LE MOUDJAHID KADDOUR BIREM NOUS QUITTE SUR LA POINTE DES PIEDS
Le silence des humbles!
Il est 11 heures. Nous sommes le 9 septembre 2018. Mohamed, son fils, celui que j'ai vu grandir, m'appelle, l'émotion dans la gorge, pour m'annoncer d'une voix entrecoupée d'un pénible sanglot, le décès de son père, mon frère Kaddour.
J'ai compris que notre «Djeha», l'aimé de tous, venait de rendre l'âme à son Créateur. J'ai compris que la volonté de Dieu venait de s'accomplir et qu'il tirait sa révérence pour n'exister que dans notre souvenir, dans notre nostalgie de ces jours bienheureux où, ensemble dans la symbiose, en communion d'idées, nous faisions mille et un projets pour ce pays qu'il aimait tant.
Ce fut une annonce pénible pour moi, tant le volume de sa charge - somme toute naturel, puisque c'est la décision du Tout-Puissant - m'a ébranlé en m'amenant à l'évidence afin que je comprenne que Kaddour ne sera plus avec nous, car il nous a quittés pour l'éternité.
L'icône de Cherchell, et le terme n'est pas excessif, puisqu'il l'était dans la mesure où, très jeune, à 18 ans, il s'est inscrit en droite ligne au PPA-MTLD et, aussitôt, avec la venue de Novembre 1954, il a rejoint sans atermoiements, sans hésitations, les premières cellules du FLN. Il y avait des raisons à cette adhésion précoce du jeune Kaddour Birem qui venait déjà d'une école de formation de militants, cette école qui rayonnait à Cherchell, foyer exubérant du nationalisme, et qui s'appelait le Mouloudia, un club sportif qui recrutait les meilleures potentialités de la cité. Kaddour s'est engagé avec détermination et ferveur au Mouloudia. Et il était bien présent, tant sur le terrain en tant que joueur, qu'en dehors du stade, pendant les réunions secrètes au sein du FLN, au café du non moins militant, Belkacem Allioui qui tenait, également, le poste de vice-président du club.
«Kaddour Djeha» on l'appelait ainsi, sans connotation péjorative
Ainsi, pour ce qui est du domaine sportif dans lequel il s'était engagé, depuis sa prime jeunesse, et dans lequel il a eu ses premières leçons de nationalisme - il faut insister sur cet aspect -, Kaddour restera un nom qui nous rappelle ces bons souvenirs d'un Mouloudia battant «pavillon vert et rouge», et alignant des jeunes qui ne savaient pas reculer devant les dangers, parce que dans leur «mental» il n'y avait pas que le ballon, il y avait l'ennemi en face qu'il fallait «vaincre». Alors, il était évident de ce fait, que dans tous les stades, à Cherchell ou ailleurs, Kaddour Birem était beaucoup plus un «hors-la-loi» qu'un joueur discipliné, même si techniquement, il possédait des dons qui pouvaient le mener très loin dans une carrière footballistique. Mais lui, bien sûr, «trop turbulent pour ceux d'en face», comprenez par là, les autorités françaises, qui avaient sur lui un dossier bien ficelé, a vite été coffré par mesure de «salubrité publique», sinon il aurait été un dangereux virus de patriotisme qui se propagerait en une épidémie au sein de la jeunesse.
Et, c'est ainsi que, de cette équipe du Mouloudia, il a été mis fin à ses activités sportives, par les forces de l'ordre, comme on les appelait dans le temps, qui l'ont appréhendé et lui ont fait faire la tournée de quelques prisons et de presque tous les camps de concentration du pays. De là, Kaddour Birem qui a été le pensionnaire conquis - il ne pouvait faire autrement, devant la machine infernale du colonialisme - avait ce «privilège» de connaître presque toute l'Algérie à travers ses baraques, ses cachots, ses miradors, ses prévôts et ses sirènes retentissantes et stridentes..., à chaque alerte. En effet, qui n'entendait pas parler, dans cet affreux climat d'incarcération, de Kaddour Birem, ce jeune qui a connu, à l'époque, le plus d'établissements pénitentiaires d'Algérie, pour y avoir séjourné aux côtés de grands militants qui sont devenus, plus tard, de hauts dirigeants du pays? Et, s'il y avait un certain recensement dans ce domaine, il prendrait, certainement, haut la main, la «Palme» pour le nombre de prisons et de centres de détention répressifs, tyranniques et inhumains dans lesquels il a été affecté. Parmi les grands dirigeants de ce pays, décédés ou encore en vie, avec lesquels il a peu ou longtemps séjourné, on a à l'esprit les Ali Yahia Abdenour, Mohamed Saïd Mazouzi, Aïssat Idir, Rabah Djermane, Boualem Bourouiba, Tahar Gaïd, Messaoudi Zitouni, docteur. Ahmed Aroua, Abdelkader Zaïbek, et tant d'autres. Oui, Kaddour Birem était avec eux, dans les mêmes «salles», les mêmes «baraques» et les mêmes «guitounes», quelque part, dans les prisons et grands camps de concentration: Berrouaghia, Saint Leu, Paul Cazelle, Bossuet, Lodi, Sidi Chahmi etc...
Au sortir de cette pénible épreuve, pour lui et pour ses parents, Kaddour ne s'est pas donné le temps de réfléchir car, tête baissée, il s'est promis d'assurer la continuité dans le «Nidham» - on l'appelait ainsi en ce temps-là -, ou dans l'organisation, dans toute sa plénitude et sa double résonance. Il s'en était fait un devoir de continuer dans sa participation pour le devenir de l'Algérie, celle qui habitait son coeur depuis son enfance. Ainsi, l'homme libre qu'il était, et dès les premiers mois de l'indépendance, a adhéré spontanément, consciemment et sans contingence, à ce FLN qu'il a défendu et auquel il a juré de poursuivre son action dans le cadre de la reconstruction du pays. Pour cela, il a construit des ponts d'espoir, accompagné de militants qui en voulaient et qui croyaient, dur comme fer - tout comme lui - en ce «Djihad El Akbar» qui s'opérait sur le terrain du développement pour décoller virtuellement vers le progrès.
«Kaddour Djeha» on l'appelait ainsi, sans connotation péjorative, et pourquoi d'ailleurs, puisque l'historique «Djeha», celui de la légende, était un brillant philosophe qu'on aimait bien, doublé d'un héros futé et éveillé, qui alimentait nos contes... les soirs d'hiver, au coin du feu. Kaddour Djeha donc, pour les intimes, a construit cette ambiance du vivre ensemble, que ce soit dans le FLN ou ailleurs, là où il s'est investi dans la responsabilité, bien avant que les autorités de notre pays aient eu l'audace d'aller, en cette année de 2018, proposer et défendre cette valeur dans la plus haute Institution du monde que sont les Nations unies. Ainsi, notre cher Kaddour, avec sa faconde et ses meilleurs sentiments de rapprochement, de réconciliation, d'entente et de rassemblement avait bel et bien commencé l'opération longtemps avant celle que nous mettons en évidence aujourd'hui, dans notre pays, pour atténuer notre climat difficile où l'indifférence, le laisser-aller, le non-respect ont pris le dessus, des fléaux qui ne vont pas dans la conception de ces anciens militants qui nous ont tracé notre parcours dans le sens du véritable «vivre ensemble».
Là, ce ne sont pas de vains mots, car j'ai eu le plaisir de militer avec mon aîné Kaddour Birem, souvent dans des conditions très difficiles. Je l'accompagnais dans cette mission quand, avec sa perspicacité, mais surtout avec son courage avéré, il trouvait l'issue à nos embarras et gagnait autant de fois pour permettre au FLN - celui d'hier, évidemment - de rehausser le niveau de ses militants et remettre la machine en marche. Il était le principal promoteur de ces bonnes actions qu'il imposait, déjà en ces années-là, face à une adversité illogique, invraisemblable et insoutenable que subissait le FLN de la part d'une administration bureaucratique, rigide à l'ouverture partisane. Notre frère Kaddour, que je secondais, travaillait dur pour annihiler ces facteurs négatifs et instaurer de bonnes traditions d'homogénéité, de cohérence et de solidarité. Il avait cet idéal en tête et tâchait de monter en droite ligne. Mais, par ailleurs, et il faut le souligner avec amertume, la bipolarisation commençait à s'insinuer et s'ériger en système générateur d'antagonismes, pour déboucher fatalement sur un «pouvoir bicéphale» dont les préjudices ont été la conséquence incontournable de l'incompréhension et, plus tard, de la division des forces.
Il y a beaucoup à dire sur cet homme exceptionnel - et le terme n'est pas de trop -
Nous avons vécu hélas ces situations que j'ai consignées dans deux livres sur le FLN et le pouvoir, que j'ai édités, il y a plus de vingt ans. «Kaddour Djeha» n'admettait pas ces comportements, il se bagarrait pour les principes, il ne ménageait pas ses forces car il était convaincu, en son for intérieur, qu'il était dans le droit chemin, en face de l'incompréhension qui s'installait et se cristallisait avec résistance dans nos différentes institutions... administratives, surtout. Et son combat, était juste, parce qu'il disait vrai, en allant directement au but.
Des exemples, j'en ai à profusion; cependant, cet hommage que je lui rends, ne me permet pas de m'étaler davantage, au risque d'en faire une tribune contre les atmosphères préjudiciables que nous avons vécues, et qui sont les prémices de ce que nous vivons, présentement, en termes d'incompréhension, d'antagonismes et de situations aléatoires.
Je dois encore parler de «Kaddour Djeha», le simple préposé de mairie, au service de l'état-civil - il n'était que ça sur le plan professionnel -, pour affirmer qu'il n'a pas changé de condition sociale, même s'il pouvait largement bénéficier, de par son passé révolutionnaire, de tant d'avantages, comme l'ont fait, démesurément, d'aucuns qui n'avaient pas son passé. Oui, il ne s'est jamais laissé tenter par les «affaires» et le gain facile, comme il n'a jamais exhibé ses références «militantes» pour accéder à des postes supérieurs. Il travaillait uniquement pour servir le pays et assurer la pitance des siens.
Ah, quel homme ce «Kaddour Djeha» qui, balayant du revers de la main toute ambition de s'adonner aux transactions mercantiles ou malhonnêtes, c'est selon, se contentait de vivre au jour le jour, en pensant à «vivre à même l'éternité». Ainsi, ni son poids dans la société, ni son carnet d'adresses - où de grands pontes figuraient parmi ses meilleurs amis - ne l'avaient persuadé à changer le cours de sa vie, parce que, tout simplement, il n'était pas préoccupé par le profit. Il était égal à lui-même, humble, sobre et avenant. Il aimait faire du bien à tout moment, surtout aux dépourvus et aux nécessiteux... Et là, j'ai à l'esprit ces campagnes des années 60 jusqu'à 70, que nous menions ensemble, sous sa férule, sillonnant les massifs abruptes du Dahra, pour apporter de l'aide à ceux qui en avaient le plus besoin, dans les douars de Ghardous, Boussemame, M'haba, Bouzerrou ou Adouiya. Nous allions, jusqu'à chez eux, par monts et par vaux, pour leur porter la bonne parole, de l'aide concrète et de l'espoir. J'ai à l'esprit également cette Association culturelle - une vraie association - où, ensemble et aux côtés des Hadj El Ghobrini, Mohamed Sahraoui-Tahar, Mohamed Raouya, Aziz Kaïd-Youcef, Mustapha Héraoui, Abdelwahab Digou et d'autres, nous faisions des prouesses pour la ville de Cherchell qui brillait de mille feux pendant la saison estivale et le mois de Ramadhan. Des moments inoubliables avec Kaddour, cheville ouvrière de l'association, qui nous ouvrait toutes les portes avec l'administration et sa bureaucratie astreignante. Enfin, il y a beaucoup à dire sur cet homme exceptionnel - et le terme n'est pas de trop -, sur ce militant zélé qui, de son vivant, ne pouvait se dissocier de Cherchell, qu'il aimait tant, et de son activité militante qui le transcendait par rapport aux autres responsables. Dommage, je ne peux tout dire dans cette contribution que je rédige en une circonstance douloureuse pour sa famille, ses amis et l'ensemble des militants qui l'ont approché et aimé.
Notre cher Kaddour, le modeste, le simple, le bienveillant est aujourd'hui devant son Créateur. Et l'hommage que je lui rends présentement au nom de tous ses amis, ne peut être hélas à la hauteur d'un militant comme lui, mais il saura m'excuser car, en pareille circonstance, la charge émotionnelle ne consent à ce que j'aille plus loin. Alors, je lui dis: sois heureux..., ta vie a été un exemple de droiture, d'humilité, de bonté, de conscience, de fidélité et de courage! Pourvu que nous puissions nous présenter, demain, devant le Miséricordieux, avec tes bonnes valeurs!
Kaddour, mon frère, repose en paix..., tu l'as bien méritée!
Ton frère Kamel