent de celui de l'Américain car l'Algérie vendait son pétrole à des prix indexés à ceux du panier de l'Opep.
Nouveaux «intrants»
Un autre exemple qui traduit cette carence dans la manière de produire l'information au sein de l'Eptv est celui lié à la crise de Covid-19. Malgré la diffusion de points de presse quotidiens dans les différents journaux télévisés sur l'état de l'évolution de la pandémie en Algérie, l'opinion publique s'est montrée très sceptique quant à la véracité des chiffres avancés par les autorités sanitaires et ce, malgré toute la bonne volonté affichée de leur part pour donner des informations fiables dans un contexte de transparence totale. Encore une fois, le problème se situe au niveau de la forme et non pas du fond, car si on avait expliqué en amont au public que les résultats annoncés étaient proportionnels au nombre de personnes testées chaque jour sur le territoire national, il y aurait eu moins de doute dans l'esprit des citoyens. Un détail qui fait toute la différence dans la manière de concevoir l'information et l'impact que celle-ci puisse avoir sur le public. La Révolution numérique a donné accès à de nouveaux «intrants» qui ont profondément transformé les pratiques de production de l'information incitant ainsi les «professionnels» des médias à revoir leur copie et à réfléchir à une manière de faire de l'info plus horizontalement; il ne s'agit plus de produire d'une manière «univoque» et verticale vers la masse, mais produire d'une manière «inclusive» avec la masse. On assiste à une fragmentation de l'information et les médias traditionnels doivent maintenant composer avec de nouveaux acteurs tels que les influenceurs ou les lanceurs d'alerte. L'information se «démocratise» et se «popularise»... Cette nouvelle réalité se confirme au quotidien à travers d'innombrables exemples qui ont défrayé la chronique dans le monde. Il a suffit de poster sur les réseaux sociaux la photo de la lycéenne suédoise Gretta Thundberg, militante écologiste engagée dans la lutte contre le réchauffement de la planète la montrant assise devant le Parlement de son pays, pour déclencher un mouvement de protestation planétaire tout acquis à sa cause. Cela pour dire que les médias traditionnels, notamment ceux du service public, seraient bien inspirés de travailler en «bonne intelligence» avec ces nouveaux médias pour asseoir leur hégémonie et devenir la première source d'information au sein de leurs communautés respectives.
À l'ère des «désintermédiations» imposées par les réseaux sociaux tels que twitter, instagram et autres, la télévision algérienne doit impérativement intégrer, dans le cadre de sa stratégie future, ces nouveaux modes de communication et en faire un élément- clé dans le processus de fabrication de l'info. En s'inscrivant dans cette logique, elle augmenterait d'une manière substantielle ses chances de collecter les informations à temps réel et à moindre coût, mais plus important encore, elle aura la possibilité de les filtrer. En effet, la montée en puissance des réseaux sociaux a donné la possibilité à chacun de s'exprimer sans filtre ni médiateur, et ainsi donner un avis pas une information, or le service public a besoin, plus que jamais, de journalistes neutres et impartiaux.
Des lacunes à combler
Au sein de cette «guerre de l'information» où la frontière entre la vérité et l'intox se rétrécie de jour en jour, les médias ont tendance à privilégier la communication instantanée (news) plutôt que la documentation(journalisme d'investigation, débat, analyse etc...), exacerbant ainsi le désarroi du consommateur qui a du mal à assimiler les nuances et distinguer entre la réalité et la fiction. L'opportunité est offerte aux medias de service public sérieux et ambitieux de se démarquer pour peu qu'ils procèdent à la spécialisation réelle et non administrative de leur corps journalistique. Car seuls les journalistes spécialisés dans leurs domaines de prédilection ont les aptitudes nécessaires qui leur permettent de comprendre les tenants et les aboutissants, et ainsi apporter une valeur ajoutée à leurs informations.
Sur ce point, la télévision publique algérienne a beaucoup de lacunes à combler si toutefois elle aspire à se mettre au diapason de ce qui se fait de mieux régionalement et internationalement, pour ce faire,il lui faudra bien sûr, se doter de managers actuels, intelligents,et rodés aux spirales et toiles communicationnelles, en effet, il n'y a jamais eu de politique proprement dite de détection de talents au sein des rédactions ou une approche basée sur la méritocratie. L'instauration d'un système «égalitariste négatif» a eu des répercussions tout aussi négatives sur la qualité du travail accompli par les journalistes qui, à quelques exceptions prêt, se sont vus réduits à des «porteurs de micro» au lieu d'exercer pleinement leur rôle de «faiseurs» d'opinions» ou «d'éveilleurs de consciences» et de «lanceurs d'alertes». La parfaite illustration de ce manque de professionnalisme et de rigueur intellectuelle fut mise en lumière au cours d'une émission débat diffusée en prime time dont le thème traitait des retombées financières de la pandémie de Covid-19 sur l'économie mondiale. L'animateur (qui n'est pas expert en questions économiques) avait affirmé à un expert américain que l'économie de son pays serait impactée par la pandémie. Le présentateur a été «recadré» d'une manière «ironique» par cet expert même présenté comme invité «vedette» de l'émission plateau qui lui a rappelé que c'était plutôt l'économie algérienne (dépendante à 98% des hydrocarbures) qui serait impactée par cette pandémie et non pas celle des États- Unis d'Amérique dont le modèle économique est totalement différent,et que ce pays possèdait les ressources nécessaires pour sortir de la crise à moindre dégâts.
Pays continent
Cet épisode médiatique dénote bien de l'importance de foyer de la télévision publique algérienne des meilleurs talents journalistiques justifiant d'un parcours et d'un cursus très solides et capables de porter une rédaction qui doit être hétéroclite (c'est-à-dire composée de profils sociaux, culturels, intellectuels et idéologiques différents), afin que les publics puissent se retrouver et s'identifier dans les informations diffusées. Notre télévision publique doit impérativement être l'émanation de son
public!. Mais le talent à l'état pur ne suffit pas à lui tout seul pour satisfaire aux exigences du journalisme professionnel, celui-ci doit être façonné par la pratique du métier au quotidien, car chaque reportage filmé, monté et diffusé, chaque documentaire produit est une expérience humaine unique en son genre. Et c'est justement pour renouer, reprendre le contact cognitif avec une partie vulnérable de son public qui l'a désertée, qu'une chaîne britannique a sélectionné des jeunes talents issus de quartiers défavorisés pour les former au sein de sa rédaction dans l'objectif «d'en faire» des journalistes «freelance». Parmi ces talents «semi-professionnels», une adolescente est retournée dans son quartier d'origine pour tourner un reportage avec des dealers pour le compte de la chaîne. Dans un pays continent comme l'Algérie, la Télévison publique nationale gagnerait à s'appuyer sur ce genre d'exemple pour consolider sa politique de communication de proximité et étendre son champ d'action pour couvrir toutes les «zones d'ombre» tel que prôné par les pouvoirs publics depuis quelques années; ces «apprentis-journalistes» serviront de relais pour l'Eptv dans les quatre coins du pays et seront une source d'information supplémentaire fiable et peu coûteuse pour cette même télévision publique. Il faut se rendre à l'évidence que quels que soient les moyens techniques, matériels et humains dont dispose la télévision publique algérienne, il lui sera impossible de quadriller l'ensemble du territoire national en informations réelles et instantanées. Il est maintenant clairement établi que l'innovation est un élément-clé dans la survie des médias traditionnels face à la concurrence accrue des nouveaux médias et l'Eptv n'a d'autres alternatives que de «s'engouffrer» dans la brèche de la sphère médiatique 3.0 au risque de se voir reléguée au «cercle des medias disparus».

 

 


*Journaliste et Experte en Communication
Ibtissem BEDJAOUI

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