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Tahar Khalfoune, juriste affilié à l’université de Lyon, à L’Expression

«La France n’a jamais reconnu le GPRA»

Le processus de négociation qui a abouti à la signature des accords d'Évian fut loin d'être un long fleuve tranquille, nous dit Tahar Khalfoune. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il nous fait voyager dans les coulisses politiques et juridiques d'une négociation qui a fait date. En Algérie comme en France.

L'Expression: Que retenez-vous des accords d'Évian, signés entre l'Algérie et la France le 18 mars 1962?
Tahar Khalfoune: D'abord et avant tout la paix. Le cessez-le-feu après près de huit années de guerre sanglante dont le bilan macabre s'est soldé en centaines de milliers de morts, des milliers de blessés, de disparus, de veuves et d'orphelins...et des blessures encore ouvertes qui risquent de s'envenimer à tout moment.
À l'annonce de la fin de la guerre, ce fut la liesse dans les villes et les campagnes d'Algérie, y compris dans l'immigration en France où les Algériens étaient sortis massivement dans les rues fêter la fin de la guerre. Malgré la multiplication des attentats et la terreur de l'Organisation Armée Secrète (OAS) au cours de la période de transition et ses multiples entreprises de sabotage de l'indépendance pour maintenir l'Algérie sous domination française, force est de constater que les accords d'Évian ont sauvé l'essentiel, l'indépendance du pays, et ont instauré une paix durable entre les deux pays et ouvert une ère nouvelle de coopération économique, technique et culturelle bénéfique aux deux pays au cours, notamment de la décennie 1960 et le début des années 1970.
Il suffit de rappeler que l'Algérie a signé avec la France plus d'accords commerciaux, de coopération... que toutes les anciennes colonies, soit plus de 70 accords de 1962 à 1970.
Ensuite, l'acquis le plus précieux est bien sûr l'indépendance du pays assortie de l'intégrité du territoire obtenue grâce à la vigilance, le talent et la ténacité des négociateurs algériens, sous la conduite de Krim Belkacem, qui n'ont à aucun moment cédé sur la souveraineté algérienne sur le Sahara, inséparable de la région nord du pays. Car l'enjeu majeur de cette négociation et des précédentes rencontres secrètes entre les représentants du GPRA et du gouvernement français portait, notamment sur le sort du Sahara sur lequel la France prétendait disposer d'un droit historique et qu'elle entendait garder sous sa souveraineté en le séparant du reste du territoire algérien pour des raisons évidentes de découverte en 1956 de gisements pétroliers et d'installation de six bases d'essais nucléaires, chimiques, bactériologiques et une base spatiale de lancement de fusées dans certaines régions du Sud.

Synonymes en 1962 de soulagement pour des millions de Français impatients de voir la fin de cette guerre, et d'aboutissement de la lutte pour l'indépendance pour des millions d'Algériens, est-il vrai que les accords d'Évian ne furent pas respectés à la lettre, comme le prétendent les historiens et acteurs politiques des deux rives?
En effet, le processus de négociation qui a abouti à la signature des accords d'Évian fut loin d'être un long fleuve tranquille; il a suscité de graves conflits et désaccords au sein de chaque partie. Les ultras de l'OAS reprochèrent au général de Gaulle et son gouvernement d'avoir capitulé et abandonné l'Algérie aux Algériens. Ils organisèrent des attentats visant aussi bien les forces de l'ordre que la population algérienne.
À la réunion du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) à Tripoli (11 -18 février 1962), le GPRA présenta un rapport sur l'accord préliminaire des rencontres des Rousses (11-19 février 1962), les ministres du GPRA en prison (Ait Ahmed, Ben Bella, Boudiaf, Bitat, Khider), ainsi que les membres du CNRA l'approuvèrent quasiment à l'unanimité (45 pour, 4 contre) et donnèrent leur accord pour la poursuite des négociations, à l'exception des quatre membres qui votèrent contre et continuèrent à les dénoncer après qu'ils eurent été signés le 18 mars 1962.
Précisons que le CNRA, seule instance habilitée à se prononcer sur les questions de guerre et de paix avec la France, a exigé un quorum des 4/5 de ses membres pour engager une négociation sur tout accord de paix, soit une majorité qualifiée vu l'importance politique d'une telle question. Le quorum fut ainsi largement atteint, et les ultimes négociations pouvaient donc être engagées à Évian II du 7 au 18 mars 1962.

Quels sont les mécanismes juridiques sur lesquels reposent les accords d'Évian et quels sont les engagements des deux parties? Sous quelles formes s'étaient-elles exprimées?
La question est délicate. Elle soulève au moins un problème de formalisme juridique. Notons d'abord qu'en droit international «le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» est consacré par la Charte des Nations unies (art. 1-2) adoptée aux États-Unis (San Francisco) en juin 1945. Puis l'Assemblée générale de l'ONU lors de sa 15e session du 20 décembre 1960, a adopté une résolution 1514 (XV) sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples colonisés. Rappelons que l'Émir Khaled fut le premier nationaliste à évoquer, dans sa lettre adressée le 23 mai 1919 à Thomas Woodrow Wilson, président des États-Unis d'Amérique, l'injustice du système colonial et à lui rappeler son message (Wilson) à la Russie de mai 1917 «aucun peuple ne peut être contraint de vivre sous une souveraineté qu'il répudie» dans l'espoir que le président Wilson intervienne en faveur des Algériens et que son message, devenu plus tard un principe onusien, profite aux Algériens.
En France, le référendum sur l'autodétermination de l'Algérie, intervenu le 8 janvier 1961, a prévu que le destin politique de l'Algérie sera décidé par les populations algériennes. Après la signature de ces accords le 18 mars 1962 par Krim Belkacem et Louis Joxe, représentant respectivement le GPRA et le gouvernement français, ont été publiés au Journal officiel de la République française le 20 mars 1962, puis ratifiés d'abord par les Français par le référendum du 8 avril 1962 (90,7%), les Français d'Algérie n'étant pas associés, ensuite par les Algériens grâce au référendum du 1er juillet (99,72?%) de la même année.
L'indépendance fut reconnue le 3 juillet 1962 par une déclaration du président de la République, Charles de Gaulle. Le GPRA, lui, a choisi la date symbolique du 5 juillet - date anniversaire de la prise d'Alger par les troupes du maréchal de Bourmont en 1830 - pour sa proclamation.
Précisons que la France n'a pas reconnu le GPRA; Jean de Broglie, secrétaire d'État chargé des affaires algériennes, a déclaré au Sénat le 21 mars 1962 que ces accords ne sont pas le fait de deux gouvernements et que la France n'a pas reconnu le GPRA et l'accord n'est pas un engagement international (J.O, Sénat, 21 mars 1962, p.112). Le secrétaire d'État a tenu à préciser que la France a signé un cessez-le-feu avec le FLN.

Comment expliquer politiquement et juridiquement cette non-reconnaissance du GPRA par la France?
Il n'était pas possible pour la France de reconnaître l'existence de deux gouvernements au sein d'un même État. Par conséquent, il est, politiquement, plus correct pour le gouvernement français d'admettre que l'accord de paix est signé avec une organisation politique indépendantiste, le FLN. L'historien Charles-Robert Ageron, avisait que les accords d'Évian sont juridiquement un accord signé par les deux parties, un cessez-le-feu qui engageait le gouvernement français et le FLN.
Quant aux déclarations dites gouvernementales accompagnant l'accord, «elles n'étaient pas signées bien que délibérées d'un commun accord», elles n'engageaient pas le GPRA puisque non reconnu par le gouvernement français.
Soulignons aussi que, contrairement au droit français, ces accords n'ont pas fait l'objet d'une publication au Journal officiel de la République algérienne. (L'accord de cessez-le-feu ne fut publié que par le journal El Moudjahid du 19 mars 1962). Même la loi du 31 décembre 1962 qui pourtant reconduit la législation antérieure à l'indépendance est adoptée sous bénéfice d'inventaire puisque les dispositions contraires à la souveraineté nationale et celles qui sont d'inspiration colonialiste ou discriminatoire, ou encore celles qui sont de nature à porter atteinte à l'exercice normal des libertés démocratiques en sont exclues.

Alors la question qui se pose d'elle-même est de savoir par quel procédé ces accords étaient-ils entrés en vigueur?
Si pour la France la question semble résolue par leur publication au Journal officiel du 20 mars 1962 et leur ratification par le peuple le 8 avril 1962, en ce qui concerne l'Algérie le GPRA s'est engagé dans la déclaration générale sous le titre V «Des conséquences de l'autodétermination» que dès l'annonce des résultats officiels du référendum sur l'autodétermination «les règles énoncées par la présente déclaration générale et les déclarations jointes entreront en même temps en vigueur».
Etant donné que la France n'a pas reconnu le GPRA, dans la déclaration générale des accords d'Évian publiée par Le Monde du 20 mars, le sigle GPRA est remplacé par celui du FLN. La ratification populaire de l'autodétermination du 1er juillet 1962 est donc le procédé d'entrée en vigueur des dispositions de ces accords. Ainsi le résultat de ce référendum, en vertu des dispositions de ce même accord, engage en principe l'État algérien.
En dernière analyse, l'on peut dire que, malgré leurs insuffisances, les dénonciations et les suspicions dont ils continuent de faire l'objet, ces accords revêtent le caractère d'un traité international, ne serait-ce que parce qu'ils ont produit des effets dans les deux pays quand bien même ils les auraient modifiés de fait, partiellement appliqués et enfreint sur certains aspects.
Ils n'en ont appliqué que ce qui leur convenait en fonction de leurs intérêts. Il s'agit en quelque sorte d'un traité à la carte, c'est-à-dire que l'on en a choisi de part et d'autre ce que chacun a voulu bien appliquer et ce qu'il a entendu rejeter.

En quoi se sont confrontés les signataires des accords d'Évian?
Si les nombreuses rencontres secrètes (plus d'une dizaine) n'ont pas abouti cela tient à plusieurs points de désaccord entre les émissaires des deux gouvernements. Au début, l'échec des négociations tenait au gouvernement français qui n'entendait concéder au FLN qu'une large autonomie de gestion de l'Algérie. À Évian I (20 mai-13 juin 1961), la rencontre entre les deux délégations dirigées par Krim Belkacem et Louis Joxe, a achoppé faute d'accord sur le statut du Sahara et de la minorité de Français d'Algérie. Pour le premier, le gouvernement de Michel Debré a voulu le conserver sous souveraineté française en le dissociant du nord du pays, quant à la seconde il a souhaité la doter d'un statut d'exception par rapport aux autres populations d'Algérie. Entre autres sujets de discorde, l'on peut citer notamment les droits acquis de l'État français en matière économique, les droits patrimoniaux des citoyens français ainsi que le statut officiel de la langue française.
Les accords ont prévu en ce qui concerne les droits patrimoniaux qu'ils seront respectés et «Aucune mesure de dépossession ne sera prise à leur encontre sans l'octroi d'une indemnité équitable préalablement fixée». Mais cette disposition ne sera pas respectée.
S'agissant de la langue française et la religion chrétienne, la déclaration générale a accordé aux Français d'Algérie des garanties appropriées à leurs particularismes culturels, linguistiques et religieux. Aussi ont-ils le droit d'utiliser «la langue française au sein des assemblées et dans leurs rapports avec les pouvoirs publics».

En matière de recherche universitaire, du monde de l'édition, des médias, des colloques et débats...etc. quelle est la place réservée en France aux questions des mémoires et d'histoire commune entre l'Algérie et la France?
Les travaux en tous genres sont d'autant plus nombreux que je suis bien en peine d'établir ici un inventaire exhaustif des recherches, publications, colloques, séminaires, films... produits en France sur les questions d'histoire et de mémoire algéro-françaises. Notons deux faits majeurs en ce qui concerne l'histoire et la mémoire de la colonisation en France.
Le premier est que les historiens pionniers qui se sont intéressés à l'Algérie et à son histoire et lui ont consacré de nombreux et intéressants travaux, à l'instar de Charles-André Julien, Charles-Robert Ageron, André Nouschi, Pierre-Vidal Naquet, Gilbert Meynier... ont inauguré une histoire franco-algérienne épurée de l'idéologie coloniale, et ce sont bien les premiers historiens français à se démarquer de «l'école coloniale» de l'Empire. Qui plus est, cette approche nouvelle de la recherche en histoire de la colonisation est, aujourd'hui, adoptée par une majorité d'historiens français et algériens, elle est donc susceptible d'ouvrir la voie à une histoire partagée.
Le second s'attache à la société française qui a commencé à montrer davantage d'intérêt à la société algérienne depuis, notamment la décennie 1990. Les forums, les publications en tous genres, les thèses, les colloques, les séminaires, les conférences, les émissions de TV, les films documentaires... se multiplient.

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