Le sursaut citoyen

Les Algériens disent «basta» à la hausse considérée des prix des produits de large consommation, pestent contre les pénuries organisées et crient leur désarroi dans les marchés, à la télévision et sur les réseaux sociaux. Ils veulent que cette «musique» qu'on leur chante depuis des décennies à la veille du Ramadhan, cesse une bonne fois pour toutes. De plus en plus de citoyens estiment que la solution n'est pas au niveau de l'Etat et encore moins chez les commerçants. La fin du cauchemar ne peut venir que du peuple lui-même. Les initiateurs d'un mouvement «pacifique» de consommateurs veulent s'inspirer du Mouvement populaire pour casser la spéculation. Ils n'ont pas vraiment tort.
La poussée populaire du 22 février 2019 a profondément ébranlé la sphère politique nationale, jusqu'à faire démettre un président et remettre en cause tout le système sur lequel reposait le pouvoir. Les Algériens étaient sortis en masse pour exprimer leur rejet catégorique du mode de fonctionnement de leur République. Il n'y avait pas d'associations, ni de partis et encore moins d'«experts» qui s'attendaient à la déferlante citoyenne et surtout pacifique. Ce qui s'est passé entre février et juillet 2019 est à enseigner dans les universités. Le Mouvement populaire est un cas d'espèce, en matière de prise de conscience collective et de sens profond de l'intérêt général.
Quel enseignement en tirer et surtout quelle application pratique peut-on attendre de l'émergence du peuple sur l'espace public? Ces interrogations n'émanent pas seulement des «esprits savants» qui travaillent sur le Hirak. L'Algérien moyen se pose les mêmes questions, de savoir comment traduire cet élan dans sa vie de tous les jours, comment améliorer sa quotidienneté de manière radicale et pacifique. Il se trouve des citoyens qui ont compris que la puissance du peuple est dans son unité. Et «l'agression commerciale», dont il est l'objet à l'entame de chaque mois sacré, est justement une opportunité pour cimenter cette unité et en faire une arme efficace contre les spéculateurs de tout bord et même contre la tendance générale d'une surconsommation durant le mois de Ramadhan, spécifiquement.
Pris individuellement, les citoyens ne sont pas dupes. Ils savent que leur «boulimie» ramadhanesque est le principal facteur facilitant la spéculation. Aussi, après avoir réussi à renverser «la table politique» en 2019, il est théoriquement tout à fait possible de renverser l'autre table, celle du «consensus commercial» établi sur le dos du peuple. Beaucoup d'Algériens sont convaincus que si, plus de 20 millions d'entre eux ont réagi à l'unisson contre un système politique, ils peuvent récidiver pour abattre «l'hydre» de la spéculation. L'idée d'investir la rue s'est nourrie du refus d'une Présidence à vie qui trottait dans la tête de chaque citoyen. Les réseaux sociaux ont permis aux connexions de se faire.
Les Algériens sont présentement dans le même état d'esprit par rapport à toutes les pénuries préfabriquées et l'inflation injustifiée. Ces deux phénomènes, récurrents depuis des années, profitent de la «terreur» que suscitent les rumeurs colportées par les «professionnels» de la spéculation pour enrichir une catégorie d'individus sur le dos de la société. Le parallèle avec la situation qui a conduit à l'avènement du Mouvement populaire du 22 février 2019 peut paraître caricatural, mais, toutes proportions gardées, il est tout à fait admissible de penser à un sursaut citoyen généralisé qui remette le citoyen-consommateur au centre de l'échiquier commercial, comme cela a été le cas pour le politique. De fait, l'idée d'un immense mouvement national, non pas de boycott, mais de rationalisation de la consommation, aura, à n'en pas douter un impact immédiat et radical sur la scène commerciale nationale.
La prise de conscience de la puissance du peuple n'est plus à établir. Elle existe et a été «expérimentée» avec succès. Il suffit d'en faire une force de frappe citoyenne. Aussi, l'initiative qui circule sur le Web constitue un véritable levier pour concrétiser la très attendue connexion sur un sujet qui fait consensus au sein de larges couches de la société.