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La forÊt dans le dÉveloppement national

Le grand apport de l’arbre

Par Djilali Smaîli *

Les territoires forestiers algériens cou-vrent environ 4,1 millions d'hectares selon la direction générale des forêts, soit l'équivalent de la superficie d'un pays grand comme la Suisse. Si spacieux, ces territoires se trouvent aujourd'hui sérieusement dégradés et assez peu connus; et pour pouvoir en mobiliser les potentialités, il y a lieu d'engager des investissements visant à les inventorier, les développer et les protéger. Ces investissements, s'appliquant à un domaine vaste et difficile d'accès, peuvent-ils être conçus de façon à être abordables financièrement et simples à mettre en oeuvre?

Techniquement,l'Inventaire forestier national (IFN) est une opération qui consiste à recenser, à quantifier et à décrire l'ensemble des richesses naturelles relevant du monde vivant animal et végétal ainsi que de leurs habitats, sur l'ensemble des territoires forestiers nationaux, publics et privés. Comme il s'applique au vivant, qui est en perpétuelle évolution, l'IFN, pour ne pas se faire dépasser, doit se réaliser à une cadence réglée au rythme évolutif des objets auxquels il se rapporte. Il est clair que l'opération peut se révéler fastidieuse est certainement très onéreuse, si elle devait se faire convenablement, pour ne pas se faire en vain. Le Bureau national d'études pour le développement rural (Bneder) est, en Algérie, l'organe compétent et aussi celui désigné habituellement pour mener ce genre d'études d'inventaire, sauf qu'avec l'inadéquation des moyens mis à sa disposition et des délais fixés par rapport au volume de travail confié, ce bureau d'études ne saurait satisfaire aux exigences souhaitées, quand bien même dévotion et application seraient déployées, comme il en convient bien pour un organisme de son renom.

Et la solution?
Comme il serait idéal que l'IFN soit continu dans le temps, afin de rendre réellement compte de la situation qui caractérise un territoire donné à un temps «t», rien n'est plus pratique à notre sens que la conclusion d'une convention de partenariat gagnant-gagnant, entre l'administration forestière, le Bneder et les établissements de formation supérieure compétents, pour l'intégration de l'IFN dans les sujets de mémoires de fin d'études des spécialités y afférentes. Ainsi, le volume de travail sera bien réparti, les délais observés, les frais raisonnablement étudiés et profitant aux étudiants dans la prise en charge de leurs projets, et la qualité du travail bel et bien garantie, puisqu'elle sera soumise à la fin à un jury pour son approbation.

Fichier national des ressources naturelles
La convention de partenariat évoquée peut s'étendre à la caractérisation chimique des substances issues des ressources naturelles recensées ou la mise au point de techniques d'extraction pour des usages cosmétiques, gastronomiques, pharmaceutiques ou industriels. Les résultats de ces travaux rentreront dans la constitution d'un fichier national des ressources naturelles, accessible à différents opérateurs économiques. En adoptant le principe du protocole de Nagoya précisant l'article 15 de la Convention sur la Diversité biologique (CDB), adoptée lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, relatif à l'accès aux ressources génétiques et au partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation de ces ressources (APA), ledit partenariat pourra alors profiter à l'ensemble des parties prenantes, ainsi qu'à la préservation des ressources naturelles, en amorçant un véritable processus de développement durable, que sous-tend la solide connexion circulaire «ressources naturelles-recherche-activités économiques».

La forêt, un réservoir génétique
Il n'y a pas lieu de le démontrer, tout le monde en est convaincu à présent: en dehors de l'tre humain, la véritable richesse sur terre n'est ni l'or ni le pétrole, mais bel et bien la diversité biologique.
Qu'elle soit de nature animale ou végétale, sauvage ou domestique, et bien qu'elle ait l'avantage d'être renouvelable, rien n'est plus catastrophique que de voir cette diversité biologique disparaître à jamais.
Aussi, et depuis la moitié du siècle dernier, plusieurs grandes nations à travers le monde se sont dotées de banques de graines, à l'instar de «Fort Collins» fondé en 1958 aux Etats Unis; ou de la banque de graine nationale indienne, datant de 1976 et qui abrite les variétés locales; ou encore de la banque nationale chinoise, inaugurée en 1986 et où sont conservées plusieurs dizaines d'espèces de plantes cultivées et sauvages. Si bâtir des bunkers pour servir de coffres forts à la conservation de nos semences locales semble une entreprise aussi compliquée techniquement que gourmande financièrement, rien n'est plus aisé sur les plans pratique et financier que de prendre modèle sur la nature et de réserver des territoires au coeur des forêts pour servir de banques à ciel ouvert au patrimoine génétique national. Il s'agit en fait d'enclencher de manière étudiée un processus d'ensauvagement des espèces domestiques, à l'inverse du processus de domestication qui, en visant à sélectionner le meilleur, court à éroder le potentiel génétique.

Le bon voisinage: forêt-agriculture-élevage
Il peut paraître curieux, mais l'agriculture et l'élevage sont considérés comme les activités humaines qui menacent le plus l'existence des forêts.
En effet, selon la déclaration de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques qui s'est tenue du 1?? au 13 novembre 2021, au Royaume-Uni (COP26), près de 90% des causes de la déforestation dans le monde durant la période 2000-2018 étaient liées à l'expansion agricole et au pâturage. Par ailleurs, cette même organisation considère que l'arrêt de la déforestation n'est pas incompatible avec l'augmentation de la productivité agroalimentaire pour répondre aux besoins d'une population croissante.
Aussi, et pour adapter les principes de l'agroforesterie aux différents contextes qui se présentent, notamment en milieu forestier, il serait intéressant d'adopter des combinaisons culturales plus performantes, à l'exemple des associations symbiotiques réunissant arbres-comme les chênes- et champignons - comme les truffes-, qui ont l'avantage d'atteindre une efficience dépassant de loin celle obtenue par le recours aux très nocifs engrais chimiques.
À cet égard, en se ressourçant des inépuisables options qu'offrent les écosystèmes forestiers, l'agriculture et l'élevage pourraient connaître, - aussi bien en terme de productivité qu'en terme de qualité -, un essor tout simplement révolutionnaire.

La face cachée de l'iceberg
Eau arrivant pure au robinet, température de l'atmosphères régulée, catastrophes naturelles atténuées, matières premières aussi diverses qu'abondamment fournies, bien être gratuitement procuré..., on n'aura jamais assez de souffle pour énumérer la quantité incommensurable des biens et services écosystémiques fournis par les milieux naturels forestiers qui abritent la plupart de la biodiversité terrestre, selon le rapport 2020 de la FAO sur l'évaluation des ressources forestières mondiales. S'il est aisé d'estimer la valeur marchande des services écosystémiques dits d'approvisionnement, - ceux relatifs aux produits matériels comme les matières premières, l'eau, les aliments... -, il n'en est guère de même pour celle des services de régulation, qui ont trait à la régulation des phénomènes comme le climat, les cycles des matières, les cycles de la vie des agents pathogènes modérant l'occurrence et l'ampleur des maladies; ou celle des services dits culturels qui se rapportent à la procuration du bien-être, à l'esthétique, aux valeurs spirituelles ou éducatives.
Pour un pays, les services écosystémiques non appropriables, ne peuvent monétairement être évalués que comme une personne pourrait évaluer les économies qu'elle ferait en évitant de tomber malade suite à l'adoption d'une bonne hygiène de vie.
C'est à cette acception que la prise en compte de la dimension environnementale dans la conception de la politique de développement national revêt toute l'importance qui lui sied.

La régénération naturelle assistée
La faculté qu'à un territoire frappé de déforestation à se restituer, de son vrai nom régénération naturelle spontanée, est un processus assez lent, a fortiori lorsque les conditions du milieu ne vont pas à son gré. Chose qui pousse l'homme, partisan du «fast doing», à déployer les gros moyens pour des actions de reboisement qui, en plus d'être onéreuses, s'avèrent souvent inadéquates, quand elles ne sont pas tout simplement vaines, sous réserve de certains cas particuliers. Cependant, la régénération naturelle assistée (RNA), celle où l'ingénierie intervient, parfois occasionnellement et uniquement en cas de contraintes, peut réduire significativement délais et coûts, en plus de faire bon ménage avec les lois de la nature. Selon le Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (Cilss),au Niger, la (RNA) a permis de boiser près de 5 millions d'hectares dans un contexte d'agroforesterie en l'espace de 20 ans, soit une moyenne de 250.000 ha/an. Les coûts d'investissement et d'entretien du capital arbre, selon la même source, varie entre 3500 et 11000 F CFA/ha, soit la modique somme de 1000 à 3000 dinars algériens à l'hectare, contre plus de 50 fois ce montant pour les coûts moyens des reboisements en Algérie.

Régénérer c'est bien, préserver c'est mieux
Le développement du Patrimoine forestier national et l'extension de son domaine représentent l'une des principales missions qui incombent à l'administration forestière, au même titre que la protection de ses richesses et de leur habitat naturel. Les maladies, les coupes illicites, l'occupation et l'exploitation informelles des espaces forestiers représentent certes, des menaces sur la forêt que l'administration forestière prend très au sérieux, mais celle la plus redoutable et la plus aveuglément destructrice n'est autre que le feu.
Tous les efforts consentis, toutes les fortunes dépensées, tous les édifices durant des lustres bâtis peuvent être d'un revers de flamme effacés.
Quand, allié au vent, le feu déclare et entame la guerre, face à son potentiel de destruction massive, il n'y a pas lieu de lésiner sur les dépenses faites pour le combattre, tant la question tient de l'existence.
Cependant, et en se ressourçant des moyens défensifs de la nature, - voilà un exemple pratique des services écosystémiques culturels bon marché - il est possible de renforcer le pouvoir auto-protecteur des forêts contre le feu. Il s'agit en fait de brouiller la piste au feu par le truchement de combinaisons savantes mêlant différentes espèces forestières réputées coupe-feu, qui ont la capacité, sinon de stopper net le feu, au moins d'en décélérer la propagation, à l'instar du projet européen «Cypfire» à base de cyprès méditerranéen lancé en 2014 et impliquant neuf pays méditerranéens.
Décider pour les autres ne donne pas droit à l'erreur.La nature ne cesse de livrer ses secrets salvateurs à une humanité au bord du déluge, et l'humanité, vantant ses prouesses technologiques, ne cesse de lui faire la sourde oreille, s'enfonçant un pas de plus dans l'abîme. Le jour où les sociétés humaines observent l'essentiel des lois auxquelles obéit par instinct l'ensemble du monde vivant, l'humanité aura alors franchi d'un pied ferme l'infaillible droit chemin vers la très convoitée civilisation universelle. Il est de lourde responsabilité de décider de l'avenir des Algériens de demain qui sont soit trop jeunes, soit pas encore nés pour le faire eux-mêmes; et pour avoir l'assurance de viser juste, autant prendre modèle sur un système qui fonctionne à la perfection depuis la création: la nature.

*Expert forestier, Conservation des forêts de Aïn Defla.
Email: [email protected]

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