L'Expression

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Soixantenaire de l'Indépendance nationale

Comment reconstituer le front intérieur

C'est au contact de l'histoire récente et de la réalité du monde politique que l'on peut apprécier objectivement les choses, comprendre comment réintégrer la logique d'unification qui a permis à l'Algérie d'émerger sur la scène du monde.

Au commencement d'une nouvelle étape de leur histoire contemporaine, les Algériens peinent à surmonter leurs querelles et à passer outre leurs opinions discordantes, ainsi que leurs ressentiments naturels avivés par l'intensité de la violence politique de la décennie 1990. Quant à leurs élites, elles éprouvent bien des difficultés à trouver leurs marques et à canaliser leur énergie. Dés lors, comment aborder la problématique du rassemblement soulevée à juste raison par les pouvoirs publics? Comment passer par-dessus cette posture révélatrice d'une crise morale préoccupante pour restaurer une sérénité et une harmonie abimées par la folie des hommes ou le nombrilisme des coteries? Comment reconstituer le front intérieur et reprendre l'ascension entamée un certain mois de novembre 1954 par un peuple debout dans sa cohésion?
C'est au contact de l'histoire récente et de la réalité du monde politique que l'on peut apprécier objectivement les choses et déceler les éléments permettant de savoir comment réintégrer la logique d'unification qui a permis à l'Algérie d'émerger sur la scène du monde. En effet, depuis l'avènement du multipartisme et de l'économie de marché, voici plus de trente ans, nous éprouvons beaucoup de difficultés à édifier un modèle de substitution au modèle post-colonial. Malgré quelques réformes et des réalisations nombreuses financées par l'Etat, le lien entre ce dernier et la société ne cesse de se relâcher.
Les nouvelles générations sont les premières à pâtir de ce relâchement. Très angoissés, les jeunes ne songent qu'à partir pour tenter leur chance sous d'autres cieux, souvent au péril de leur vie. Dans un tel climat, chaque Algérien a son commentaire, son analyse, son évaluation ou ses idées de solution. Ce qui dénote d'une anxiété et d'un mal être général qui altèrent considérablement l'élan collectif.

Boudiaf dissout le PRS
C'est à ce constat qu'apparaissent dans toute leur laideur les discordes politiciennes et les calculs trop étroits qui éloignent chaque jour un peu plus l'horizon des réformes et qui font oublier six vérités historiques essentielles qu'il est utile de rappeler sans détour: 1- l'Algérie algérienne a été conçue non pas avec les palabres et les manoeuvres politicardes, mais autour d'un Etat dont, à vrai dire, la légitimité originelle n'a pas été tirée des urnes, mais de l'abnégation, l'intégrité et les réalisations de ses architectes; 2- cet Etat a vu le jour en 1962 grâce aux sacrifices des révolutionnaires et à la vigilance d'une hiérarchie militaire issue du peuple et qui, nonobstant les reproches susceptibles de lui être adressés, a pris ses responsabilités afin d'éviter à une nation sortie à peine d'une longue errance de retomber dans l'impuissance qui en a fait en 1830 une proie facile pour le colonialisme; 3- par la force des choses, la jeune armée algérienne s'est ainsi retrouvée au lendemain du cessez - le - feu mettant fin à la guerre algéro-française, au sein de l'Etat naissant, dans un rôle de garde-fou face aux turbulences des factions; 4- le consentement réel de la majorité écrasante des Algériens à ce rôle s'est exprimé le 29 décembre 1978 à travers l'hommage unanime rendu au président Boumediene à l'occasion de ses funérailles mémorables (à cette occasion, l'opposant Mohamed Boudiaf décida de dissoudre carrément son parti, le PRS, en déclarant à ce propos: « un dirigeant pleuré par son peuple, ne peut pas être un dictateur»); 5- un tel consentement était le fruit de la haute estime dans laquelle les Algériens tenaient (et tiennent encore aujourd'hui) un leader charismatique en qui ils voyaient un modèle d'intégrité et d'éthique, ainsi que de volonté créatrice et du sens élevé de l'Etat; 6- à partir de la fin des années 1980, l'affaissement du modèle post-colonial et l'échec d'une solution de rechange ont brouillé les objectifs définis par la doctrine du Mouvement national, brandie haut et fort par l'avant-garde révolutionnaire de 1954 dans la proclamation du
1er novembre.
En rappelant ces faits de l'histoire qui sont sans doute passés de mode dans les temps actuels, l'intention n'est ni de polémiquer, ni de verser dans on ne sait quel éloge béat des militaires. Elle est de souligner une fois de plus le rôle essentiel de l'armée dans l'établissement de l'Etat national en Algérie, comme, d'ailleurs, dans tout autre pays où cette personne morale de droit public a été l'élément structurant de la nation et le garant de sa solidité.
Car sans l'Etat, la nation algérienne aurait été à la merci des caprices individuels, des antagonismes partisans et des vieux démons du tribalisme qui avaient conduit à la défaite de l'Emir Abdelkader face au corps expéditionnaire français en 1847.

Le Code communal de 1967
L'intention est également de dire que notre Etat est encore à ses débuts et que son manque de robustesse l'expose à toutes sortes d'atteintes pouvant mener à sa déchéance si les Algériens ne se rassemblent pas pour le sauvegarder. En d'autres termes, s'il a fallu la force pour l'installer entre 1962 et 1976 à la faveur, notamment, de deux Constitutions (10 septembre 1963 et 22 novembre 1976), un Cde communal (18 février 1967) et un Code de wilaya (23 mai 1969), cette force ne suffit plus aujourd'hui. Car, après une période de plus d'un demi-siècle, l'Algérie s'est métamorphosée à un point tel qu'une consolidation par l'apport de toutes les autres énergies accumulées par la société s'impose.
Aussi, y a-t-il à l'heure qu'il est une urgence de l'essentiel qui est de savoir comment faire pour entraîner les forces dynamiques de la nation dans un mouvement harmonisé scellant leurs retrouvailles face aux dangers réels qui planent sur elle.
C'est de savoir au fond à quoi tient l'adhésion à l'initiative souhaitée par tous, lancée à cet effet par les hautes autorités du pays. Elle tient a vrai dire à cinq conditions: 1- définir avec précision l'orientation stratégique globale qui permet d'indiquer où l'on va 2- afficher des objectifs d'action conformes à cette orientation et permettant de bâtir dans les faits un Etat fort, c'est -à-dire un Etat capable de susciter la confiance et la discipline des citoyens par sa justice, ainsi que par l'impartialité de sa machine administrative, et donc par le respect des droits des gouvernés en contrepartie de l'accomplissement de leurs devoirs; 3-déployer une capacité d'écoute et de rapprochement de l'administration à l'endroit des administrés sur leur vécu dans la mesure où cela aura plus d'impact que les discours conventionnels quelle que soit d'ailleurs leur qualité littéraire ou oratoire; 4- remédier à la myopie politique des partis se réclamant du pouvoir pour en faire ses relais efficaces sur le terrain; 5- dépassionner le débat, apaiser les esprits et adoucir les rapports afin de ressusciter un consensus dont le succès du projet de 1954 prouve une fois de plus l'importance. En effet, «dans une nation, un certain degré de consensus est une nécessité politique qui s'impose avec (...) force».

Le printemps berbère de 1980
Car, «dans la compétition mondiale (actuelle), les Etats qui jouissent d'un consensus intérieur fort disposent d'un avantage décisif (...). Il s'agit ici (...) d'un consensus portant sur des valeurs ou des concepts et non pas d'alliances électorales ou de compromis (politiciens). Obtenir (un tel) consensus, c'est (également) assumer autrui dans son altérité, c'est faire un pas vers l'Autre et non le tirer de force à ses vues (...) Aucun consensus n'est possible avec des interlocuteurs qui ont le sentiment, justifié ou non, que leurs intérêts essentiels sont méconnus.
L'acceptation d'un certain compromis est une condition du consensus» (Krief, Darmon, 1986).
C'est là en tout cas un préliminaire au rassemblement envisagé, car il permettra aux Algériens de dépasser rapidement les contraintes d'ordre psychologique, politique et autre qui les empêchent de tourner la page de leurs différends pour repartir d'un bon pied après tant d'évènements préjudiciables à une unité nationale qu'ils ont mis beaucoup de temps et d'énergie à réaliser: «Printemps berbère» de 1980, évènements d'octobre 1988, décennie sanglante 1990, évènements tragiques de 2001... En effet, le consensus ouvre la voie à la mobilisation des énergies. Aussi, requiert-il une volonté politique très forte et un travail intense.
À qui incombe précisément une telle mobilisation? Elle incombe, certes, aux gouvernants à travers les appareils administratifs, médiatiques et autres dont ils assurent le contrôle. Mais, elle incombe aussi aux partis politiques. Aussi, ces derniers sont- ils dans l'obligation de se mettre en situation de mieux fonctionner pour emporter la confiance des électeurs et réussir ainsi à les convaincre d'adhérer à un projet d'intérêt national qu'est le projet de rassemblement.

Pourquoi le FLN?
Ayant déjà abordé dans un passé récent les maux qui affectent le monde administratif, on se limitera ici à jeter objectivement un regard rapide sur les dérives du monde politique à travers l'exemple du FLN considéré ici, au-delà des personnes, en tant qu'organisation.
Pourquoi précisément le FLN? Pour quatre raisons: 1- le FLN n'est pas un parti comme les autres. Il repose sur un socle psychosociologique de sentiments, de valeurs et de souvenirs dont la plupart des Algériens ne se sont quasiment jamais délestés et auxquels ils tiennentt avec constance.
Ces éléments se résument à peu de mots: une République démocratique et sociale, fruit d'une révolution glorieuse, dans un Etat établi sur une morale, des normes et régi sérieusement par le droit 2- l'existence d'un lien historique très particulier entre le FLN et l'Etat-national qui sont en quelque sorte aussi inséparables que des frères jumeaux; 3- l'existence d'un compagnonnage ininterrompu depuis l'indépendance, sauf pendant une courte période de dix ans qui va de 1992 à 2002;4- le maintien du FLN au premier rang dans les assemblées élues en 2021 avec, sauf erreur: 98 sièges à l'APN sur 407, 57 sièges au Sénat sur 174; 5978 sièges dans les APC sur 17 492 et 471 sièges dans les APW sur 1339.
C'est dire que le FLN a une responsabilité particulière à laquelle il ne peut pas se dérober.

Aussi, les problèmes auxquels ce parti est confronté depuis au moins une décennie, le mettent-ils dans l'obligation de rebondir en se modernisant et en consolidant ses positions parce que, à vrai dire, aucun autre parti n'a réussi à le remplacer. Et que, par voie de conséquence, sa mission n'est pas terminée.
Comment parviendra-t-il à renouer ainsi avec sa vocation de force politique motrice sur laquelle l'Etat peut s'appuyer pour surmonter ses difficultés actuelles? Il y parviendra si, tirant les leçons de son expérience passée, il entreprend de s'organiser, de ramasser ses forces, de se projeter dans l'avenir et de mettre en oeuvre sur le temps long un programme de formation politique de ses membres.
Il y parviendra aussi s'il donne à ses adhérents un repère doctrinal susceptible de structurer leur pensée et leur engagement par rapport aux grands sujets du présent et du futur. Il y parviendra enfin s'il réussit à circonscrire les insatisfactions qui s'accumulent en son sein et auxquelles se greffent des luttes intestines et des conflits manifestes ou latents entre des tendances ou des clans guidés par des intérêts étroits et stériles qui n'épargnent, d'ailleurs, aucune formation politique. En l'absence d'un mode de résolution de ces conflits par le dialogue ou l'arbitrage, d'aucuns en sont même arrivés le 9 septembre 2021 à provoquer des heurts inédits préjudiciables à l'image de ce parti et, par ricochet, à celle du pouvoir et de l'Etat auxquels il n'a pas cessé de s'identifier pendant un demi-siècle.
Aujourd'hui en tout cas, près de sept décennies après sa fondation en tant que mouvement rassembleur, l'existence d'une base fidèle qui ne se résout pas à baisser les bras est de nature à permettre au FLN d'oeuvrer au renouvellement de ses approches, ses méthodes et ses comportements pour ne pas se figer dans le maniement des vieilles formules ou dans des discours sans impact.
Au final, l'idée de rassemblement lancée par les pouvoirs publics est très pertinente à bien des égards. Il ne fait pas de doute qu'ils savent ce qui leur reste à faire: se concentrer sur les leviers de mise en oeuvre que représentent en premier lieu la ressource humaine du pays et l'ensemble de ses forces vives. En leur fournissant des motifs d'exaltation, ainsi qu'une vision leur permettant de se situer, de saisir le pourquoi et le comment des choses et de comprendre vers quel but ultime l'Algérie se dirige, on les motivera et on les mettra ainsi en condition de donner la pleine mesure de leurs capacités dans un travail collectif dédié à ce qui est prioritaire, à savoir la sauvegarde de l'Etat et la prospérité du pays. Dès lors, cette nation pourra immanquablement se tirer d'affaire et reprendre à coup sûr sa marche vers les hauteurs de l'Histoire.

Membre du Conseil de la Nation

 

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