ABDENNOUR ABBAS, INNOVATEUR RÉCOMPENSÉ PAR LE MIT TECHNOLOGY REVIEW, À L'EXPRESSION
"La recherche est d'abord une question d'environnement"
Diplômé de Lille 1 (doctorat en sciences des matériaux et ingénierie) et aujourd'hui chercheur à lUniversité de Washington à Saint-Louis, est l'un des 10 lauréats du MIT Technology Review innovateurs de moins de 35 ans. Abbas mène des recherches sur les biocapteurs ultrasensibles à base d'anticorps artificiels pour le diagnostic médical. Ex-doctorant des laboratoires Iemn-Umr 8520 et ProBioGem EA1026, mais aussi ex-vice-président-étudiant de Lille 1, ce brillant chercheur a été proposé avec le soutien de la fondation Norbert Ségard, partenaire du MIT-TR-35.
Ce jeune bioingénieur a conscience que pour pouvoir détecter la présence d'unemaladie ou connaître son évolution sans avoir à consulter un médecin, les gens doivent disposer d'outils précis, bon marché et simples d'utilisation. Il s'est donc fixé un objectif: faire des biocapteurs des dispositifs «populaires» pouvant être commercialisés dans n'importe quelle pharmacie. Il a ainsi mis au point et testé avec succès, dans son laboratoire de l'Université de Washington à Saint-Louis (Etats-Unis), le principe d'une méthode d'une simplicité inimaginable, défiant les tests actuels, car un milliard de fois plus sensible et d'un coût autrement plus faible. La solution? Le papier découpé en forme d'étoile, un jeu d'enfant..., imprégné de capteurs anticorps artificiels pouvant détecter virus, bactéries ou antigènes... Un suivi «en ligne» du patient devient presque possible pour le praticien...
Dans l'immédiat, Abdennour Abbas prévoit de former son propre groupe de recherche et de créer un laboratoire de développement afin de se concentrer sur les améliorations offertes par cette technologie, tout en préparant leur mise en vente sur le marché. Son objectif: la création d'une start-up centrée sur les systèmes d'autodiagnostic à domicile. Dans cet entretien, il revient sur son parcours scolaire, son ambition et l'état de la recherche en Algérie...
L'Expression: D'abord, peux-tu te présenter à nos lecteurs et comment es-tu arrivé à un aussi haut niveau de recherche? Peut-on, avant tout, connaître tes débuts scolaires, secondaires et universitaires?
Dr Abdennour Abbas: J'ai eu le parcours scolaire typique d'un montagnard. J'ai fréquenté l'école primaire d'Azroubar dans la commune de Mizrana, puis le CEM et le lycée de Tigzirt. Je garde un très bon souvenir de ma scolarité, puisque j'ai eu la chance d'avoir eu des enseignants qui m'ont toujours témoigné un engagement au-delà de leur devoir. Permettez-moi à l'occasion de leur rendre ici un hommage particulier.
Après mon Bac, j'ai rejoint l'Université de Tizi Ouzou. J'ai réussi à finir mon cursus universitaire en tant que major de promotion, mais ma demande de bourse a été rejetée. On m'avait dit qu'il n'y avait plus de bourse, mais après insistance on m'avait informé qu'il n'y avait que des bourses pour l'Irak. En pleine guerre du Golfe, ce n'était pas vraiment un cadeau.
J'avais alors organisé un «téléthon» familial et suis parti en France. Deux ans plus tard, je reçois une bourse du ministère français de l'Enseignement supérieur et de la Recherche pour préparer mon doctorat que j'ai obtenu en 2009.
Après un passage par l'Université de Californie aux USA, j'ai rejoint l'Université de Washington où j'ai effectué les travaux dont on parle aujourd'hui, et qui ne sont en réalité qu'un début de carrière.
Peut-on connaître l'invention pour laquelle tu as été consacré l'un des meilleurs jeunes innovateurs par le MIT?
Nous utilisons les nanotechnologies afin de trouver de nouvelles solutions pour la médecine et l'environnement. Dans ce travail particulier, nous avons développé des technologies qui permettent de détecter des maladies d'une manière beaucoup plus sensible et surtout moins chère. L'objectif est de permettre aux individus de devenir des acteurs dans la surveillance de leur propre santé, en réalisant des tests faciles à domicile.
Il reste encore beaucoup de travail à faire, mais l'autodiagnostic sera un enjeu majeur dans les 10 prochaines années puisqu'il peut permettre d'économiser des sommes considérables aux dépenses publiques, mais aussi de rendre le diagnostic médical plus accessible dans les pays défavorisés.
On dit que «nul n'est prophète en son pays», est-ce que tu ne songes pas à lancer à l'avenir, un projet dans le domaine médical et, voire même un centre de recherche dans le domaine en Algérie?
Je crois que c'est le voeu de toutes les compétences algériennes à l'étranger d'apporter une contribution au développement de leur pays d'origine. Il suffit de voir comment ces Algériens ont une dépendance à la lecture régulière de l'actualité nationale.
Pour preuve, je viens juste de recevoir un message du Pr Noureddine Melikechi qui a dû lire votre article.
Est-ce que les instances diplomatiques algériennes t'ont contacté suite à cette distinction?
Je crois que vous connaissez déjà la réponse à cette question. Je pense qu'il y a plus urgent à faire que de me contacter, comme par exemple contacter les associations d'étudiants algériens à l'étranger et s'occuper de leurs doléances. C'est aussi une façon de séduire la prochaine vague de compétences algériennes.
Quel est le cadre approprié pour permettre aux chercheurs algériens à l'étranger de participer à l'effort de développement national?
C'est bien que vous parliez du cadre, car ce qui manque à l'Algérie ce n'est ni l'argent ni les compétences. La recherche est d'abord une question d'environnement. Je vous donne un exemple. Je vais chaque été en Algérie. Mon premier souci là-bas est de trouver un bon cybercafé car il m'est insupportable d'attendre quelques minutes pour télécharger la page d'accueil de Google. Aujourd'hui, nous vivons dans un monde numérique où les bouleversements technologiques arrivent à un rythme effréné. Vous ne pouvez pas aspirer à faire de la recherche de pointe sans un accès rapide et universel à Internet dans tous les établissements scolaires et universitaires. C'est, de loin, plus urgent que les chemins de fer et les téléphériques.
Il y a aussi l'environnement administratif. Ce qui se passe aujourd'hui au professeur Senhadji, qui a mis 10 ans pour ouvrir un laboratoire de recherche en Algérie, n'est pas seulement un mauvais signe pour nos chercheurs à l'étranger, mais aussi un voyant rouge pour la recherche. Il ne suffit pas de faire un transfert de technologie, il faut avoir un environnement capable de l'absorber rapidement et d'en faire un point de départ.
Concernant l'apport de la diaspora algérienne, on pense souvent à ses compétences techniques alors que leur plus précieux savoir c'est leur expérience et leur vision de la recherche et du développement. Dans les conditions actuelles, il serait plus pragmatique et productif de réunir nos chercheurs d'ici et d'ailleurs et de leur faire confiance pour élaborer un modèle et une vision de l'Université algérienne sur 50 ans.
Ton appréciation du système de recherche médicale en Algérie. Comment tu conçois le système de santé publique dans notre pays?
Je n'ai pas de statistiques précises sur la recherche médicale en Algérie, je ne vais donc pas faire un jugement hâtif. Ce qu'il faut savoir aujourd'hui est qu'on assiste à une convergence des sciences. Ce qui veut dire qu'une recherche médicale ne peut se faire sans une recherche parallèle en nanotechnologie et en informatique, pour ne citer que ces deux-là.
Je vois qu'un projet de pôle biotechnologique est en chantier en Algérie, ce qui est d'ailleurs impulsé par certaines compétences algériennes aux USA.
Le pôle informatique à Alger tire aussi dans la bonne direction. Je salue vivement ces initiatives et j'espère qu'on puisse aller plus loin pour construire un réseau de plate-formes nanotechnologiques dans les pôles universitaires les plus importants.
Un dernier mot peut-être...
J'ai juste envie de dire aux jeunes talents et innovateurs un peu partout en Algérie de ne pas laisser tomber. Ceux qui vous disent que c'est impossible, ne font que décrire leurs propres limites.