L'Expression

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Safwat Ibraghith, au journal On line afrik.com

«Le Maroc a marchandé la Palestine avec les sionistes»

Ambassadeur extraordinaire plénipotentiaire de l’Etat de Palestine au Sénégal, en Guinée-Bissau, en Cap-Vert et en Gambie, avec résidence à Dakar, le Dr Safwat Ibraghith a fait un diagnostic de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël.

 

Quelle lecture faites-vous de la normalisation des relations entre Israël et le Maroc?
Toute normalisation avec Israël, à mon avis, est un manque de maturité politique. Parce que, à la base, le Monde arabe avait proposé un plan de paix. Le pays initiateur de ce plan était l'Arabie saoudite, par la voix du prince héritier Abdallah, en 2002, au Sommet de Beyrouth. Cette initiative est définitivement adoptée à la fois par l'organisation des pays arabes et l'organisation de la Conférence islamique, l'OCI. Au total, 56 pays musulmans l'ont adoptée. Et le principe était bien simple: échange de territoire contre la paix. Rendez aux Palestiniens, aux Libanais, aux Syriens leurs territoires que vous êtes en train de coloniser contre la paix! Donc la normalisation viendra, étape par étape, après que ce retrait sera effectif. Malheureusement, il s'est passé des choses, depuis Trump (ancien président des Etats-Unis), chaque pays, en fonction de son propre agenda, ses propres intérêts, a décidé de changer la donne et de rabaisser la valeur de ce plan qui fait de la question palestinienne la question centrale de la Oumah, du Monde arabe et de l'Afrique.
Cette question est la seule qui reste liée à la colonisation que nous voulons tous combattre. Malheureusement, certains pays comme le Maroc, pour leurs propres intérêts, ont commencé à se dire: «Finalement, Israël ne va pas rendre les territoires. Jusqu'à quand on va attendre? Bon, les pauvres Palestiniens n'ont qu'à se débrouiller. Nous, on a besoin d'Israël pour une coopération militaire, ou pour renforcer une reconnaissance de tel coin ou de tel autre coin.». Comme l'histoire du Sahara occidental. L'alliance tripartite Israël-USA-Maroc a été l'objet d'un marchandage orchestré par l'Administration Trump. Ils ne peuvent pas le nier. Cela a été un marchandage: «Normalisez avec Israël et on reconnaît le Sahara comme territoire marocain.». En même temps, le Maroc, qui avait des craintes vis-à-vis de l'Algérie, une très grande puissance, qui soutient le Front Polisario et le peuple du Sahara, a permis à Israël, par le biais des Américains, de s' infiltrer dans cette région. Je n'essaie pas de condamner ou de justifier, j'essaie juste d'expliquer. Pour les Marocains, c'est vrai que la Palestine est la cause centrale, depuis longtemps. Les Marocains, de tous bords, aimeraient voir l'établissement d'un Etat avec El-Qods comme capitale. Le Maroc a abrité le 1er Sommet islamique déclencheur de l' OCI d'aujourd'hui, en 1968, après l'incendie criminel contre la mosquée Al-Aqsa et il a voulu mettre en place le Comité d'El-Qods. Cela me paraît contradictoire, aujourd'hui.

Justement, quand on voit que le Maroc a normalisé ses relations avec Israël, alors que le roi est le président du Comité El-Qods, n'y voyez-vous pas une incompatibilité?
Lorsque j'ai posé cette question à des amis marocains, ils m'ont rassuré que cela va être un atout pour la Palestine. Un point d'appui que les Marocains, notamment le roi, en sa qualité de président du Comité El-Qods, pourrait exercer une sorte de pression sur Israël pour le pousser à se conformer avec le statu quo et respecter l'aspect sacré des lieux saints musulmans et chrétiens. C'est ce qu'on m'a dit.

Et le résultat, dans les faits? Nous avons eu récemment échos d'incidents à la mosquée Al-Aqsa...
Bien évidemment! Le résultat concret prouve le contraire. Grâce au Maroc et à d'autres, les Israéliens ont gagné une normalisation prématurée. Je comprends les intérêts des uns et des autres, mais je ne peux pas les défendre, je ne peux pas me mettre à leur place, je ne peux les accuser non plus. Mais, tout ce que je dis, logiquement, comment peut-on défendre le droit des Palestiniens et nouer des relations normalisées, normales, sur tous les plans, avec l'occupant de la Palestine? Comment la normalisation va m'aider moi, victime de cette occupation, à m'en débarrasser? Qu'est-ce que tu as fait pour sauver les milliers de Palestiniens agressés à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa, d'une façon humiliante, y compris durant le mois sacré de Ramadhan? Faisant fi du vendredi, alors qu'ils étaient là pour adorer Dieu, pour exercer leur culte! Qu'est-ce que le Maroc a fait pour protester? Rien, à part condamner à travers un communiqué dont Israël s'en fout.
Israël fait fi de toutes les résolutions le condamnant. Un arsenal de résolutions et de lois qui soutiennent le droit des Palestiniens, qu'est-ce que cela change? Cela n'a pas libéré un seul centimètre carré de la Palestine. Cela nous a-t-il redonné un seul millimètre de souveraineté à exercer quelque part? Rien. Donc, ce sont des rapports de force. C'est pour cela que je dis que la normalisation doit être comme une arme. Il fallait que le Maroc dise: «On voudrait faire la paix avec vous, mais à une condition: rendez aux Palestiniens leurs droits.». Cela n'a pas été fait. Certains se sont précipités pour leurs intérêts. Et cela nous a affaiblis. Mais surtout, cela les a décrédibilisés. Aujourd'hui, on le voit, Israël n'a aucune considération vis-à-vis de qui que ce soit.

«Quand on jette des fleurs à Israël, en lui souhaitant la bienvenue partout, cela veut dire qu'on demande aux Palestiniens de régler leurs problèmes à part.»
Quand on a suivi les déclarations faites par les responsables marocains, dont leurs représentants à Addis-Abeba, ils étaient gênés. Parce que d'habitude, de façon classique, la ligne politique du Maroc fait partie de la ligne politique des pays arabo-islamiques, adoptant la position palestinienne. Pourquoi on adopte la position palestinienne? Tout simplement parce qu'on sait qu'il y a toute une logique basée sur un rapport de forces déséquilibré. Qui est-ce qui voudrait d'Israël dans l'Union Africaine? Israël voudrait diviser l'Union Africaine. Pourquoi il s'intéresse à être membre observateur à l'Union Africaine? Parce que le bloc des pays membres de l'Union Africaine, avec 55 Etats, vote massivement pour le droit palestinien. Après l'ONU, l'UA est l'organisation qui regroupe le plus grand nombre de pays. Avec l'OCI, il s'agit de la plus grande institution régionale, géographique et démographique. C'est important pour Israël de briser ce bloc. Du point de vue stratégique, c'est ça leur objectif numéro un, parce qu'il y en a d'autres.
L'Afrique, compte tenu de son histoire, est axée sur l'anticolonialisme, l'anti-Apartheid, les droits de l'homme, le droit des peuples à l'autodétermination. La Charte de l'UA serait bafouée en cas d'adhésion d'Israël! Heureusement, d'autres pays s'y sont opposés. Et cette histoire d'adhésion a finalement été reportée, grâce à la sage direction du Sénégal. Si le Maroc et d'autres pays proches du Maroc avaient exigé d' Israël de rendre aux Palestiniens leurs droits pour être membre observateur, c'était un moyen de pression. On nous a privés de cela. Quand on jette des fleurs à Israël, en lui souhaitant la bienvenue partout, cela veut dire qu'on demande aux Palestiniens de régler leurs problèmes à part. Donc, en s'ouvrant à Israël, le Maroc ne peut plus adopter des positions proches de la Palestine.

La question de tout à l'heure revient: une incompatibilité?
À mon humble avis, logiquement, on ne peut pas être ami avec tous. L'ami de tous n'est l'ami de personne. On ne peut pas entretenir de bons rapports avec Israël qui est en guerre contre tous les Palestiniens. On voit que la politique est en train de faire des déviations non conformes avec vos engagements, en tant que défenseur de Jérusalem, non conforme avec l'engagement patriotique national de tout le peuple marocain. «Cela veut dire que tu as blanchi l'occupation de ses crimes. Et tu es passé à autre chose. Cela veut dire que tu as donné le feu vert à ces instruments coloniaux de s'activer, de s'enrichir.» On sait que les Marocains sont de tout coeur avec la Palestine. Seulement, la politique marocaine a marqué une déviation. Comme on dit en arabe, les blâmes sont à la hauteur de notre amour. On blâme, parce que cela me dérange que les frères marocains agissent en fonction de leurs propres intérêts en normalisant avec Israël.

Pensez-vous que n'eût été la normalisation, le Maroc aurait été plus virulent face à la violation de la mosquée Al-Aqsa et la mort de Shireen Abu Akleh?
En tout cas, je sais que la condamnation verbale n'a pas changé des faits. Ce n'est pas cela qui change les faits. Le Maroc, qui dit qu'il veut utiliser ses bons rapports avec Israël, comment va-t-il faire pour empêcher les atrocités contre les mosquées. Je ne parle pas du peuple palestinien, mais de l'histoire de ce petit territoire d'un kilomètre carré, qu'il dirige moralement à travers le Comité El-Qods, au nom de l'islam, au nom des pays islamiques, au nom de la Ouma. Qu'est-ce que le Maroc a fait? Est-ce qu'ils ont appelé en urgence pour un sommet visant à condamner l'acte contre la mosquée Al-Aqsa? Est-ce qu'ils ont passé un message sévère à Israël. Non, nous n'avons pas vu le Maroc poser un acte dans ce sens. Nous sommes des musulmans, quoi qu'il arrive, nous sommes des frères, quoi qu'il arrive, mais la fraternité dans le récit prophétique exige une solidarité effective, pas superficielle.

À vous entendre parler, on dirait que vous êtes tout de même confiant que le Maroc va tenter de ramener Israël à la raison?
J'ai confiance en tout humain et en tout croyant. Donc je ne peux pas dire que j'attends du Maroc de chercher les bons moyens ou les mauvais moyens, je constate que cette option marocaine de s'allier avec Israël dans leurs intérêts n'a pas et ne peut pas servir la question palestinienne. Comment le Maroc va-t-il nous aider? J'espère qu'il y aura des solutions, mais je ne pense pas qu'il y ait une solution, du tout, à travers le mode soft, car Israël ne connaît que le rapport de force. Il faut, comme on dit, le bâton et la carotte. On peut ne pas utiliser le bâton, mais de temps en temps, il faut que le bâton soit là. Et tout ce qu'on veut actuellement, c'est laisser le peuple agir pour le boycott. N'aidons pas les Israéliens à faire venir leurs produits de colonies, car ils sont basés de façon illégale sur notre territoire. Maintenant, comment le Maroc va empêcher Israël d'exporter ses produits sur son marché. Tous les produits agricoles proviennent de chez nous, comment les Marocains vont travailler avec les Israéliens sur des échanges commerciaux? Cela veut dire que tu as blanchi l'occupation de ses crimes. Cela veut dire que tu as donné le feu vert à ces instruments coloniaux de s'activer, de s'enrichir. Avant, il y avait un blocus. Maintenant, tu ouvres ton marché, de façon claire et flagrante. Tu vas coopérer dans le secteur de l'eau, dans le secteur technologique, dans le secteur militaire. Ce n'est pas une normalisation ciblée, c'est une normalisation générale et totale. Ce n'est pas une ambassade qui s'ouvre et un ambassadeur qui s'en va. Si on prend l'exemple de l'Egypte, elle avait mené plusieurs guerres contre Israël. Et quand ils ont signé un accord de paix, en 1979, après 43 ans, les Egyptiens, à 99,9% n'ont pas normalisé avec Israël. Ça, c'est la réalité du plus grand pays arabe. Le plus important militairement, démographiquement et même politiquement, dans l'enjeu régional. Les Egyptiens n'ont finalement pas traité les Israéliens comme des voisins. Même l'armée égyptienne, jusqu'à présent, classe Israël comme une menace, malgré l'accord de paix. Donc tous ces accords de paix seront vite voués à l'échec. Cela doit pousser les auteurs de cette option à s'interroger. Qu'est-ce que vous allez gagner? Que peut espérer le Maroc de la normalisation avec Israël? Que cela va l'aider à gagner la bataille contre le Sahara? Non, je ne crois pas.

 


*In Afrik.com
Abubakr Diallo

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