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Débat autour de la commission mixte franco-algérienne

«La recherche en histoire doit s’affranchir du politique»

Les militaires de la Batterie armes spéciales (BAS) du 411e régiment d'artillerie antiaérienne, qui ont utilisé les premiers les armes chimiques, n'ont jamais été ciblés par une collecte systématique, tout comme les membres des sections de grottes du génie et de la Marine. Leurs apports seraient fondamentaux pour l'écriture de cette histoire, la recherche et l'identification des portés disparus en Algérie.

À la suite de l'entretien avec le professeur Amar Mohand-Amer, historien et directeur de la Division socio-anthropologie de l'histoire et de la mémoire (HistMém) au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) d'Oran, je souhaitais saluer et appuyer ces propos très pertinents en poursuivant la réflexion sur ce que pourrait être la future commission mixte franco-algérienne. Tout d'abord, elle devrait être une plate-forme facilitant la recherche pour tous (et non pas restreinte à un groupe limité de douze chercheurs). Elle devrait «stimuler la recherche» plutôt que de «l'encadrer», permettant ensuite d'entrer dans une logique de «recherche partagée» comme préalable à l'écriture d'une histoire commune.
Faciliter la recherche pour tous
La volonté politique de créer cette commission mixte est très forte de la part des deux chefs d'État. La déclaration du 27 août 2022 laisse peu de doutes à ce sujet, elle sera mise en place malgré toutes les craintes (et les espoirs pour certains) que cette initiative forte peut susciter. J'ai déjà indiqué mes réserves dans ces colonnes. Comme l'indique fort justement le professeur Amar Mohand-Amer, l'intérêt de cette initiative repose sur l'impératif d'une dérogation générale sur l'ouverture de toutes les archives en France et en Algérie de la période 1830-1962 et pas seulement pour les chercheurs de la commission. Nous nous rejoignons entièrement sur ce point. Il faut que les deux gouvernements cessent de politiser en toute occasion la question mémorielle. Il faut du temps et de la sérénité. Il faut donner les moyens de travailler sur la recherche de la vérité, aux chercheurs et aux sociétés civiles de tous horizons. Il faut faire confiance aux sociétés civiles des deux pays, qui ont soif de comprendre et de démêler les fils de cette histoire sanglante et tragique. La recherche de la vérité - en stimulant les collaborations internationales entre chercheurs, en ouvrant toutes les archives, en finançant des projets de recherche réalistes, en donnant des visas et des autorisations d'enquête de terrain - est le chemin le plus sûr pour la réconciliation.
En France, il faut rompre avec le régime dérogatoire d'accès aux archives. Il divise la communauté scientifique des historiens, à l'image de la réforme des universités et son financement par projet qui exacerbe les concurrences plutôt que les collaborations entre chercheurs. Pendant trop longtemps ce régime dérogatoire a permis à l'État ou à son administration de «choisir» les chercheurs plutôt que «d'ouvrir» les fonds à tous, rendant impossible ensuite les débats contradictoires.
Contrôle administratif
Il faut imaginer un autre régime de dévoilement des archives plus égalitaire et sans doute progressif. Il faut aussi donner la possibilité à la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) - organisme d'arbitrage lors d'un refus de transmission d'un document public- de fournir un avis sur des documents classés secret défense ou dépendant de l'article L2013-2 sur les archives «incommunicables». En l'absence d'habilitation, cet organisme suit automatiquement les avis du ministère des Armées, empêchant tout contrôle administratif sur de potentielles pratiques abusives.
Je souscris de nouveau entièrement aux propos du professeur Mohand-Amer lorsqu'il souligne que «plus la recherche en histoire s'affranchit du politique, de l'idéologique et des lobbies de la mémoire, mieux elle se [porte]. Cela ne veut pas dire, que les politiques en soient exclus. Seulement, leur rôle devra être dans la facilitation (mobilité des chercheurs), la promotion de la recherche (financement des projets sérieux et viables), la reconnaissance (réhabilitation du statut de chercheur)». L'intérêt possible de cette commission mixte serait plus dans sa capacité à ouvrir les archives pour tous, à accompagner et faciliter les projets de recherche historique des deux côtés de la Méditerranée, que dans l'écriture d'une histoire officielle acceptable pour les intérêts politiques des deux pays. Plus la recherche sera foisonnante et les chercheurs seront nombreux, plus les collaborations vont continuer à s'étendre et se développer.
«Stimuler la recherche» plutôt que de «l'encadrer»
Si l'on veut faciliter la recherche, il faut ouvrir immédiatement tous les fonds d'archives, y compris ceux dissimulés en France sous l'article L 2013-2 du Code du patrimoine de 2008 (archives incommunicables) et ceux de l'article 25 de la loi de prévention des actes terroristes du 30 juillet 2021.
Ce que défendait le rapport Stora
Il faut créer des chaires universitaires, donner des bourses et des visas, permettre la mobilité et promouvoir les échanges universitaires entre les deux pays avec une ouverture totale des archives. «Stimuler» la recherche sur le long terme plutôt «qu'encadrer» et finalement «réduire l'accès aux fonds» à une commission fut elle mixte. Le rapport du professeur Benjamin Stora défend aussi cela. Il faut s'en souvenir. Il préconisait l'écriture d'une histoire partagée entre la France et l'Algérie, pas son encadrement dans une commission sous contrôle des deux États. Dans le journal La Croix du 12 septembre 2022, le professeur Stora souligne l'importance de la collecte des archives privées pour compléter les non-dits des archives publiques. Ce travail est, en effet, indispensable alors que les derniers témoins commencent à disparaître sous les assauts des diverses pandémies. Il est impératif de lancer immédiatement des collectes ciblées vers les familles des hautes personnalités militaires de l'époque (dont certains conservaient une copie des archives publiques militaires), des descendants des hommes politiques, des associations d'anciens combattants etc. pour ne pas que se dispersent ces fonds précieux. Beaucoup de collectes ont déjà été faites, en particulier par l'Office national des anciens combattants (Onac) mais il y a encore beaucoup à faire. Par exemple, les militaires de la Batterie armes spéciales (BAS) du 411e régiment d'artillerie antiaérienne, qui ont utilisé les premiers les armes chimiques, n'ont jamais été ciblés par une collecte systématique, tout comme les membres des sections de grottes du génie et de la Marine. Leurs apports seraient fondamentaux pour l'écriture de cette histoire, la recherche et l'identification des portés disparus en Algérie. Des moyens pourraient être prévus pour cela et un appel lancé. Faire oeuvre de vérité, ce n'est pas attendre que les derniers témoins fondamentaux disparaissent.
Plus de moyens aux archivistes
Il ne suffit pas de décréter l'ouverture des archives pour que celles-ci puissent être exploitables par les historiens. Les documents doivent être triés, classés, inventoriés, consignés dans des répertoires numériques détaillés, indexés, sauvegardés afin d'être communiqués et exploités par la recherche. Il faut donner les moyens aux archivistes d'entreprendre cet indispensable et lourd travail. La commission mixte doit consacrer des moyens à ce travail archivistique en Algérie, tout comme à la traduction des divers documents. En France, il faut accélérer la numérisation des fonds pour permettre la consultation à distance. C'est à ce prix que les recherches pourront réellement s'épanouir et que les sources seront croisées efficacement. Le travail est titanesque mais réellement passionnant à imaginer si les moyens financiers suivent la volonté politique. Il ne faut pas non plus négliger de prévoir des formations partagées pour les historiens français et algériens, afin qu'ils puissent exploiter le maquis archivistique des deux côtés de la Méditerranée. Enfin, il faut promouvoir des «projets de recherches mixtes», comme base de l'écriture d'une histoire partagée.


* Docteur en histoire de l’université d’Aix-Marseille et chercheur associé au laboratoire CHERPA (Sciences Po Aix)
et au Groupe de Recherche en Histoire (GRHis) de l’université de Rouen.
Christophe Lafaye*

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