Les bagarres commencent dans les classes
La différence d'âge et de corpulence illustre bien le principe qui dit «le fort mange le faible».
La violence prend des proportions de plus en plus graves et dangereuses. Elle est partout. Elle est même dans les enceintes de structures jusque-là réservées au savoir, à l'éducation et à la formation. La notion de «houma» qui, jadis, signifiait entraide, amitié... a laissé place à la notion de bande organisée, prête à en découdre avec l'autre. Même par rapport à l'âge, la violence touche désormais des enfants qui n'hésitent pas à recourir aux poings, aux armes blanches, aux injures... pour tenter chaque fois d'occuper l'espace et de dissuader les plus téméraires.
Pour vérifier cette situation, il suffit de se pointer devant un établissement scolaire aux heures de sortie pour assister à des bagarres déjà commencées dans la cour, voire à l'intérieur de la classe. A qui la faute? En prenant les partenaires un à un, il est difficile d'établir un diagnostic précis. La responsabilité incombe à tous. La famille, le quartier, l'école, les associations... sont démissionnaires et ont chacun une part de responsabilité dans cette dégradation généralisée de la société.
Pour un grand nombre de parents, l'école est plus un lieu où on garde l'enfant qu'un espace d'apprentissage et de savoir. «mabkatch kraia» (il n y a plus d'étude), cette réflexion est sur les lèvres de bon nombre de parents qui, pour justifier leur négligence dans le suivi de leurs progénitures, rejettent l'école et l'accusent de tous les maux. D'autres réflexions plus cruelles émanent de parents quand ils sont convoqués. «Mon enfant est agressif depuis qu'il est scolarisé chez vous, c'est l'élève qui s'asseoit avec lui qui l'a entraîné, ne me convoquez plus parce que je travaille, je ne sais plus ce que je dois lui faire»... Ces aveux d'impuissance démontrent la gravité du phénomène. L'enfant laissé à son sort tombe entre les griffes des plus âgés, les cancres, qui les utilisent, les rackettent. La menace peut aller jusqu'à interdire au bon élève de participer en classe, à recopier les cours pour eux, à donner les réponses lors des examens...
Même si le sujet reste encore tabou, les agressions contre les plus faibles physiquement relèvent parfois du domaine de la dignité et de l'atteinte aux moeurs. L'administration, de son côté et en application des lois, admet des élèves à refaire plusieurs fois l'année. Le résultat est que des scolarisés âgés de plus de 18 ans se retrouvent dans des classes avec des enfants qu'ils dépassent de plusieurs années. Il n'est pas rare d'avoir dans une même classe d'un CEM des enfants nés en 2000 avec d'autres nés en 1994.
La différence d'âge, de corpulence physique avantagent le principe ancestral «du fort qui mange le faible». «La réglementation nous a lié les mains», commente un enseignant. «Nous n'avons aucun moyen pour réagir. Le châtiment corporel interdit, les parents qui ne répondent que rarement aux convocations, l'inexistence d'association de parents d'élèves, le volume horaire contraignant, la surcharge des classes, le phénomène des doublants... sont autant de facteurs qui favorisent ce climat de violence qui se développe et se généralise», commente notre interlocuteur.
Si la lutte dans les pays développés fait appel à des spécialistes pour enrayer la violence, en Algérie l'assistance psychologique, le suivi personnalisé sont deux moyens renvoyés aux calendes grecques. Presque aucune UDS, structure sanitaire rattachée aux établissements scolaires, ne dispose d'un psychologue. Même les spécialités psychopédagogiques ont vu leurs travaux restreints à la seule orientation pédagogique et leurs statuts non définis précisément.
A l'extérieur de l'établissement la situation n'est guère plus reluisante. L'enfant, après ses cours, se retrouve au quartier. L'oisiveté et le manque d'occupation sont la mère de tous les vices. Là aussi l'influence des grands est avérée. La consommation des stupéfiants, un autre sujet tabou, touche de plus en plus des jeunes adolescents. Le fléau, avec la dégradation sociale causée par plusieurs années de violence, a pris des proportions alarmantes.
«Il y a quelques années un accro aux drogues était désigné du doigt. Aujourd'hui, certains s'enorgueillissent d'appartenir au milieu», nous affirmera un sexagénaire qui regrette les temps passés. La première cigarette et le premier café pris au comptoir d'un café qui, jadis, marquaient le rite du passage de l'adolescence à l'âge adulte, du moins dans le psy de l'adolescent, ont laissé place à des comportements initiatiques d'une autre époque.
Insulter un enseignant, fumer devant lui, montrer un désintéressement en classe, faire le clown, exhiber ses muscles, semer la terreur, porter toujours une arme blanche... sont les nouvelles stratégies développées par des gamins qui voient leur avenir partir en fumée en présence d'adultes occupés par les difficultés d'un quotidien de plus en plus difficile.