Cherif Kheddam 1927-2012
Un artiste accompli
Il a fallu du temps, beaucoup de temps, pour que Chérif Kheddam puisse ratisser large car pendant longtemps, il a été un artiste élitiste et seule une catégorie de mélomanes véritablement initiés avait saisi toute la sève et la teneur de la valeur artistique de son œuvre. Une œuvre qui a complètement révolutionné la chanson algérienne d’expression kabyle.

Chérif Kheddam demeure à la fois une légende et un repère dans la mesure où il représente tout un pan de la culture algérienne d’expression amazighe caractérisée par une richesse inouïe à tout point de vue. Chérif Kheddam a séduit et subjugué plusieurs générations de fans qui voyaient et voient toujours en lui un repère. Non seulement sur le plan musical mais aussi du point de vue poétique. Car, on a tendance à toujours sous-estimer Chérif Kheddam le poète et à ne focaliser que sur le musicien. Chérif Kheddam a placé la barre tellement haut s’agissant de ses compositions musicales, que cela a forcément déteint sur ses textes qui n’ont pourtant rien à envier à ceux des meilleurs poètes chanteurs de la même langue. Il a fallu du temps, beaucoup de temps, pour que Chérif Kheddam puisse ratisser large car pendant longtemps, il a été un artiste élitiste et seule une catégorie de mélomanes véritablement initiée avait saisi toute la sève et la teneur de la valeur artistique de son œuvre. Une œuvre qui a complètement révolutionné la chanson algérienne d’expression kabyle. Cette dernière avait été, soit inscrite dans le moule de ce qui est communément appelé le folklore kabyle ou bien dans le style chaâbi directement inspiré du Ccardinal El Hadj Mhamed El Anka. Quand Chérif Kheddam sort des sentiers battus, en n’adoptant ni l’un ni l’autre genre, il venait de prendre le risque de ne pas être compris. Mais son œuvre artistique est tellement solide et esthétiquement fiable qu’elle a fini par s’imposer naturellement et progressivement. Toutes les chansons de Chérif Kheddam sont des chefs-d’œuvre musicaux.
On ne peut pas en citer une sans risque de se montrer injuste envers toutes les autres. Même si certaines sont plus connues et plus appréciées que les autres. La raison se trouve dans les sujets traités dans leurs supports poétiques. Ainsi, Lzayer nchallah ad tehlu a fait une percée flamboyante car il s’agit d’un véritable hymne à la patrie. Le poète Chérif Kheddam a su trouver tous les mots, les vers et les images poétiques qui conviennent le mieux pour évoquer la patrie et lui dédier son amour et son souhait de la voir prospère, belle et paisible. Il en est de même dans la chanson Tsghenigh tamurt-iw ou encore dans Bgayet telha où l’artiste revisite Béjaïa, l’une de nos plus belles villes en louant sa beauté inénarrable. Chérif Kheddam a abordé une infinité de sujets dans ses chansons. Et tous ses textes sont raffinés et présentent des pièces poétiques esthétiquement géniales et abouties.
D’où la nécessité de dépoussiérer cette œuvre poétique qui a trop souffert du succès musical phénoménal de Chérif Kheddam.
Il est temps de parler autant de Chérif Kheddam le musicien que de Chérif Kheddam le poète. La reconnaissance unanime que lui vouent tous les grands artistes algériens est une preuve supplémentaire que Chérif Kheddam n’est pas seulement un auteur, compositeur et interprète, mais c’est un maître. Dans le sens où les chanteurs venus après lui calquent sur son expérience et s’inspirent de son œuvre pour se frayer un chemin dans le domaine très difficile qu’est la chanson. On s’abreuve de son assiduité dans son travail de musicien et de poète pour tenter de suivre son chemin. Non pas se hisser à son niveau car il s’agit d’une mission impossible. Mais juste pour se montrer digne de son héritage. Tenter d’être sur ses traces. Même s’il faut reconnaître que Chérif Kheddam n’a pas fait d’émules. Les capacités énormes dont était doté Chérif Kheddam sur le plan musical font de lui un artiste unique et inimitable. Quand bien même de nombreux artistes ont tenté d’y parvenir en s’adonnant à un travail acharné, sérieux et de longue haleine. Celui qui a réussi le plus est indéniablement Madjahed Hamid qui est le meilleur élève de Chérif Kheddam. Medjahed Hamid a tellement réussi à reprendre le flambeau de Chérif Kheddam, que l’on confond allègrement aujourd’hui des compositions musicales qui sont l’œuvre de Chérif Kheddam et celles de Medjahed Hamid. Cela est particulièrement vrai s’agissant des chansons interprétées par la diva Nourara à laquelle les deux artistes ont composé plusieurs titres.
Madjahed Hamid voue une admiration sans bornes à Chérif Kheddam. Tout comme tous les artistes kabyles. Même ceux qui ne chantent pas dans le même genre que lui voient toutefois en Chérif Kheddam un modèle unique de la perfection musicale. Mais aussi de l’innovation qualitative dans le même créneau. Chérif Kheddam a su marier harmonieusement la musique traditionnelle, orientale, occidentale et classique. Sans qu’aucune fausse note ne se dégage de toute son œuvre monumentale et intemporelle. Il a réussi à écrire un chapitre dense, indémodable et d’un niveau très élevé dans le livre prestigieux de la chanson kabyle. Un livre qu’il a écrit avec des sommités de sa génération comme Slimane Azem, Cheikh El Hasnaoui, Youcef Abdjaoui, Kamel Hamadi, Akli Yahiatène, Zerrouki Allaoua…