Les brics se réunissent en Russie
La dédollarisation en marche
L’usage du veto dans le choix des candidatures rappelle la désagréable expérience de l’actuel ordre mondial finissant.
Hier, la ville de Kazan en Russie a accueilli une réunion cruciale des Brics. Une vingtaine de dirigeants de pays ont répondu à l'invitation de Vladimir Poutine. Au-delà de l'ordre du jour du Sommet qui aborde des questions politique, économique, il y a bien entendu l'affirmation d'une volonté de peser sur la décision à l'échelle de la planète et démontrer par-là même, l'échec d'un Occident présenté comme arrogant par nombre de pays. Le succès de cette réunion est d'abord dans sa tenue. En représentation, plus de la moitié de l'humanité se retrouve dans la ville russe et acte encore une fois, la fin inéluctable de l'actuel ordre mondial. La dédolarisation qui a débuté, il y a quelques années, devrait connaître, à l'occasion de ce Sommet, un début de concrétisation à travers une proposition d'un nouveau règlement monétaire international. La procédure est techniquement complexe, mais l'objectif est éminemment politique, à savoir réduire l'emprise des États-Unis sur le reste du monde.
L'Algérie soutient cette approche et l'a démontré en entrant dans l'actionnariat de la Nouvelle Banque de développement, avec un apport conséquent de 1,5 milliard de dollars. Cette décision, courageuse pour nombre d'observateurs, exprime une claire détermination de contribuer à l'éclosion d'un nouvel ordre mondial. Et cette démarche n'est pas nouvelle dans l'action de l'Algérie à l'échelle de la planète. Durant les années 70, le défunt président Houari Boumediene était parmi les premiers chefs d'État à critiquer la domination impérialiste et rejetait la logique des deux pôles, libéral d'un côté et communiste de l'autre. L'esprit de Bandung, auquel l'Algérie demeure toujours attachée, milite pour un monde multipolaire. Le président Tebboune l'a d'ailleurs rappelé à la présidente de l'Inde, lors de sa visite d'État en Algérie. Cet idéal humain, après l'émergence de pays anciennement colonisés, à l'image de l'Inde et de la Chine, devient atteignable à plus ou moins moyen terme. Il peut être représenté par les Brics. En tout cas, cette organisation fait beaucoup parler d'elle et ses initiatives économiques et, bientôt financières, apportent un sérieux début de réponse à la nécessité d'un ordre mondial plus ouvert sur l'humanité. La brèche qui apparaît dans la cuirasse de l'Occident est certainement un acte positif, susceptible d'aider à l'émergence du nouvel ordre mondial que l'Algérie appelle de ses voeux. Il reste que, disons-le franchement, le mode choisi par les Brics d'admettre de nouveaux membres ne répond à aucune procédure logique. L'usage du veto dans le choix des candidatures rappelle la désagréable expérience de l'actuel ordre mondial finissant. C'est cette manière de fonctionner qui empêche les deux grandes questions de décolonisation, le Sahara occidental et la Palestine, d'aboutir. C'est également cette tendance à n'appliquer le droit international qu'aux faibles qui fait craindre une sorte de «remake» du processus de Bretton Woods. On ne détruit pas un monde pour construire un autre qui conserve les défauts du premier. Il est entendu, que dans le premier élargissement des Brics, il y a eu quelques calculs égoïstes et une volonté de donner le change au pôle occidental. Il serait injuste de créditer la thèse d'une dérive à ce stade de la construction du nouvel ordre mondial multipolaire, mais il reste évident que le risque d'une réédition d'une sorte de guerre froide idéologico-économique est consubstantiel à la démarche d'une organisation, qui semble obnubilée par la volonté de détruire un ennemi précis. L'Algérie a fermé la porte des Brics non pas par orgueil, mais sur la base d'une analyse objective de la démarche et de la forme qui ont présidé à l'élargissement des Brics. Cette organisation est certainement un pas vers la concrétisation du voeu algérien pour un nouvel ordre mondial. Son mécanisme d'investissement, à travers la Nouvelle Banque de développement, est une riche idée. Mais il devient de plus en plus évident que la solution ne peut être seulement dans la création d'un rival au G7. L'Algérie aspire à bien plus, à une véritable émancipation de l'humanité entière, que chaque pays ou groupe de pays, puisse disposer souverainement de ses richesses, de sa voix dans le concert des nations. Même s'il est vrai que le changement préconisé par les Brics va dans le bon sens, il ne suffit pas à garantir l'émergence d'un monde multipolaire tel que souhaité par l'Algérie. Cela n'empêchera pas le partenariat avec les pays membres de cette organisation, comme avec les pays de l'Occident, dans le respect de la souveraineté politique, économique et financière. Il n'est pas du tout prétentieux de dire que les Brics n'incarnent pas le modèle universel voulu par l'Algérie. Certains peuples n'y trouveront pas leur compte. Ils auront à choisir entre deux modèles, comme au temps de la guerre froide. Il existe une troisième voie. L'Algérie y tient et le démontre sur le terrain, à travers ses aides au développement en Afrique, la nouvelle organisation maghrébine qu'elle édifie avec la Tunisie et la Libye et ses efforts constants à défendre les causes justes sans calculs politiciens égoïstes. La conviction de l'Algérie est que ce monde est possible. Pour l'heure, le pays n'a pas la puissance économique et les alliances nécessaires pour réaliser son objectif, mais il y travaille. Et de plus en plus de pays y croient et le suivent...