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Crise libyenne

La trêve sera-t-elle durable?

Cet accord de cessez-le-feu risquerait vraisemblablement de ne pas tenir et de demeurer fragile du fait que, d’ores et déjà, des contradictions apparaissent.

Les deux factions politiques rivales libyennes, parties au conflit armé interne, ont annoncé vendredi 21 août 2020, la conclusion d'un accord de cessez-le-feu ainsi que la tenue, en mars 2021, d'élections présidentielle et parlementaires sur une base constitutionnelle sans exclusive. Cette entente a été confirmée dans des communiqués distincts de Fayez al Serraj, chef du gouvernement d'Union nationale (GUN), basé à Tripoli, et d'Aguila Saleh, président du Parlement élu, basé à Tobrouk (Est du pays) qui indique qu'il a été ordonné à l'ensemble des forces militaires d'interrompre toutes les opérations de combat sur l'ensemble du territoire Libyen. Selon Al Serraj, l'arrêt des combats devrait permettre de créer des zones démilitarisées à Syrte et dans la région de Joufra, sous le contrôle des miliciens du maréchal Khalifa Haftar, alors que Saleh ne mentionne pas la démilitarisation de Syrte et de Joufra, mais propose l'installation d'un nouveau gouvernement à Syrte.
Cet accord de cessez-le-feu, notamment, salué par la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul) est certes, une initiative louable sur le chemin de la réconciliation, mais risquerait vraisemblablement de ne pas tenir et de demeurer fragile du fait que, d'ores et déjà, des contradictions apparaissent. Aussi, la tenue d'élections, à court terme, ne pourrait être réalisable qui si les conditions de stabilité le permettraient. Une situation de «déjà-vu» à l'issue du sommet de Paris sur la Libye de 2018 et où Al Serraj et Haftar avaient convenu d'organiser des élections en décembre de la même année. Cependant, les engagements n'ont pas été tenus par les deux rivaux. En effet, au lieu de la stabilisation du climat politique ambiant pour la tenue délections, la Libye s'est retrouvée empêtrée, dès le premier trimestre 2019, dans une crise armée opposant le maréchal Khalifa Haftar, autoproclamé chef de l'Armée nationale libyenne (ANL) et les forces du gouvernement d'Union nationale (GUN) de Fayez al Serraj, autorité reconnue par la communauté internationale. Cette crise armée a contribué à accentuer les divisions intrinsèques de la société libyenne avec, incontestablement, des conséquences sur la stabilité non seulement de l'Afrique du Nord et du Sahel mais également de la Méditerranée.
Implications régionales
À ce jour, tous les appels au calme de la communauté internationale n'ont pas été entendus par les parties en conflit et les efforts diplomatiques pour un processus de dialogue et de réconciliation politique inclusifs et de concorde civile semblent être minés par la concomitance de rapports de force et d'intérêts stratégiques et tactiques d'acteurs nationaux et d'intervenants internationaux (certains pays de l'Alliance atlantique et certains pays du CCG). Les fidèles du maréchal Haftar ont toujours rejeté les solutions politiques à la crise accusée par le président du GUN, Fayez al Serraj d'oeuvrer à torpiller le processus politique pour plonger la Libye dans un cycle de violence et de guerre interminables aboutissant à une fragmentation au profit de divers tenants internationaux.
Selon plusieurs experts, cette crise armée de par ses slogans attribués à la mouvance islamiste a fait de sorte que les Organisations extrémistes violentes (VEO) affiliées à Aqmi et Daesh se seraient disséminées en s'impliquant dans le conflit et ce en vue d'en tirer des dividendes à court et moyen terme. Additionnée à cela, une crise humanitaire liée au déplacement des populations aggraverait le phénomène migratoire dans tout l'espace du Sahel, de l'Afrique du Nord et de la Méditerranée occidentale. En effet, le Bureau de l'OMS et celui de l'Unocha basés en Libye, ont recensé, depuis le début de l'offensive du maréchal Haftar sur Tripoli, plus de 15 000 personnes déplacées qui pourraient augmenter de manière exponentielle avec l'enlisement du conflit armé.
Au regard de cette crise armée et de ses implications régionales sur le plan sécuritaire, l'Algérie a mis en garde, à maintes reprises, et avec la plus grande fermeté, contre toutes tentatives ciblant sa sécurité et sa stabilité. Elle oeuvre, sur tous les plans, à s'adapter de manière permanente aux développements de la situation géopolitique et à la complexité des enjeux de la sous-région afin de contenir les ambitions d'embrasement de l'espace sahélo-saharien et de ses effets potentiels sur la stabilité sous-régionale.
Forces militaro-politiques
En effet, l'insécurité qui règne présentement en Libye, notamment, et les turbulences politiques dans les autres pays voisins de la sous-région, et ce depuis 2011, constituent une véritable source d'inquiétude aux frontières algériennes. Sur une large étendue frontalière du pays, nombre de fléaux se sont multipliés. Les frontières sont ainsi menacées autant par les groupes extrémistes violents que par le trafic d'armes de guerre en provenance de Libye, le trafic de drogue à partir du Maroc et des pays du Sahel et des déplacements de migrants subsahariens à partir de Libye, du Mali.
Avec l'intensification de la crise politico-militaire en Libye associée à la multiplication des conflits dits de faible intensité (Low Intensity Conflict), à l'exemple, entre autres, du récent coup militaire au Mali, la sous-région sahélo-saharienne renforce son caractère d'espace incontrôlable et prospère pour toutes sortes de trafic. La circulation d'armes est à la fois une conséquence et un facteur du développement des autres trafics (drogue, migrants, etc.). Cette redynamisation des trafics fera, incontestablement, croître mécaniquement le niveau de violence dans la région sahélo-saharienne.
La crise politique libyenne qui s'est ravivée en crise armée continuera incontestablement à être un facteur de développement et de renforcement des capacités de nuisance des Organisations extrémistes violentes (VEO) présentes dans la sous-région et, également, à intensifier les flux migratoires illicites en Méditerranée occidentale.
Dans le but de légitimer son action militaire et afin d'obtenir le soutien de l'ensemble de la mouvance islamiste, le maréchal Haftar, lors de son avancée sur la capitale Libyenne en avril 2019, avait utilisé un vocabulaire extrémiste et avait dénommé son opération «al Fath al moubine» (la conquête certaine). Les forces du GUN d'Al Serraj ont réagi en dénommant leur contre-offensive «al Bourkane al ghadib» (le volcan en colère) afin de purger toutes les villes libyennes des forces illégitimes, selon les propres termes, alors, du porte-parole du gouvernement. Cette manière d'agir dénote l'importance de la composante islamiste dans la crise libyenne et il serait illusoire de penser que cette mouvance est prête à renoncer ou à partager le pouvoir qu'elle avait perdu lors des élections parlementaires de 2012. Depuis la chute du président Mouammar El-Gueddafi, en 2011, les troupes du maréchal Haftar dominent l'Est et le Centre de la Libye ainsi que le Sud-Ouest frontalier de l'Algérie. Les troupes loyalistes d'Al Serraj sont présentes, à Tripoli, Misrata, Syrte, Sebha et au Nord-Ouest frontalier de la Tunisie. Depuis le 4 avril 2019, des combats opposent les deux camps à Tripoli et dans sa périphérie, notamment à Wadi Al Rabie et les milices de Misrata, alliées du GUN, opposent une forte résistance aux troupes du maréchal Haftar avec en renfort les milices de Zaouia et de Zentan.
Les États-Unis, qui ne semblaient pas intéressés par un soutien au maréchal Haftar depuis le rapprochement de ce dernier de Moscou, avait retiré ses militaires stationnés en Libye, Washington ayant appelé, alors, à l'arrêt immédiat de la campagne du maréchal Haftar. La Russie, quant à elle, avait bloqué une résolution au Conseil de sécurité de l'ONU estimant qu'il existe un réel danger de confrontation armée et que la solution à la crise libyenne reste politique appelant les principales forces militaro-politiques libyennes à faire preuve de responsabilité en renonçant aux actions militaires de lutte pour le pouvoir. L'ONU, de son côté, avait appelé toutes les parties à stopper les opérations militaires. Et l'UE, quant à elle, avait qualifié la situation en Libye d'inquiétante exhortant, alors, les parties en conflit d'accepter des trêves humanitaires.
Une solution négociée
L'Algérie, pour sa part, a, depuis et sans cesse, exprimé son extrême préoccupation et appelé toutes les parties à la retenue, estimant que toute escalade militaire est de nature à compromettre les efforts politico-diplomatiques en cours. L'Algérie maintient le cap en mettant en garde contre toute escalade qui porterait atteinte à son intégrité territoriale et n'hésiterait pas à se défendre en accord avec ses principes doctrinaux de respect de la souveraineté nationale des Etats. Tous les appels n'ont, cependant, pas été entendus par les parties en conflit et les multiples efforts diplomatiques minés à chaque initiative. Les fidèles du maréchal Haftar ont toujours rejeté les solutions politiques à la crise. Le président du GUN, al Serraj a accusé le maréchal Haftar d'oeuvrer à torpiller le processus politique pour maintenir le pays dans un cycle de violence interminable.
Comme les deux principales figures rivales de la scène politique libyenne ne se sont jamais réellement engagées, la crise libyenne ne pourrait pas passer par un processus de réconciliation et de concorde nationale sans dialogue inclusif préalable. En effet, à ce jour, il n'y a aucun pacte sécuritaire scellé. Quant à un accord politique, il en va de même; les Libyens vont jusqu'à douter de la possibilité d'organiser des élections dans leur pays. Des spécialistes du dossier libyens sont convaincus que les besoins essentiels de la population (alimentation et sécurité, système d'éducation et de santé performants) sont les priorités à consolider si l'on veut vraiment aider la Libye à avancer sur le chemin de la stabilité. Malheureusement, on voit mal quels sont les acteurs politiques ou leaders influents libyens qui ont réellement la volonté de se consacrer à ces priorités aux dépens de leurs préoccupations politiques et mercantiles. De plus, une solution négociée semble virtuelle à court terme si le problème de base qu'est l'antagonisme entre les islamistes et les autres acteurs n'est pas dénoué.
Il est clair que l'accord de cessez-le-feu du vendredi 20 août 2020 reste fragile du fait qu'il risquerait d'être torpillé une fois de plus par, notamment les dirigeants du Parti de la Justice et de la Construction (PJC), réputé proche des Frères musulmans libyens, fortement implantés à l'Ouest, qui avaient rejeté en bloc les initiatives de Paris (29.5.18) et de Berlin (19.1.20) à peine rendues publiques, les considérant comme une violation de l'accord politique inter-libyen. Le PJC insiste sur l'idée que tout accord doit se faire sous l'égide de l'ONU et être conforme aux termes du texte signé en décembre 2015. Le PJC estime, en outre, que toutes les initiatives ne font que répondre à des agendas extérieurs et sont de nature à aggraver les divisions entre les Libyens, précisant, notamment, que certains pays constituent une partie du problème. Agissant comme torpille «islamiste», les réactions du PJC marquent toujours le début de la fin des différentes initiatives. Dans cette crise libyenne, le président du GUN, Al Serraj, et le chef de l'ANL, Haftar, ne sont pas les seuls acteurs de la scène politico-militaire. Par exemple, Al-Sarraj n'a jamais reçu de mandat formel de négociation de la part de ses soutiens à Tripoli et à Misrata et qu'il se fait rappeler souvent, voire toujours à l'ordre. Les initiatives internationales sont vues comme facteur aggravant la fragmentation du pays avec toutes ses conséquences aux frontières libyennes et son impact dans la sous-région. Les spécialistes de la question libyenne, s'accordent à dire que dans le cas où aucun dialogue politique inclusif n'est pas engagé préalablement à la tenue d'élections à travers lesquelles la mouvance islamiste craint d'être vaincue une fois de plus, la crise libyenne risquerait de s'acheminer vers une «somalisation» et la stabilité sous-régionale compromise.

Docteur Arslan Chikhaoui est, actuellement, Président Exécutif du Centre de consultance et d'études ‘NSV'. 

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