L'Expression

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Le professeur Mohamed Lakhdar Maougal, à L'Expression

«Il faut créer une histoire de la décolonisation»

Mohamed Lakhdar Maougal, penseur, professeur émérite à l'école supérieure de journalisme et auteur de plusieurs ouvrages, considère que la réconciliation des mémoires ne se fera pas sans un «dialogue franc, libre, argumenté et documenté à hauteur des mêmes exigences de liberté et de démocratie». Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il soutient même que «cela relèvera sans doute d'une utopie dont, pour le moment, on se contentera de rêver». Maougal est également revenu sur le rapport Stora, les insoumis de l'armée française et le combat des romanciers des deux rives qui ont affronté ouvertement et sans détour la réalité coloniale et l'ont dénoncée sans retenue.

L'Expression: Le rapport Stora, suivi par la déclaration du président Macron de procéder à la levée du «secret défense» (une mesure qui, apparemment, selon les spécialistes est très ambiguë), quelle lecture en faites-vous?
Professeur Mohamed Lakhdar Maougal: Je me suis toujours abstenu d'intervenir dans les histoires étrangères à l'Algérie, même si j'ai toujours été passionné par l'Histoire. La question ainsi posée appelle donc une remarque cardinale, celle du «secret défense» que le président français Macron envisage de lever suite au rapport Stora (sic). Je suppose que cela a un lien direct avec la colonisation et surtout avec la guerre d'Algérie, dont le rapport qui vient d'être établi par la partie française ne sera pas accompagné par un même rapport de la partie algérienne. Là est le vrai problème. Nous risquons d'avoir un seul et unilatéral point de vue et sans confrontations possibles.

À qui cela profitera?
La France, avec les acquis des luttes démocratiques de ses intellectuels engagés, a fait sa mue culturelle et historique. C'est celle-là même qui a alimenté bien des éditeurs français et étrangers. Ainsi, beaucoup de publications de tous genres, voire même des documents médiatiques (films, reportages, témoignages etc...) ont pu voir le jour et donner une image séduisante de la si diversifiée culture française. Certaines de ces productions, - surtout livresques - ont été reproduites par des éditeurs algériens privés, Casbah et
autres. La caractéristique de toute cette production c'est qu'elle est libre de circulation et se soumet volontiers au débat critique. Et c'est le public qui en est le consommateur et l'évaluateur. Ainsi, le débat culturel et historique est libre.
Pour ce qui est de la partie qui concerne l'Algérie, notre pays, force est de constater et de reconnaître qu'il reste encore un bien long et pénible chemin à traverser parce que les productions médiatiques, surtout historiques, quant à elles, auront été et sont toujours, hélas, sous haute surveillance à Alger, voire une censure insidieuse sous couvert de monopole de la mémoire historique consignée depuis l'époque de Houari Boumediene et ses équipiers qui en avaient circonscrit la territorialité. Nos cinéastes et autres producteurs de films en savent long surtout qu'un ministère a décidé de prendre la relève inquisitoriale du grand critique incisif (Abdelaziz Bouteflika) qui s'était permis sans compétence et sans vergogne de moucher publiquement et sans retenue notre talentueux cinéaste Ahmed Rachedi, pour ne citer qu'un de ces scandaleux cas de censures ostentatoires parce que narcissiques et indécentes.
À cela s'ajoute le fait que le secteur médiatique, dont le cinéma, est en passe de devenir la panacée du régime qui vient de lui consacrer des «assisses de l'économie de la culture» (ahahahahah, la bonne blague, la séduction matérielle des consciences n'est pas près d'être rangée au placard des oubliettes). Certes, bien des artistes ne pensent qu'à être subventionnés soit, parce que cela est nécessaire pour eux, soit, parce qu'ils ont du mal à rompre avec la rente culturelle qui n'intéresse que le plan financier et cache mal le mercenariat. Car c'est surtout cette pratique qui permet de poser des muselières à discrétion. Et pour le cinéma sur la Guerre de Libération nationale avec la fabrique des mythologiques révolutionnaires, le chantage à la rente est secondée, par les pressions idéologico-politiques. En France, la censure n'aura frappé que rarement et n'aura pas raté la projection de
La bataille d'Alger

Parlez-nous des insoumis de l'armée française, des intellectuels français, écrivains français, des journalistes français, qui avaient été bannis par l'histoire officielle française et algérienne et qui, arme ou stylo à la main, ont défendu le FLN, pour l'indépendance de l'Algérie?
Merci d'avoir pensé à soulever ce véritable problème de mémoire, qui a la caractéristique singulière de montrer la similitude des comportements indignes, voire révoltants des systèmes de contrôle que les deux protagonistes de ce jour partagent sans vergogne.
Je focaliserai toute mon attention et mes intentions par mon propos sur des cas de ces déserteurs français (Maurienne, et autres) qui avaient rejoint l'ALN-FLN pendant la Guerre de Libération nationale et qui furent contenus et confinés, ici en Algérie, dans une opacité et sous un voile épais qui ne leur permettaient point de s'épanouir dans le pays pour lequel ils s'étaient engagés. Je veux parler de Daniel Boukman l'écrivain et poète, qui a suivi l'exemple de son concitoyen d'origine Frantz Fanon. Longtemps, Daniel Boukman a vécu en Algérie en participant activement aux émissions poétiques de feu Djamel Amrani avant que ne s'abatte sur l'Onrs la chape du contrôleur politique et culturel du FLN qui a été chargé d'étouffer l'expression poétique de 1990 jusqu'à la secousse de 1992 qui a condamné à l'exode bien des producteurs de talent comme Farid Mammeri et tant d'autres. L'Algérie a -t-elle dressé la liste de ces combattants de la liberté venus se battre avec nous pour notre libération? Combien sont-ils, Où sont-ils? Que sont-ils devenus?

Qu'en est-il de la fiction en relation avec la mémoire et le colonialisme français en Algérie dans le roman des deux rives (Algériens et Français)?
Le roman colonial a été florissant en Algérie et aura été surtout l'oeuvre de beaucoup de romanciers dont fort peu sont passés à la postérité en devenant célèbres (Camus, Grenier, Bertrand, Randau, Audisio,). Le roman colonial aura surtout chanté la beauté de la terre algérienne et surtout sa richesse matérielle aussi bien que spirituelle et quelquefois son folklore. Je ne crois pas que les romans des romanciers français venus en marge de la colonisation à l'instar de Maupassant, de Flaubert et autres voyageurs soient assimilables au roman colonial même s'il y a sans doute un penchant exotique dont il faut se garder de les en accabler. Il faudra attendre le déclenchement en crescendo de la Guerre de Libération nationale à partir de mai 1945 jusqu'à l'indépendance pour que les mémoires s'affrontent obstinément avec un réalisme encore peu révélé par les chercheurs.
En effet, le roman colonial a été obligé de se préfabriquer une mémoire cosmopolite irrationnelle et mythologique (la scolarité grecque, les ténèbres romaines et quelques gauloiseries françaises dont des galéjades méditerranéennes). Contrairement à cette construction factice et superficielle, le roman «indigène» ou autochtone marqué au fer rouge de la conquête coloniale violente et génocidaire n'a pas cherché ni loin ni longtemps pour reconvoquer la Voix des Ancêtres et la faire revivre.
Peu de romanciers algériens ont affronté ouvertement et sans détour la réalité coloniale et l'ont dénoncée sans retenue. On pourrait les compter sur les doigts d'une main: Jean Amrouche, Mouloud Mammeri et Kateb Yacine et certainement bien d'autres demeurés peu ou mal connus. Tous ces trois écrivains furent aussi des dramaturges et ont fait de l'écriture théâtrale une arme de guerre contre la violence coloniale et néocoloniale. Leur littérature chante la liberté sans détour.

Que préconisez-vous pour la réconciliation des mémoires?
Instaurer un dialogue franc, libre, argumenté et documenté à hauteur des mêmes exigences de liberté et de démocratie. Mais cela relèvera sans doute d'une utopie dont pour le moment on se contentera de rêver, car même les institutions académiques sont bien loin d'y parvenir. Que la communauté scientifique des véritables historiens des guerres de Libération nationale-et il en existe sur les deux rives de la Méditerranée - crée un chantier de la libération anticoloniale pour ne pas circonscrire le débat entre les antagonistes devenus des protagonistes. Cela nécessitera à coup sûr des chantiers intercontinentaux car il n'y a pas que l'Afrique et l'Europe qui sont en perspective, mais toutes les puissances coloniales de par le monde devraient l'être. Le système colonial a été et est encore mondial, la décolonisation aussi. Il va falloir sortir l'Histoire de l'ornière des particularismes pour accéder à des débats véritablement objectifs et scientifiques.
En ce sens, il faudrait créer une histoire universelle de la décolonisation comme il existe aujourd'hui, une histoire universelle de la colonisation qui aura été affublée du label
«Civilisation».

Comme l'écrivait Kateb Yacine : «Le français est notre butin de guerre.» Pourriez-vous nous décortiquer cette citation?
Cette expression katébienne est un mot historique lié à la colonisation. Aucun autre auteur ne l'avait affirmé avant lui et même longtemps après lui. Puis les circonstances de la décolonisation ont coloré cette aporie de champs sémantiques et enveloppé de référents idéologiques nouveaux qui continuent encore à ce jour à donner vie à la parole katébienne. En cette dimension, le verbe katébien n'est plus prométhéen comme il le fut dans le reste de ses textes littéraires d'autrefois et comme il le demeure encore de nos jours dans ses textes poétiques et politiques.
Continuer à l'interpréter comme une vérité absolue atemporelle c'est le transformer en verbe symbolique comme la Bible ou le Coran. Ce que même Kateb n'aurait jamais accepté. Il a toujours été poète et ne s'est jamais autoproclamé prophète. En ce sens, Jean Amrouche, Kateb Yacine et Mouloud Mammeri sont restés prométhéens, poètes, dramaturges, mais n'ont jamais endossé la bure des prophètes ni n'ont un jour adopté le goupillon. Amrouche a croqué le profil du combattant implacable -Jugurtha- Mammeri a fabriqué l'inassouvi Reporter qui traverse dangereusement les déserts et Kateb a réanimé l'indomptable diseur de vérité déguisé en philosophe sarcastique. Et tous les trois ont donné vie à une langue francophone algérienne bien spécifique qui incarne parfaitement le butin de guerre que les charmeurs de cobras et autres amuseurs de souks veulent bien faire mordre et piquer pour s'en libérer.

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