Le CEM Mekhazni Lounis, établissement en régime d’internat
Comme au bon vieux temps…
Le plus beau souvenir que nous emportons de cette ville, si belle par ailleurs, est celui d’un établissement ouvert sur la wilaya et bien au-delà, sur le monde. Enseigner et rayonner, telle semble la devise inscrite sur son pignon badigeonné de jaune ocre.
La pluie a cessé, mais le ciel reste menaçant. Dans la cour quelques flaques formées ce matin subsistent. À la suite du directeur, nous marchons en faisant attention où nous posons les pieds. Nous traversons le premier réfectoire d'une propreté méticuleuse. Nous enfilons un second, tout aussi irréprochable. Ce dernier donne sur l'amphi. Le responsable de l'établissement ouvre la porte et aussitôt une cinquantaine d'élèves se lèvent. Les filles, à droite, les garçons à gauche. Ce sont des élèves de 4ième année moyenne. Nous sommes, ce mardi 15 octobre, au CEM Mekhazni Salah, dit Lounis, un chahid né le 15 février 1932 et tombé au champ d'honneur en 1958.
Situé à l'est de la ville, nous avons eu beaucoup de peine à le trouver, caché qu'il est derrière le bâtiment de la Bmpj. Le directeur fait rasseoir tout le monde et explique la raison de notre visite: les trois chefs d'ateliers de la Maison de la culture venues leur proposer de s'inscrire dans l'un de leurs ateliers. Et nous, subsidiairement pour le travail que nous faisons. Il y a autant d'ateliers que des arts qui existent en peinture, en dessin, en musique, en danse, en cinéma, théâtre, chorale, ainsi qu'il ya de cours de langues, arabe, tamazight, anglais, français, espagnol et d'informatique. La difficulté est évidemment la distance. Nombre d'élèves pourraient être découragés. Mais le jeu vaut la chandelle. Surtout pour ceux qui ont des dons qui ne demandent qu'à être mis en valeur ou qui ont des retards à rattraper. L'intérêt que le jeune auditoire manifeste à notre arrivée est évident. Beaucoup, lors des débats qui vont suivre chercheront à comprendre en posant des questions en rapport avec leurs niveaux, avec les horaires qui les arrangent...
Les langues se délient
Muets comme une carpe, au début, lors de l'exposé sur les ateliers pédagogiques, les garçons ne se retiennent plus. Ils veulent tous parler. Ceux surtout du fond, et cela crée du boucan. Les deux maîtresses qui les encadrent sont obligées d'intervenir à chaque fois pour ramener le calme. Les filles, elles, prennent le parti de se taire. Aucune question ne semble les concerner. Pourtant, quand on leur demande si elles savent lire en français et qu'on leur présente quelques mots, des doigts, timides se lèvent dans les rangées de droite. La lecture de la fille autorisée à déchiffrer ces mots est aisée. La conclusion est que c'est la timidité causée par la présence de personnes étrangères à l'établissement qui empêche les filles de parler. Interrogées sur leur avenir, une seule accepte de répondre. Elle s'appelle Ouissam, habite à Lakhdaria et a 15 de moyenne. Avec un tel atout l'avenir s'annonce radieux. Ouissam rêve de devenir écrivaine. Ou, pour être exacte, elle veut être romancière. Quelques essais lui donnent envie d'espérer. C'est le temps où, pour tout enfant, le rêve paraît si proche de la réalité.
Chez les garçons, les volontaires sont beaucoup plus nombreux. Certains parlent de leur parcours scolaire. Abderahmane, avec un 14 de moyenne rêve d'être musicien, Islam, avec la même moyenne, croit qu'il est tout à fait possible de piloter un avion et de faire carrière dans l'aviation, peu importe laquelle. D'autres, cependant, ont moins de chance. Ghani a 9 de moyenne. C'est un doublant. Il est certain de mieux faire que l'année dernière et déjà s'apprête à prendre son élan. Lyès qui a obtenu la même moyenne a l'air penaud et contrit. Il avoue sa faute. Il a mal travaillé. Par paresse et par négligence. La sanction a été immédiate. Ce neuf de moyenne a joué comme un déclic et l'adolescent semble reprendre ses esprits. Conscient de la nécessite de se ressaisir, il demande humblement un conseil pour devenir un bon élève, un élève studieux et appliqué. La conduite à tenir en pareille circonstance, cela lui a été clairement signifié par les trois chefs d'atelier, est d'avoir de bons camarades qui parlent de leurs études et de suivre leur exemple en bien travaillant en classe et à la maison. Il acquiesce, remercie et retourne à sa place. Cet aveu bouleverse la salle. Il est rare qu'un élève se confesse devant ses camarades. Nous souvenant de ce que le directeur de l'établissement nous a dit, peu de temps avant, dans son bureau, à propos des filles internes, nous leur demandons dans quelle mesure le fait d'être des pensionnaires à part entière, contribue au progrès qu'elles font en classe. Il a fallu des prières pour les décider à parler. Car si les citadines sont réticentes à se laisser confesser, les rurales, le sont bien plus encore. Cependant, à force d'insistance et de prières, quelques- unes ont fini par dire de quels villages elles viennent. Ces villages, expliquera plus tard le surveillant général, sont tous dans la commune de Guerrouma, mais paradoxe du découpage administratif, ces villages en montagne se trouvent plus proches de la daïra de Lakhdaria que de leur chef-lieu de commune. Mais comme les filles qui voient leurs frères ou leurs voisins rentrer chez eux chaque soir grâce au transport scolaire, et qu'elles ne supportent ni le long trajet estimé à 35 km par le SG, ni l'internat pendant une semaine, le wali a écouté leurs doléances et a accordé la faveur qui leur permet de rentrer chez elles le mardi après-midi et de retourner en classe le mercredi matin.
Une des deux profs qui gardent ce matin les élèves de l'amphi estime le nombre de filles admises en internat à trente-cinq. Le chiffre avancé par le directeur est de 70. Mais c'est le SurG qui a les bons chiffres, c'est pourquoi monsieur El Abdelkader Amouri nous conseille de le voir. Selon lui, le nombre d'internes est de cent élèves.Toujours, selon notre source, l'établissement qui porte le nom d'un chahid que, depuis que nous étions entrés en ville nous n'avions fait que répéter pour le trouver, a été construit vers 1985. Mais jugé trop petit pour des effectifs qui n'ont fait que grossir au fil des années, une nouvelle partie est venue s'ajouter à la première en 2012. Cette partie qui comporte de nouvelles classes, un nouveau laboratoire, est en dur. Ayant servi de modèle architectural à la nouvelle, l'ancienne structure pédagogique, en préfabriqué, possède en plus un internat. Si l'on estime le nombre d'élèves internes à 100, celui des bénéficiaires de demi-pension est de 450 élèves. Ce sont au total 1119 élèves qui fréquent cet établissement, lequel, ce matin, vient d'accueillir une nouvelle élève. Face à cet effectif qui attend légitimement sagesse et connaissances, ce sont 51 profs qui ont l'air très motivés. Légèrement surélevé, le dortoir des filles, baignant dans cette journée grise, fait face aux deux blocs de classes. Le silence est profond. On aurait dit un couvent ou un pensionnat pour jeunes filles. Le surveillant général raconte les incendies de 2023 et l'été difficile passé à les combattre. Le dortoir étant vide, c'est là qu'ont été accueillies les familles sinistrées. C'est là que les dons de toute nature affluaient vers elles. Puis les incendies maîtrisées, les familles ayant pu réintégrer leurs foyers réparés, l'établissement a retrouvé sa fonction initiale.
Une fierté légitime
En vérité l'établissement en question n'ouvre pas seulement ses portes aux familles sinistrées en cas de catastrophe naturelle, comme ce fut le cas en 2023, avec les incendies de 2023, il abrite aussi des conférences pédagogiques. L'année écoulée, selon son responsable, il en a reçu 70 et cette année, dix-sept. Ce mardi coïncide avec celle animée par l'inspecteur des profs de maths. Abondant dans le sens de son supérieur hiérarchique, il confirme ses propos selon lesquels ce CEM est l'un des dix meilleurs de la wilaya. Et puis, il y a cette visite inattendue du représentant du mouvement associatif. Comment ne pas en parler? Cet habitué des lieux est un ami de l'établissement. Le directeur lui ouvre les bras pour le recevoir. En costume gris, souriant et affable, il en est en quelque sorte le parrain, le bienfaiteur. Il vient pour voir ce qui pourrait manquer à l'établissement. L'année dernière il avait permis à 250 élèves pauvres de bénéficier de la solidarité des associations dont il est le représentant. Cette année, La direction a reçu de ses mains généreuses quelque 8 millions de centimes qui ont permis d'acheter 500 cartables et de vêtir les plus démunis.
Un établissement au top
En faisant le chemin en sens inverse pour sortir de l'amphi que les élèves quittaient après avoir écouté les trois chefs d'ateliers les inviter à faire mieux connaissance avec la Maison de la culture qui met à leur entière disposition, outre ses ateliers et ses profs pour l'apprentissage des langues étrangères, ses clubs de cinéma, de poésie et de théâtre, nous croisons dans une rangée le chef cuisinier. En tablier blanc, il fait une tournée dans les deux réfectoires. Le directeur est aussi satisfait de lui et de ses services qu'il ne l'est de ses profs et de ses plus proches collaborateurs. Ce qu'il a préparé pour midi? Un plat de salade composé de tomate, de concombre et de laitue, un autre de Titli, d'origine constantinoise, précise notre chef cuisinier, assortie d'une belle pièce d'escalope. Un repas de petit prince. Nous considérons, un moment, émus, ces jeunes amphitryons, pas ceux de l'amphi, mais des petites classes, ceux qui ont entre neuf et onze ans, se tenant correctement à table et mangeant de bel appétit, sans parler, sans faire de bruit. À l'établissement Mekhaznia Lounis, on apprend à bien lire et à bien écrire, mais on apprend aussi à bien se tenir.
Nous quittons le CEM Mekhazni Lounis vers 13 h, avec l'espoir d'une nouvelle occasion de revoir, tant il a fait de bonnes impressions sur nous. La pluie recommence à tomber comme nous arrivons à hauteur de Djebahia. Khaled, le chauffeur qui a compté trois accidents à l'aller se concentre sur son volant. Un peu plus loin, une équipe effectue des travaux de réparation. Il faut dire que ce tronçon qui va de Aïn Turck à Djebahia constitue un des points noirs de l'autoroute. C'est un des sujets de préoccupation pour les autorités, à telle enseignes que l'APW, dans sa dernière session, lui a consacré une séance particulière. Il faut rappeler que les trois accidents recensés l'ont été dans les environs.