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Point de vue citoyen sur le document mémoriel remis au président Macron

Ce que nous dit le rapport Stora

La décision de produire cette réflexion sur la mémoire coloniale est une initiative des autorités françaises et répond plus aux contingences internes du calendrier politique français que des contraintes que vit actuellement la scène politique algérienne.

Le rapport produit par l'historien Benjamin Stora, à la demande du président français Macron, sous le titre Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie a été rendu public en janvier 2021. Alors qu'il avait été suggéré dans un premier temps qu'il soit écrit à quatre mains, il fut finalement décidé que les deux pays produiraient chacun sa propre version.
En attendant celle que devrait proposer la personne désignée à cet effet par le président Tebboune, on ne peut nier le grand intérêt que suscite, au regard d'un simple citoyen algérien, la lecture des 100 pages de ce premier rapport.
Faible opportunité politique du rapport Stora, vu du côté algérien
La décision de produire cette réflexion sur la mémoire coloniale est une initiative des autorités françaises et répond plus aux contingences internes du calendrier politique français que des contraintes que vit actuellement la scène politique algérienne.
Dans une Algérie qui fait toujours face aux soubresauts du régime agonisant des Bouteflika et à une crise économique sans précédent, l'entame d'un débat hautement politique sur l'histoire récente du pays et sur la mémoire coloniale est loin d'être au centre des préoccupations.
La désignation d'une contrepartie pour faire le même travail et mettre en avant le point de vue algérien s'est faite sans enthousiasme, comme en témoigne le choix porté sur une personnalité loin d'être, comme Benjamin Stora, un spécialiste reconnu des questions historiques. Cela se reflète aussi dans les réactions réservées qui ont suivi la publication du rapport, et dans le faible empressement à voir sortir la version de l'expert algérien, dont on se doute qu'elle devra au préalable recueillir l'imprimatur officiel.
Pour l'heure et comme le rappelle le rapport Stora, la doctrine des autorités algériennes vis-à-vis du fait colonial en est encore à celle formulée sommairement par l'ex-président déchu, lors du discours solennel qu'il avait prononcé en juin 2000 devant l'Assemblée nationale française, et qui rappelait fondamentalement «la dette imprescriptible» de la France envers l'Algérie et la nécessité de «rectifier, dans les manuels scolaires, l'image parfois déformée de certains épisodes de la colonisation».
Cette doctrine sommaire, qui ne devrait pas évoluer dans le contexte politique actuel, souffre manifestement d'un double handicap: elle n'a eu, d'une part, aucune conséquence concrète sur le terrain, vingt années plus tard; elle porte, d'autre part, la marque d'un président, aujourd'hui, honni dont le régime est associé à la corruption à grande échelle, à la fraude électorale et au déni des libertés.
Réconcilier les mémoires: un exercice difficile
Benjamin Stora est sans conteste un historien de valeur, dont le travail sur l'histoire coloniale de l'Algérie lui vaut respect et considération en Algérie, en France et au-delà dans le monde entier. Il était parfaitement qualifié pour le «travail de mémoire, de vérité et de réconciliation» dont il a été officiellement chargé. Mais que sa mission était par essence ardue, chaque pays donnant un sens particulier à l'exercice mémoriel. Comme le disait Jean Claude Carrière, une des figures les plus attachantes du paysage culturel français (par ailleurs historien de formation), «Tous les pays du monde racontent leur histoire, qui ne coïncide pas du tout avec celle de leurs voisins. On l'a vu lors de la dislocation de la Yougoslavie, où chaque partie raconte l'histoire à sa façon.
Les mêmes événements ne sont plus du tout les mêmes, selon qu'ils étaient racontés d'un côté ou de l'autre. (..) La mémoire est un exercice du temps présent.»
En l'occurrence, et sans nier la volonté politique commune d'apaisement de leur relation bilatérale, on voit bien que chacun des deux Etats entend s'adresser en priorité à sa propre opinion publique.
Du côté français, si la déclaration du président Macron qualifiant en 2016 la colonisation de crime contre l'humanité passe toujours mal, il reste néanmoins qu'il va bien falloir commencer à jeter davantage de lumière sur les crimes et autres indignités qui ont accompagné, 132 années durant, la colonisation française de l'Algérie (expropriations; enfumades; acculturation; Code de l'indigénat; répression féroce des révoltes successives; déportations; mobilisations de masse durant les deux guerres mondiales; falsification des élections; exécutions sommaires; torture généralisée; etc.).
A mesure que les consciences s'éveillent, que s'ouvrent les archives, même à doses homéopathiques, que les crimes sont de mieux en mieux documentés, le tableau qui transparaît est celui du visage hideux de l'occupation coloniale.
Dans un monde où toute information circule à grande vitesse et est partagée par l'humanité entière, les dirigeants français savent parfaitement que leur pays est condamné à assumer cette face sombre de son passé et qu'il se doit, tôt ou tard, de surmonter les fortes résistances qui persistent à s'y opposer. Il semble bien que ce soit là la fonction première du rapport commandé à Benjamin Stora.
Du côté algérien, on note surtout l'extrême réserve, sinon la timidité des réactions officielles enregistrées face à ce rapport Stora comme, de manière plus générale, face aux crimes et exactions pourtant avérés de la colonisation française. La demande de présentation formelle d'excuses de la partie française est sans conteste tout à fait légitime, mais elle est exprimée sur un mode presque mécanique, comme une façon plutôt commode de simplement renvoyer la balle, sachant à l'avance qu'elle n'a aucune chance d'aboutir, dans le contexte politique prévalant en France. Surtout, à supposer que cette phase d'excuses soit effectivement engagée, rien n'a été fait jusqu'ici pour éclairer la signification précise d'un tel engagement et les suites pratiques auxquelles il est censé donner lieu.
Paradoxalement, alors même que la lutte anticoloniale a été, depuis 1962 à ce jour, la source majeure de légitimation de toutes les élites politiques qui se sont succédé à la tête de l'Etat algérien, très peu a été fait pour documenter concrètement les méfaits du colonialisme ou pour disséminer l'information sur les travaux effectués à ce sujet, en Algérie même, en France ou dans le monde.
Sortir des querelles stériles pour mieux connaîtreles réalités coloniales
L'intérêt principal de ce rapport Stora, c'est de proposer de sortir d'un statu quo stérile dans lequel chaque partie ressasse machinalement ses propres arguments.
En l'occurrence et vue d'Algérie, l'idée n'est pas tant d'attendre une improbable réconciliation dont on distingue mal les contours, que de rétablir une forme de dialogue, au-delà de l'espace étatique. Dès lors que l'Algérie a accédé au statut d'Etat indépendant et totalement souverain, sa relation avec l'Etat français est régie par les usages du droit international qui laissent généralement peu de place à des sentiments comme le repentir ou l'excuse.
En revanche, cela fait sens au sein de la société algérienne. La recommandation par Benjamin Stora «de poursuivre la connaissance de ce que fut le système colonial» dans le cadre «d'un travail de longue haleine que nous devons mener ensemble des deux côtés de la Méditerranée» mérite d'être entendue parce qu'elle invite à sortir des poncifs purement idéologiques pour regarder de front les réalités les plus crues du système colonial.
Le premier pas en ce sens est celui qui consiste, pour nous, à lire attentivement le rapport en question, à le critiquer le cas échéant et ne pas se contenter de simplement lui jeter la pierre au prétexte qu'il est destiné avant tout au pouvoir politique français.
Quoi qu'on en pense, par ailleurs, une telle lecture est enrichissante et pleine d'enseignements. Pour qui, côté algérien, s'intéresse seulement à cette histoire coloniale laquelle, quoi qu'on en dise, est au coeur du système politique national depuis l'indépendance à ce jour, le rapport est plein d'informations utiles, peu connues en dehors des milieux spécialisés. Certains le rejettent d'un revers de main, au motif avéré qu'il ne met pas suffisamment en évidence l'étendue des crimes coloniaux, ce qui, reconnaissons-le, n'était pas envisageable pour une commande du pouvoir politique français.
Il y a mieux à faire. Considérons-le, non comme une fin en soi, mais comme le point de départ d'un débat plus consistant et, pour toutes les bonnes volontés intéressées dans notre pays (qu'il s'agisse d'acteurs institutionnels, d'historiens spécialisés, d'universitaires et chercheurs, ou même de citoyens curieux) de faire jonction avec ceux qui, en France, travaillent dans la même direction. Il nous faut garder en tête, à ce titre, que la mise à jour des crimes coloniaux et leur documentation doivent beaucoup à toute une longue chaîne de personnalités françaises remarquables de haut en bas de l'échelle sociale qui, 132 années durant, n'ont pas accepté le fait accompli des exactions de l'armée d'occupation et de leur couverture par tous les pouvoirs politiques qui ont exercé en Algérie.

 

 

 


Universitaire algérien.
Membre du think thank Care
Mouloud Hedir

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