Le crépuscule du monde occidental
Le barycentre du monde est en Asie
«Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur, surgissent les monstres.» Antonio Gramsci.
Plus que jamais, la phrase de Gramsci devient d'une brûlante actualité. Voilà une civilisation prise d'hubris et qui pensait durer 1000 ans, oubliant que les peuples se souviennent de leurs tyrans et de ceux qui ont compati à leur misère. Ainsi, quand l'Occidental donne des leçons de démocratie, il y a bien longtemps que les peuples du Sud savent à quoi s'en tenir en face d'un «Occident sûr de lui et dominateur». L'aventure coloniale a commencé avec le mythe des races supérieures et leur devoir de civiliser les peuples faibles, avec la terminologie évolutive: Tiers Monde, Quart Monde, PVD, Rest. (Ceux d'en bas!) par comparaison à West (le monde des puissants), enfin Sud Global. La colonisation, fardeau pour l'homme blanc «The White Man, Burden», est assumée par le colonisateur européen, déçu par les peuples colonisés sauvages et ingrats face à l'apport positif de la colonisation. Après cinq siècles d'oppression, le barycentre du monde a définitivement basculé vers l'Asie, et les combats crépusculaires de l'Occident ne font que retarder l'inévitable mutation vers un monde multipolaire. Depuis quelques années, selon la source d'information, on apprend soit que la Chine dépasse les États-Unis en termes économiques, soit que les États-Unis sont toujours en tête. Aujourd'hui déjà, le Produit intérieur brut des Brics dépasse celui du G7, et les prévisions pour 2024-2029 indiquent une croissance économique des Brics due, notamment, à la Chine, de 44% face aux 21% du G7. Comme l'écrit Danielle Bleitrach: «La dernière enquête de la Banque mondiale sur le PIB en parité de pouvoir d'achat montre que la Chine progresse légèrement par rapport aux Etats-Unis. La thèse de cet article est que les statistiques de la Banque mondiale sous-estiment le développement chinois, en négligeant en particulier la valeur ajoutée des services. Mais le malicieux économiste n'attribue pas cette ‘‘erreur'' à la Banque mondiale mais à la Chine, qui cache la réalité de ses performances tandis que les États-Unis continuent à gonfler les leurs pour mieux masquer ce qui est de fait consacré au militaire.» (1)
«En mai, la Banque mondiale a conclu l'enquête sur les prix qui déterminent ‘‘officiellement'' le PIB en parité de pouvoir d'achat. Pour les spécialistes traquant les chiffres, l'avance de la Chine sur les États-Unis a augmenté de 5,6%, l'Inde s'est rapprochée de la Chine, le Japon a conservé son classement tout en reculant, la Russie a devancé l'Allemagne, la France a devancé le Royaume-Uni, l'Indonésie a chuté de deux places et le Brésil a gagné une place. Alors que les fans de la Russie peuvent se réjouir au vu d'une augmentation de 13% du PIB PPA et que les Britanniques sortent du top 10 (..) Le PIB de la Chine en PPA n'est supérieur que de 25% à celui des États-Unis. L'année dernière, la Chine a produit deux fois plus d'électricité que les États-Unis, 12,6 fois plus d'acier et 22 fois plus de ciment. Les chantiers navals chinois représentaient plus de 50% de la production mondiale, alors que la production américaine était négligeable. Les consommateurs chinois ont acheté 434 millions de smartphones, soit trois fois plus que les 144 millions vendus aux États-Unis. La Chine consomme deux fois plus de viande et huit fois plus de fruits de mer que les États-Unis. Les Chinois ont dépensé deux fois plus en produits de luxe que les acheteurs américains.» (1)
«En 2023, les voyageurs chinois ont effectué 620 millions de vols, soit 25% de moins que les 819 millions de vols pris par les Américains, mais les voyageurs chinois ont également effectué 3 milliards de voyages en train à grande vitesse (et 685 millions en train traditionnel), soit nettement plus que les 28 millions de voyages Amtrak. (...) L'enquête ICP menée en 2021 ne rend pas compte, non plus, des guerres de prix et de services qui ont éclaté dans tous les secteurs et tous les produits - un fléau pour les entreprises mais une aubaine pour les consommateurs. C'est particulièrement visible sur le marché automobile chinois, les équipementiers réduisant les prix jusqu'à l'os (Hyundai Sonata de 42000 dollars américains à 17000 dollars américains) ou offrant une technologie de pointe pour les cacahuètes (un véhicule électrique hybride rechargeable BYD Q de 2000 km d'autonomie pour 14000 dollars américains).
Le prix des panneaux solaires a chuté de 50% en 2023 et continue de baisser en 2024. CATL a annoncé son intention de réduire de moitié les prix des batteries lithium-ion d'ici la fin de 2024.» (1) «Les entreprises technologiques ont réduit les prix des grands modèles de langage (LLM) à pratiquement gratuits. La qualité de service en Chine, impossible à quantifier, est désormais supérieure à celle de l'Occident et probablement même du Japon. Si les ménages américains n'ont pas bénéficié d'une amélioration considérable des soins de santé, de l'éducation, du logement et de la garde d'enfants au cours des deux dernières décennies, cela peut expliquer en grande partie la colère populaire et l'effondrement de la politique américaine. De même, les analystes, qui déplorent que la Chine représente 30% de la production manufacturière mondiale mais seulement 13% de la consommation des ménages, sont loin de la vérité. La Chine représente 20 à 40% de la demande mondiale pour, à peu près, tous les produits de consommation, mais une grande partie des services qu'elle consomme ont été exclus des comptes nationaux. L'auteur de cet article estimait que le PIB de la Chine devait être majoré de 25 à 40% pour être calculé sur la base de l'ANNU (...).» (1)
On comprend dans ces conditions le fait que la machine économique de l'Occident. En effet: «La Chine a été la cible de virulentes critiques de la part des dirigeants du G7 dans un projet de déclaration finale.» Tout en disant «aspirer à des relations constructives et stables avec la Chine» dont ils reconnaissent «l'importance dans le commerce mondial», les dirigeants du G7 ont exprimé leur «préoccupation face aux politiques et pratiques hors marché» qui entraînent des «conséquences au niveau mondial, des distorsions de marché et une surcapacité néfaste dans un nombre croissant de secteurs». Le G7 a aussi exhorté Pékin à «s'abstenir de (...) mesures de contrôle des exportations, en particulier sur les minerais critiques, qui pourraient générer des perturbations significatives de la chaîne d'approvisionnement mondiale», alors que le pays impose des restrictions sur les exportations de minerais cruciaux pour des secteurs comme les véhicules électriques et les télécoms». (2)
Le G7 a, en outre, évoqué dans son projet de déclaration l'aide chinoise à l'effort de guerre russe, la situation militaire et diplomatique dans la zone «indo-pacifique» avec, en point de mire, les contentieux territoriaux entre Pékin et ses voisins, dont Taïwan, et la sécurité des voies maritimes en mer de Chine méridionale. «Nous appelons la Chine à cesser de transférer (...) des composants d'armes et des équipements qui alimentent le secteur de la défense russe», indique la déclaration. Pékin a vivement réagi, le 17 juin, à la déclaration du G7 qui s'en prend à la Chine: «La déclaration du Sommet du G7 a une fois de plus manipulé les questions liées à la Chine, a calomnié et attaqué la Chine, a répété des clichés qui n'ont aucune base factuelle, aucune base juridique et aucune justification morale, et qui sont pleins d'arrogance, de préjugés et de mensonges.» (2)
Selon le Global Times, «les représentants des constructeurs automobiles chinois ont demandé à Pékin d'augmenter les droits de douane sur les importations de voitures européennes. En 2023, la Chine a produit 30,2 millions de véhicules, soit près de trois fois plus que les 10,6 millions de véhicules fabriqués aux États-Unis. Du côté de la demande, 26 millions de véhicules ont été vendus en Chine l'année dernière, soit 68% de plus que les 15,5 millions vendus aux États-Unis. La guerre tarifaire entre l'Europe et la Chine a commencé. Les droits de douane sur les importations de voitures électriques chinoises en Europe débuteront le 2 novembre 2024, avec effet rétroactif au 4 juillet. Un centre de recherche automobile chinois a suggéré d'augmenter les droits de douane sur les voitures européennes à moteur à combustion interne à 25%. Outre les voitures, la Chine aurait également jeté son dévolu sur la viande de porc et les produits laitiers en provenance d'Europe. Une ‘''guerre'' qui pourrait donc s'ouvrir sur plusieurs fronts, impliquant différentes entreprises». (3)
Manlio Dinucci, journaliste géographe, nous explique comment les pays du G7 s'appliquent la méthode Coué, en ressassant un logiciel du siècle dernier sur l'omnipotence de l'Empire dans un siècle du déclin naturel mais non assumé par les États-Unis et leurs vassaux: «Le Sommet du G7 proclame comme sa priorité ´´la défense du système international fondé sur la force du droit´´, déclarant que ´´la guerre d'agression russe conter l'Ukraine en a affecté les principes et a déclenché une croissante instabilité, visible dans les divers foyers de crise´´. Le G7 essaye de conserver sa domination avec des outils guerriers. Il s'agit en réalité d'un sommet de guerre. Les États-Unis ont signé un pacte militaire décennal avec l'Ukraine, à qui est concédé par le G7 un prêt de 50 milliards de dollars pour l'aider à acheter des armes, prêt qui sera remboursé en utilisant les intérêts acquis sur les 300 milliards de dollars de biens russes gelés, la plupart dans des banques européennes.
Les ministres de la Défense des six pays du G7 appartenant à l'OTAN ont, en même temps, décidé de fournir à l'Ukraine de nouvelles énormes aides militaires et de destiner 43 milliards de dollars par an pour continuer à alimenter la guerre au coeur de l'Europe. Dans le viseur du G7, il n'y a pas seulement la Russie mais toute l'organisation des Brics.» (4)
Les analystes occidentaux de la défense sont sur la bonne voie lorsqu'ils proposent des estimations extrêmement gonflées pour les dépenses de défense de la Chine.
Mais ce ne sont pas les dépenses de défense de la Chine qui sont sous-estimées; ce sont les dépenses de défense occidentales, en particulier celles du Pentagone, qui doivent être réévaluées. D'une manière ou d'une autre, les 1000 milliards de dollars par an que les États-Unis consacrent à la défense (y compris les programmes du renseignement et du ministère de l'Énergie) ont entraîné une réduction de la Marine américaine, tandis que le budget de 236 milliards de dollars de la Chine a permis de construire la plus grande marine du monde en nombre de navires.» (1)
L'Europe, sur injonction de l'Empire, met des droits de douane qui, à terme, ruinent ses relations avec la Chine. Florentin Collomp explique le dilemme: «Après les droits de douane de l'UE sur les voitures électriques chinoises, les Européens espèrent éviter une escalade vers une guerre commerciale à laquelle les poussent les Américains. Serait-ce le début d'un retour en arrière des entreprises sur la Chine?
Carlos Tavares, le patron de Stellantis, qui a conclu, le mois dernier, un partenariat avec le constructeur chinois Leapmotors, a annoncé qu'il produirait certains de ses véhicules dans ses usines européennes. Les nouveaux droits de douane, jusqu'à 48%, sur plusieurs concurrents chinois, dégainés par la Commission européenne ‘'corrigent un manque de compétitivité'' de l'Union européenne.» (5)
Conclusion
L'Occident a misé sur la mésentente à terme entre la Chine et la Russie. Il n'a pas pris conscience que le barycentre du monde a basculé du côté de l'Asie.
Isabelle Lasserre écrit: «La sous-estimation par l'Europe et les États-Unis de la force et de l'audace des ambitions de Vladimir Poutine est une évidence pourquoi les dirigeants occidentaux ont longtemps considéré que la relation entre la Chine et la Russie était si fragile et si déséquilibrée qu'elle ne pourrait durer. La guerre en Ukraine a, au contraire, renforcé le partenariat entre Pékin et Moscou un lien qui forme l'un des coeurs de la géopolitique actuelle.
La Russie s'est tournée vers la Chine dès 2014, lorsque l'annexion de la Crimée et la déstabilisation du Donbass ont provoqué des tensions avec les Occidentaux.» (6)
L'Algérie est confrontée à des problèmes réels; elle est empêchée par l'Union européenne de développer sa production. Les pressions qu'elle subit, elle les gère du fait que sa dette est minime; elle n'est pas astreinte à passer sous les fourches caudines de l'ajustement structurel euphémisme du FMI pour décrire l'abandon du projet social (éducation, santé, qualité de vie). Elle est, à terme, vulnérable, même avec un bas de laine de 85 milliards de dollars. Nous ne pouvons continuer ainsi en ne comptant que sur la manne pétrolière qui ne nous incite pas suffisamment à la sobriété. De ce fait, l'un des chantiers prioritaires du président élu est de mettre en oeuvre une stratégie pour intégrer le train du Bric+ notamment en sollicitant l'aide des grands pays (Chine, Russie, Inde) de telle façon à pouvoir former 50000 ingénieurs/an (au lieu des 5000 actuels). C'est la seule façon de lutter technologiquement par la création de richesses hors hydrocarbures dans les domaines importants de la sidérurgie (fer et acier de Gara Djebilet), le transport, le domaine du rail pour prendre en charge la Transsaharienne électrique mais aussi l'énergie avec un Plan Marshall de 3000 MW/an solaire pour les dix prochaines années, en sachant que chaque fois que 1000 MW solaire sont produites, c'est comme si Sonelgaz produisait 1,5 milliard de mètres cubes de gaz.
A terme, l'hydrogène solaire remplacerait le gaz naturel!
1- Danielle Bleitrach Han Feizi https://reseauinternational.net/quelle-est-la-taille-reelle-de-leconomie-chinoise/ 20/6/2024.
2-httpsm//www.lefigaro.fr/ flash-actu/la-declaration-finale-du-g7-est-pleine-d-arrogance-de-prejuges-et-de-mensonges-declare-la-chine-20240617
3- Massimo Grassi https://fr.motor1.com/news/723905/chine-reaction-droit-douane-europe/ 20/6/2024. Traduit par Thibaud Comparot.
4- Manlio Dinucci https://www.mondialisation.ca/g7-le-declin-de-lempire-americain-doccident/5689815? 16/6/2024.
5- Florentin Collomp https://www.lefigaro.fr/conjoncture/l-europe-peine-a-resister-aux-injonctions-americaines-face-a-la-chine-20240614 14/6/2024.
6- Isabelle Lasserre. Entre Moscou et Pékin, une «amitié sans limites» pour déconstruire l'ordre mondial (lefigaro.fr). 3/5/2024.
*Professeur à l'Ecole polytechnique Alger