L'Expression

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Nils Andersson, engagé dans la cause algérienne, à L'Expression

«C'est le peuple algérien qui a imposé les négociations»

Nils Andersson est un Suisse engagé dans la cause algérienne. Éditeur basé à Lausanne durant la guerre d'Algérie, il publia des oeuvres incendiaires contre le colonialisme français, en l'occurrence La Question d'Henri Alleg ou encore La Pacification, écrite par Hafid Keramane. Il sera même interdit d'entrer sur le territoire français en 1961 pour ses relations et son soutien au Front de Libération nationale (FLN). Nils Andersson est parmi ces intellectuels suisses qui s'est rangé du côté de la cause algérienne.

L'Expression: Les accords d'Évian signés entre l'Algérie et la France en Suisse, mettant fin ainsi à 132 ans de colonisation, ont-ils signé l'acte de décès d'un empire colonial français?
Nils Andersson: Après sept ans et demi de guerre, les Accords d'Évian, obtenus par la négociation avec la puissance coloniale, ouvrent la voie à l'indépendance de l'Algérie, mais aussi, la lutte de libération du peuple algérien a contribué à l'accès à l'indépendance de plusieurs États africains marquant ainsi la fin de ce qui fut l'Empire colonial français. Cependant, départements ou territoires d'outre-mer, la France maintient sur des territoires un système colonial et dans de nombreux États devenus «indépendants», à l'ordre colonial a succédé le néocolonialisme qui signifie le maintien d'une domination politique, économique et militaire. La Françafrique en est un exemple accompli. Si ces politiques se voient aujourd'hui contestées, elles subsistent encore, indépendance ne signifie pas mécaniquement souveraineté.

Pourriez-vous nous éclairer davantage sur ces accords d'évian, notamment au sujet de la place et du rôle joués par les Suisses surtout dans le contexte historique et politique de l'époque?
Il faut d'abord comprendre que le 1er Novembre 1954, personne ne pensait que le peuple algérien pourrait se libérer du colonialisme, que l'Algérie, département français, puisse devenir indépendante. Même ceux qui ont eu la détermination et ont osé décider du déclenchement de la lutte de libération étaient conscients de l'immensité de l'objectif. Il faut relire à ce propos la première phrase de l'Appel du 1er Novembre 1954: «À vous qui êtes appelés à nous juger.» Elle est combien plus lucide, réfléchie et consciente qu'un «Nous vaincrons!»
Tous étaient membres de l'OS, luttant depuis des années dans la clandestinité, ils connaissaient et ressentaient profondément les sentiments et aspirations de la population jusque dans les lieux les plus reculés de l'Algérie. Ils étaient conscients, par leur expérience, qu'il n'y aurait pas d'indépendance sans engager la lutte armée et sans que le peuple ne consente de lourds sacrifices. Sacrifices qui furent d'autant plus grands en raison des méthodes de pacification auxquelles les gouvernements français eurent recours et de l'importance des moyens de guerre déployés en hommes et matériels. Il doit être souligné que dans la conduite de la lutte de libération il a été fait montre d'une juste vision stratégique, la lutte armée n'a pas été le seul front; comprenant que la France, une grande puissance mondiale, ne pouvait pas être vaincue militairement, la lutte de libération a également été menée sur les fronts politiques, diplomatiques, et de l'information.
La Suisse est un exemple de la lutte conduite par le FLN sur ces différents fronts. La position initiale de la Suisse était naturellement favorable à l'Algérie française, des liens particuliers avec la France l'expliquent, mais aussi, depuis le XIXe siècle, les intérêts économiques colonialistes de la Suisse en Algérie étaient importants; s'ajoutait l'argument idéologique répandu durant la guerre froide que les luttes de libération étaient sous l'influence de l'idéologie communiste. En conséquence, avant et même après 1954, nombreux furent les responsables et militants algériens interpellés et expulsés du territoire suisse où ils étaient venus participer à des réunions ou prendre des contacts.
Le cours des «événements», les moyens de répression utilisés dans la guerre par la France, le rôle de la «diplomatie algérienne» vont permettre que les choses évoluent. Dès 1956, Max Petitpierre, conseiller fédéral, ministre des Affaires étrangères, pense que seule l'indépendance de l'Algérie peut mettre fin au conflit. Ce n'est pas une position officielle et publique, mais, une position morale, il dénonce ouvertement le recours à la torture comme système de guerre. En 1957, un événement va marquer un tournant; une fuite révèle qu'à la demande de Guy Mollet, le procureur général de la Confédération, qui se suicide, couvrait la transmission aux services français d'informations recueillies par les écoutes de la police suisse, notamment celles de l'ambassade d'Égypte. Les réactions sont fortes, les pressions exercées sur le procureur général par la France, pays ami, sont considérées comme une grave atteinte à la neutralité de la Suisse.
Effet collatéral, les rapports avec les militants algériens et le FLN vont s'en trouver modifiés. Cette même année 1957, il est établi une antenne du FLN à Lausanne, en 1958 un accord est passé pour la désignation d'un représentant «officiel» du FLN en Suisse. Les Algériens sont nombreux à s'y être réfugiés, l'Ugema y a son siège. Les autorités policières ne relâchent pas leur vigilance, mais les expulsions deviennent rares et un champ d'activité est laissé aux Algériens et Algériennes organisés dans le FLN, comme aux Suisses qui soutiennent leur lutte. Des réfractaires français qui refusent de faire la guerre au peuple algérien trouvent également refuge en Suisse et sont tolérés.
Cette politique pragmatique, évolutive, basée sur une juste compréhension et appréciation du cours de l'Histoire et du droit du peuple algérien à l'autodétermination, va permettre à la diplomatie suisse d'être acceptée par les deux parties et de jouer un rôle essentiel lors des négociations d'Évian, cela, depuis les contacts secrets qui les précèdent jusqu'à leur signature. La proximité de la Suisse avec Évian a aussi permis que, pour des raisons de sécurité, les négociateurs algériens soient logés sur le territoire suisse, ce qui les protégeaient aussi d'éventuelles interférences de la part de la partie française lors de leurs réunions de travail.

Pouvez-vous nous citer quelques personnalités politiques suisses ayant contribué à l'aboutissement de ces accords d'Évian?
Plusieurs personnalités suisses y ont activement contribué, mais deux d'entre elles ont joué un rôle tout particulier, déterminant même. Le premier est Max Petitpierre qui, dans sa fonction de Conseiller fédéral, ministre des Affaires étrangères, a pris la responsabilité, dès la phase des contacts secrets, en 1960, d'engager la diplomatie suisse dans un processus pouvant conduire au cessez-le-feu. L'autre personnalité est Olivier Long, diplomate de grande expérience qui, à toutes les étapes d'un processus de 2 ans de négociations, entravé par des événements graves, comme l'assassinat par l'OAS du maire d'Évian qui avait accepté que les négociations se tiennent dans sa ville, s'est montré un intermédiaire et un lien précieux entre les parties. Respecté par les deux délégations, par le rôle qu'il a joué, il peut être considéré comme ayant été un négociateur à part entière, contribuant ainsi à la signature de l'Accord qui a ouvert la voie à une Algérie indépendante.

Qu'en est-il de l'écho politique et médiatique sur la scène européenne et internationale après l'annonce officielle de la signature, le 18 mars 1962, et donc de la fin de la guerre?
Tragiquement, cela n'a pas signifié la fin de la guerre, la haine raciste, la politique de terre brûlée de l'OAS, la violence des factieux pour maintenir le système colonial, allaient encore semer mort et souffrances. Mais l'annonce de la signature des accords fut évidemment un événement majeur, marquant la fin de la plus longue et grande lutte de libération sur le continent africain, le peuple algérien symbolisant alors dans le monde les luttes de décolonisation, ce mouvement qui a marqué et bouleversé l'Histoire du XXe siècle.
J'ajouterai un point plus personnel: aux frères des frères qui s'étaient engagés au côté du peuple algérien, l'indépendance de l'Algérie apportait un enseignement. Par leur vécu, leurs liens de solidarité, ils avaient appris que c'était possible de se libérer de l'oppression si un peuple est uni vers un objectif, s'il se dote de la capacité de mener la lutte sur tous les fronts et s'il accepte les sacrifices que cela exige.

Quel a été le rôle joué par l'élite intellectuelle et de la société civile pour qu'enfin se mettent à la table des négociations le GPRA et la France dans la guerre d'Algérie?
Il y a eu des Français, dans toutes les couches de la société qui ont refusé la guerre faite au peuple algérien. Parmi eux des intellectuels, leur rôle fut important et citer des noms serait une injuste sélection, ils étaient journalistes, écrivains, avocats, éditeurs, universitaires... à avoir soutenu la cause du droit des Algériens et des Algériennes à être indépendants, ils furent souvent poursuivis, jugés et condamnés. Il y a eu des Français, chrétiens, communistes, pacifistes, anticolonialistes, qui se sont engagés dans des réseaux de soutien au FLN comme le réseau Jeanson; certains furent arrêtés et condamnés jusqu'à 10 ans de prison. Il y a eu des jeunes mobilisés qui, arrivés en Algérie, ont refusé de porter les armes contre le peuple algérien; certains subirent
5 ans d'incarcération et de bagne, d'autres, réfractaires, se sont insoumis et ont refusé de partir pour l'Algérie, ils connurent aussi la prison.
Mais, si De Gaulle et la France se sont assis à la table des négociations avec le FLN, celui qui les a imposées et nul autre, c'est le peuple algérien, qui avait mené la lutte dans les maquis, dans la clandestinité des villes, dans les camps de regroupement, dans les prisons, dans l'émigration en France, il s'est montré irréductible, quelle que soit la violence de la répression, quelles que soient les méthodes de la pacification. Cette irréductibilité, il l'a montrée au cours des longues années de la lutte, les manifestations de décembre 1960 la révélèrent au monde. Il n'y avait qu'une voie possible, celle de la négociation et de l'indépendance, elle fut imposée par le peuple. 

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