Le monde de la marionnette
Un théâtre en quête de son univers
Connu, sollicité à Alger, Oran, Constantine, il participera également vers 1956 à 1958 aux travaux de recherches, montages scéniques, sollicité par Enri Cordreau, maître-instructeur des arts dramatiques au centre d’éducation culturel d’El Riad-Alger, détrônant l’équipe française d’Art d’Algérie (coloniale).

Par Abbou-Aek-Dadi *
Beaucoup d’encre aura coulé pour que vive cet acteur en bois, en chiffon, ou en papier, depuis des centenaires. À notre ère, le théâtre humain (4e art), est gratifié, et glorifié comme étant ab el founoun (le père spirituel des arts), selon ses concepteurs de l’heure, et par la frange dramaturgique, depuis la tragédie grecque, d’Euripide, Sophocle, d’Eschyle. Le théâtre classique ordonna ces filaments, conducteurs de cet art jusqu’à nos jours. Conservant ces atouts, par la grâce d’auteurs européens du XIXe-XXe/S, metteurs en scène, réalisateurs, à l’image de Constantin. Stasnislavski, théoricien, Cordon Graig, Antonin Artaud, et autres érudits, élevant le théâtre vers sa plus parfaite esthétique. Mais sans l’apport historique conditionnel, didactique, technique, du petit personnage, que serait ce théâtre, dans son envergure actuelle ? Du XXe-XXIe/S, des renoms de ce théâtre Ives Joli, Jac Faure, et sa femme, firent l’apogée de celui-ci. De ce dernier, nous avions eu le privilège, d’accéder au savoir technique et historique de la Marionnette, durant les stages-1966-68-70, où notre équipe nationale émergea, au côté de Hamadi Saïd. Troupe nationale du théâtre de la marionnette, 1re école chargée des stages éducatifs, spectacles culturels, à El Riad-Tixeraïne, du M.J.S, Alger, a été reconvertie en hôtel-« Mouflon d’Or », en 1974-76, chose inconcevable. Nous recevions de précieuses personnalités, dans les arts sus-cités, de renom, comme Jac Faure, Ives Joli, Enri Lafaurg, et consorts.
Acteurs émérites, au complément riche
Aussi, décliner ce chapitre exemplaire, sans éclairer les esprits sur les véritables valeurs de cette figurine est une chose intrigante. Elle fut en ces temps, la pourvoyeuse d’idées, incitatrice, et l’initiatrice du mouvement de la littérature théâtrale des peuples. Ce concept théâtral est né de l’ère antique, et se développa à travers les âges, de par le globe. Le théâtre humain, référence à la dramaturgie, prit forme sur scène, par la grâce de cette figurine, qui fut un modèle d’expression indéniable à l’ère pharaonique, à 10 mille ans, et 200 ans avant la dramaturgie grecque. Conçu en pierre, puis en bois, incarnant les dieux d’Égypte, aux rituels et l’idolâtrie, impressionnant le peuple, dont il conservera un lien pathétique et religieux. Mode artistique théâtral atypique, avec celui africain, aux us et coutumes ancestrales, aux marionnettes géantes, ses masques, ses coloriages, ses formes, la gestuelle incomparable, une rythmique époustouflante, depuis la nuit des temps. C’est de cette transmission évolutive, historique, qu’est issu el qinaâ (le masque), d’animaux, sorciers, et autres figurines, au Mali, au Niger, dis-je, d’Afrique. Une symbolique socio-culturelle d’exception, des siècles. L’apparition du masque et de la figurine en Algérie, au Tassili, aux Touareg du Sud (ridjel el qinaâ), centenaires, puis El ghandja ou baghandja (louche en bois), el aâroussa en tissu, illustrant des figures de fête, tel Yennayer, devenu le symbole, où traditions s’y mêlent, l’histoire, segment fondateur, exprimant les hauts faits du milieu, son identité, ses valeurs intrinsèques.
L’engouement du peuple
La marionnette excella dans l’Hexagone, en France, par les Guignols, Lafleur, Polichinelle, à Lyon et en Picardie. Et, par son disciple Laurent Mourguet, en 1830. Au XVIIe/S la figurine adopta un autre langage, celui de la revendication. L’an 1849, s’exprimant fort et haut, est partie prenante du peuple. 1940, le maître Giovani Briocci, fort de son savoir, concéda un changement, réincarnant le rôle exceptionnel des figurines. Le XXe/S, Marcel Temporale concepteur dévoué, fit l’apogée de ce théâtre, confectionnant des personnages dignes de ce nom. Ce que l’Italie génèrera avec le phénomène Pulcinella (d’où est né Polichinelle français). Période du XVIIe/S, jusqu’à l’heure. La marionnette Glandina qui accèdera vers la comédia-d’el-arté, incarnant son rôle originel, prit le nom de Buratini, référence à l’acteur, qui veut dire poupée à gaine. Elle provoquera un engouement chez le peuple, sans précédent, à Sicile, Milan, ou à Rome. Vers 1740-1780, sont instituées les figurines à fil, d’une extrême mobilité, techniquement remarquable. L’Asie comptera une multitude d’auteurs avérés. Théâtres, et ombres (chinoises), revêtaient ces caractéristiques typiques, aux costumes, gestuelles, esthétiques. Le Japon, depuis cette ère, fonda l’art des marionnettes géantes, rayonnant dans les spectacles. Animé par les acteurs Kioto, se dissimulant sous un costume noir au décor, où n’apparaît que la gestuelle, d’où est né le jeu du Nô. Cette figurine qui remonte bien avant le XXIe /S, avec le charisme de cette pratique artistique Bunraku, n’est autre que Bunraku Ken, une légende propulsant cette tendance. Le roi Vikramaditya (Inde-375-414) insuffla des airs concordant au jeu des figurines du castelet (théâtre), et pour les jeux d’ombres chinoises, le personnage Charirithi qui (signifie poupée dansante), formes propres à ce milieu ambiant indien, en harmonie avec l’orchestre pluridisciplinaire.
En Russie, la marionnette ne s’implanta que vers 1730, devenant un instrument culturel viable. Confectionnant ses poupées à l’image des traditions, et des cultures diversifiées. 1940, la figurine trouvera un terrain propice, sa notoriété, encouragée par les institutions, sera subventionnée, pour sa propagation politico-culturelle. Produisant plus de 200 spectacles par an, avec le génial Serge Obraztsov. En Pologne, Yougoslavie, et Bulgarie, les poupées rivalisent avec celles du reste de l’Europe, et sont antérieures à la Russie, et dès 1960, concevront de nouveaux modes, contenus, et formes. Celles-ci, appelées Szopka (en Polonais, veut dire les figurines). Institutionnalisé le mode, s’élève à 100 théâtres pour chaque pays. 1950, des écoles supérieures sont édifiées à cet effet. Rechercher les racines des figurines turques dans l’histoire serait vain, puisque le théâtre des marionnettes embrassa toute la région asiatique.
Épopées historiques
Un parcours culturel importé, véhiculé ici ou là, où il s’implanta définitivement. Le personnage turc se reconnaît en KarakÖz, (homme habillé en noir), transmis par son compère de l’Inde vers le IXe/S. Il fut selon le milieu, le compagnon privilégié du sultan Salim 1er au XVIe/S. Cependant l’origine réelle remonte à l’époque de l’empire du sultan Orhan, vers 1326-1359. Ce personnage, se révèlera contestataire, au rejet de l’ordre établi, mais bien aimé. Au Cambodge, comme en Indonésie (Asie du Sud), c’était la figurine appelée Ayoung, et Wayoung (figurines d’ombres), partie intégrante du milieu populaire, elles eurent leurs expansions vers le XIIe/S, et vers le Xe/S, où l’institution officielle, et le public, adhèreront totalement, dans l’éducation. Aussi, l’impressionnant Muppets, en 1954, par Jim et Jan Jansayn, des USA, XXeS, spectacles influent dans le monde, aux jeux incomparables.
De ces épopées historiques, et légendes, l’Algérie se conjugue aux tons de nos aïeuls, des genres de figurines. À notre ère, en 1970, fut le grand jour, grandiose, pour le théâtre de marionnettes national algérien. Date, s’inscrivant dans les annales du pays, au Festival international de la marionnette, organisé par le MJS. Présent à ce mouvement culturel : la France, la Bulgarie, la Tchécoslovaquie, l’Italie, la RDA, et l’Algérie, au cinéma « El- Mouggar » d’Alger. Le maître Yve Joly y était, ainsi que sa femme, marionnettiste de talent. Ainsi, il serait judicieux de faire un éclairage objectif, afin d’illustrer cette approche, essentielle, aux contenants historiques, et finalités culturelles, éducatives, afin de déterminer les bonnes mesures, les faiblesses, l’origine des déperditions, à l’inaboutissement à cette richesse culturelle. Une voltige sur l’histoire des figurines en Algérie et dans le monde, dont je fus l’auteur d’un ouvrage unique, en 1999, hélas, qui n’a pu défricher le terrain, faute des malentendants. Comment évoluer. L’Algérie compte à elle seule un immense vestige sur la théâtralité populaire, notamment les figurines, de par le territoire, et le grand Maghreb. Mais, vu l’absence totale de manuscrits, El-Aâroussa a disparu de la mémoire collective, jusqu’au jour de l’indépendance du pays, où elle retrouva sa chaumière d’antan, dans El Masrah (troupe musico-théâtrale-1948-à 1986). Connue, sollicitée à Alger, Oran, Constantine, elle participera également vers 1956 à 1958 aux travaux de recherches, montages scéniques, encadrés par Henri Cordreau, maitre-instructeur des arts dramatiques au centre d’éducation culturel d’El Riad-Alger, détrônant l’équipe française d’art d’Algérie (coloniale). L’équipe autochtone avertie, s’affirma plus professionnelle. Ould Abderrahmane Kaki, cheikh AEK Benaïssa, Mustapha Badi, furent la matière grise, l’échafaudage artistique de ces « indigènes » hors normes. Ce fut le 1er fil conducteur d’ El masrah el garagouz en Algérie. Cela explique la véracité historique, sur l’existence de ce beau monde des figurines en Algérie. Il fallait sortir des sentiers battus, et concéder la véritable image, abolir ces contre-courants, afin de s’affirmer comme tel. L’on ne peut cesser encore, pour réguler ces imperfections. Certes, la marionnette fut chassée en 1845 : El aâroussa, El Ghandja, Garagouz, et karakeuz-Turk, furent persécutées par l’occupant français. C’est par ces faits qu’il faut ressusciter ce petit monde édifiant, dans l’histoire. Mais aussi, faire la lumière des hommes, marionnettistes, à l’origine du bien-fondé de la théâtralité traditionnelle, reconnue à Alger, Oran, Constantine, Mostaganem, Béjaïa, Blida, Illizi, et ailleurs, à Chlef (el Asnam), éclairant son festival de la marionnette, en 1973, valorisant les œuvres d’art et ses hommes.
La marionnette chassée
Malheureusement, celui-ci fut «expédié», sur Aïn Témouchent, puis, vers Constantine. Loin de vouloir discréditer ces bienfaiteurs, et pesons les choses dans leur cadre. Comment peut-on asseoir le professionnalisme, si la figurine perd son appartenance, son lieu originel, et comment définir un festival ? Quelles seraient les références historiques objectives, concevables, et de l’éthique ? Cela dénote d’un dérèglement professionnel…serait-il valable aux autres festivals, ici, ou ailleurs ? Il est temps d’établir une véritable nomenclature, stable, de ce corps malade et de revivifier tous les secteurs d’arts. Ces acquis qui perdurent, voient le sens de l’intégrité de la culture, décrié. Alors, où sont les bonnes consciences, le professionnalisme ? Le théâtre des figurines est un monde complexe, avec ses hommes, ses scènes, sa valeur intrinsèque, et autres qualificatifs. J’interpelle la mémoire professionnelle, pour reconstruire ce théâtre, ce Patrimoine. Donnant à Jules, ce qui appartient à César.
*Écrivain, artiste peintre, sculpteur, marionnettiste, ex- chargé des arts et culture et des festivités.