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Saïd Djabelkheir, chercheur en islamologie, à L'Expression

«Ce que j'ai dit sur l'Islam»

L'islamologue Saïd Djabelkheir revient sur les supplices de Tantale dont il a été victime à cause de ses travaux et ses lectures qui ont trait aux textes et hadiths et leur historicité. Il explique les tenants et les aboutissants de sa traduction en justice. Il défend l'approche des Lumières comme seul salut et issue pour combattre le dogme et l'obscurantisme religieux. Il soulève des problématiques d'ordre d'acuité et il plaide pour la consécration de la séparation du culte, de l'Etat.

L'Expression: Parlez-nous de votre périple avec la justice à cause de vos écrits et pourquoi ces attaques contre votre personne alors que le patrimoine exégétique atteste d'une manière manifeste vos références?
Saïd Djabelkheir: Ce que j'ai dit réellement dans les publications pour lesquelles j'ai été accusé et condamné (et c'est ce que j'ai expliqué au juge à l'audience) est le suivant:
Les pratiques du pèlerinage et du sacrifice du mouton (le rituel du sang) d'un point de vue historique, sont des pratiques anciennes qui remontent à avant l'islam, et qu'elles étaient pratiquées plusieurs siècles avant l'islam dans un cadre païen, et que l'islam les a gardées et les a islamisées. Et cela est cité dans le Coran (02 / 185) et (22 / 67) sourates et versets sur lesquels ont peut facilement consulter les commentaires anciens. Je souligne que ma publication concernant le pèlerinage a été faite en réponse à Cheikh Ali Ferkoùs (un imam salafiste wahhabite) qui a édité une fetwa (avis religieux) disant que «Yennayer est une fête païenne et qu'il était interdit (haram) en islam de la fêter».
Les récits du Coran sont des contes qui ont pour objectif de véhiculer les valeurs morales de la société, et non pas de donner la chronologie des faits historiques, car le Coran n'est pas un livre d'Histoire, c'est un livre de guidance spirituelle et religieuse et n'a pas pour but de faire le travail des historiens.
Et cela je ne suis pas le premier à l'avoir dit, car il y a, en effet, plusieurs commentateurs du Coran, anciens (tels que Tabari, Ibn Katir, Razi, Zamakhchari, Baghawi) et contemporains tels que Mohamed Abdou et Mohamed Rachid Reda, qui l'ont dit dans leurs commentaires qui sont facilement vérifiables sur le Net.
Les hadiths, et ce depuis le premier siècle de l'Hégire (l'ère islamique) et jusqu'au jour d'aujourd'hui, sont l'objet de divergences entre les spécialistes s'agissant de leur recevabilité. Moi en tant qu'islamologue, il est de mon droit le plus absolu de réfuter la recevabilité d'un hadith selon des critères académiques. Et là je pourrais citer plus de 50 cas sourcés, où des érudits musulmans, anciens et contemporains, ont réfuté des hadiths déclarés par d'autres comme étant recevables.
C'est pour dire que la recevabilité des hadiths n'est pas une science exacte comme les mathématiques ou la physique. En effet, les avis divergent énormément dans ce domaine, ce qui est une chose bien connue par les islamologues.
Mes publications Facebook ont été très mal interprétées par mes adversaires, ils ont décidé de mes intentions en disant qu'elles étaient malsaines. Et moi j'ai dit au juge que j'étais responsable de mon texte et non des interprétations des lecteurs. Et j'ai bien expliqué ce que j'ai voulu dire par mes textes.

Vous ne pensez pas que le temps est venu pour réformer de fond en comble le patrimoine islamique et revoir l'historicité dudit patrimoine?
En effet, il y a un très grand travail d'ijtihad c'est-à-dire un effort de raisonnement, de relecture et de réflexion nouvelle sur les textes fondateurs de l'islam (Coran et hadiths du Prophète Qsssl) qui doit être fait, car les lectures traditionnelles ne répondent plus aux attentes, besoins et questionnements de l'homme moderne.
Les lectures traditionnelles nous mettent aujourd'hui en contradiction directe avec la modernité mais surtout avec les valeurs humaines universelles. Cet effort de réflexion (ijtihad) est avant tout un devoir religieux. Cette réflexion doit être opérée sur la base des nouvelles disciplines scientifiques et surtout les sciences humaines: histoire, sociologie, psychologie, linguistique, anthropologie, philologie, codicologie, étude critique et historique des textes, etc.. Et c'est à partir de là qu'on pourra construire une nouvelle lecture des textes religieux, lecture qui concrétisera un islam des Lumières, c'est-à-dire un islam qui ne sera pas en contradiction avec les valeurs humaines universelles.
Pour donner quelques exemples, nous ne pouvons plus continuer sur la lecture traditionnelle des versets qui parlent de l'esclavage, des châtiments corporels, du statut traditionnel de la femme, de la guerre sainte déclarée à toutes les nations non musulmanes pour qu'elles deviennent musulmanes sinon leur imposer la djizia, etc...

Êtes-vous victime d'une démarche sclérosée relevant de la clôture dogmatique à laquelle est réduit l'islam?
Je le pense oui. La lecture salafiste wahhabite et ikhwaniste des textes fondateurs de l'islam, est aujourd'hui malheureusement très répandue chez nous, elle trouve une audience très large à travers l'école et les médias. C'est une lecture qui veut s'imposer comme la seule «vraie, juste, et absolue» donc indiscutable. Or, il est impossible d'emprisonner les textes de l'islam (Coran et hadiths) dans une seule lecture quelle qu'en soit l'origine. En effet, les compagnons du Prophète (Qsssl) pratiquaient l'ijtihad de son vivant, et leurs avis religieux étaient des fois divergents, mais le Prophète acceptait tous les résultats de leurs réflexions qui étaient des fois contradictoires. Cet effort de raisonnement et de réflexion sur les textes fondateurs de l'islam a continué après le Prophète et les compagnons (entre autres les califes bien guidés) continuaient à donner des avis religieux qui étaient des fois divergents et même contradictoires. Mais jamais un compagnon s'est bagarré avec un autre, ou est allé se plaindre de lui devant un juge parce qu'il était d'un avis différent du sien. On remarque la même chose chez les disciples des compagnons et les fondateurs des écoles de la jurisprudence islamique tels que les imams Malik, Abou Hanifa, Chafeï, et Ahmed Ibn Hanbal, et même chez les fondateurs des écoles théologiques islamiques tels que les Achaarites, les Mùatazilites, les Matùridia et autres, sans parler des écoles soufies qui se comptent par centaines. Tous ces érudits, juristes et théologiens, se rencontraient pour débattre de leurs divergences juridiques et théologiques, ils le faisaient aussi à travers leurs ouvrages, mais jamais l'un d'eux ne s'est bagarré avec un autre ou est allé se plaindre de lui devant un juge. Les musulmans ont toujours vécu, connu et reconnu la pluralité des lectures et interprétations des textes fondateurs de l'islam, et ce même du vivant du Prophète (Qsssl). Les textes de l'islam n'ont jamais été univoques et ne le seront jamais. Et ceux qui veulent nous imposer leur lecture des textes comme étant la seule vraie, juste et absolue, font fausse route et n'iront pas loin à mon avis.

Allez-vous continuer vos recherches sur les textes frappés du sceau de «sacré» alors qu'ils sont le produit d'un effort humain comme c'est le cas pour la chari'a?
Je n'ai pas l'intention d'arrêter mes recherches, bien au contraire. Si le texte coranique est divin, chose qui ne fait pas de doute chez les musulmans, la lecture de ce texte est humaine, et de ce fait elle est forcément et obligatoirement renouvelable selon les nouvelles connaissances, circonstances, questionnements et besoins des sociétés humaines. Les textes ont été révélés dans un contexte historique bien défini, il faut donc contextualiser chaque texte en le remettant dans son contexte historique, et ce afin de comprendre pourquoi et pour quelle finalité il a été révélé. Les textes sont révélés dans l'histoire, et ne peuvent être compris et exploités que dans leur contexte historique.

Vos recherches et vos publications ont pour vocation de s'interroger sur les non-dits, mais aussi sur les paradoxes et les inepties qui pullulent le récit islamique. Ne jugez-vous pas que c'est opportun de faire un travail de fouille et de nivellement pour redonner au récit islamique son historicité?
Effectivement, Mohamed Arkoun a ouvert beaucoup de chantiers dans ce domaine, et tout le travail reste à faire. Nous avons le chantier coranique (codicologie, textes et commentaires), le chantier des hadiths, le chantier de la jurisprudence, de la théologie, et celui du soufisme. Et toutes ces disciplines sont en relation directe avec le chantier de l'Histoire de l'islam et des musulmans. Pour faire tout ce travail, il faut des dizaines d'universités et des centaines de chercheurs.

L'école a un rôle prépondérant dans la mise en place d'un manuel visant l'équilibre comme outil et approche d'assimilation du savoir et de l'histoire. L'école algérienne est-elle responsable de la déferlante obscurantiste et des lectures nihilistes de l'islam?
Il est regrettable de dire qu'en 2021, 25 ans après la décennie noire, nous n'avons toujours pas appris la leçon. À l'école, l'intolérance, l'exclusion, la violence, l'absence de «raison», le refus du débat et de l'altérité se sont installés chez nous et sont devenus la norme.
L'obscurantisme gagne les esprits. C'est une réalité qu'on ne peut nier. Il n'y a aucune démarche qui pousse au débat, à la réflexion, au vivre-ensemble, à l'acceptation de la différence, et ce du primaire jusqu'à l'université.
On n'a rien fait pour expliquer aux générations montantes la leçon des années 90. On n'a rien fait pour en éliminer les causes. On n'a rien fait pour proposer une autre alternative.
On a muselé la pensée, la science, le savoir, liquidé la connaissance, les esprits libres, la raison critique, l'intelligence, au profit d'une lecture rigoriste des textes religieux. Ces phénomènes persistent dans notre quotidien, dans les comportements de nos compatriotes, dans nos médias et ne sont autres que le résultat de l'école.
En effet, l'influence de l'école et des programmes scolaires est très grande et là nous avons besoin d'opérer et de toute urgence un changement radical, car notre école est encore loin d'être une école républicaine au vrai sens du terme. En effet, depuis l'indépendance nous n'avons pas encore tranché si l'école doit former des citoyens ou bien des croyants. Vous avez aussi l'influence des médias dont la plupart vendent le religieux comme un produit de consommation et non comme une matière sur laquelle on doit réfléchir pour se forger une opinion libre. Il y a aussi l'influence des réseaux sociaux et du discours religieux officiel qui demeure très loin des besoins et des questionnements de l'homme moderne ici et maintenant.

Quelles sont les mesures idoines qui puissent apporter des solutions concrètes quant à la sauvegarde de la cohésion sociétale face aux interprétations sectaires et schismatiques des textes?
La pluralité des lectures et interprétations des textes religieux est en soi une richesse qui devrait être encouragée et protégée. L'école algérienne devrait enseigner la diversité, le respect de la différence et du droit à la différence, l'acceptation de l'altérité. L'autre c'est moi, il n'est autre que mon miroir. Notre diversité est une richesse, et ce qui nous rassemble c'est la géographie, c'est l'Algérie et les intérêts de l'Algérie. Voilà ce que devrait enseigner notre école. Le problème n'est pas d'avoir plusieurs lectures des textes même quand elles sont contradictoires. Le problème c'est le fait qu'une lecture où interprétation voudrait s'imposer comme la seule vraie, juste et absolue. Et dans ce cas on va forcément vers la violence sociale, car même les compagnons du Prophète (Qsssl) n'ont pas imposé aux musulmans leurs lectures des textes de l'islam.

N'est-il pas temps que la séparation du culte, de l'Etat prenne tout son sens et dans toute sa plénitude?
À mon avis, cette séparation est aujourd'hui plus que nécessaire, car sans elle l'instrumentalisation du religieux dans la politique va continuer, et cela n'est bénéfique pour personne. Je pense qu'il est grand temps de capitaliser nos expériences passées, et n'oublions pas que c'est justement cette instrumentalisation qui nous a fait payer la lourde facture des années 1990.

Vous avez déclaré que vous avez reçu des menaces de mort. Quelle partie suspectez-vous et est-ce que vous avez pris vos précautions?
Je ne connais pas les gens qui me menacent. Je ne suspecte personne de façon précise, mais je pense que ces menaces viennent des milieux qui sont contre mes idées. Pour ce qui est des précautions, je fais tout ce que je peux et j'espère qu'il ne se passera rien.

De Quoi j'me Mêle

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